Les pages d'histoire du 36e régiment d'infanterie

27 mai 2008

Statues de boue

"La boue qui gliss', la boue qui coule / La boue qui grimpe, la boue qui coule, /Qui tomb' d'en haut, qui r'mont' d'en bas, /La boue à pleins bords, où qu'on rentre /Jusqu'aux g'noux, souvent jusqu'au ventre… /A vous aggripe, a vous accroche… /On en a jusque dans ses poches… /On en mang' jusque sûs son pain !... /… La boue ventouse, la boue vampire, /Qui vous engoul', qui vous aspire… /
I sembl'des foès, quant'a vous prend,
/Qu'ça s'rait ein bête, et qu'a comprend /Et qu'a veut, emprès vous r'vanchée, /Venger la terr' qu'a trop souffert, /La terr', la pauv'terre des tranchées, /Blessée d'partout, qu'est là couchée, /Les trip'à l'air et l'ventre ouvert."(La passion de notre frère le poilu, Marc Leclerc, Au bibliophile angevin, 1920)

"Chaque jour tout est à refaire tant que les pluies continuent." Derrière cette ligne laconique, extraite d'un rapport du chef de bataillon Voisin, du 36e régiment d'infanterie, rédigé dans les bois de Beaumarais, perce déjà toute la lassitude de ce premier hiver dans les tranchées. Tout au long de la mauvaise saison, les hommes du 36e régiment d'infanterie ne cessent de se battre contre l'eau qui envahit constamment leur secteur. Dès le mois de janvier, des averses continuelles remplissent les boyaux. Le sol se recouvre d'une boue liquide ; les vêtements se raidissent ; les relèves et les ravitaillements sont ralentis. Il pleut tellement que les parapets et les tranchées s'écroulent et qu'il est impossible de circuler. Dans le Journal de marche du régiment, il est noté le 8 janvier : "L'eau monte de plus en plus dans les tranchées et le service y est rendu difficile et pénible. Les hommes ont les pieds dans l'eau nuit et jour. Ils se reposent assis les pieds contre les parois des abris." Dans un rapport daté du lendemain : "Dans deux compagnies, les hommes ne peuvent plus s'étendre."
Après avoir conféré avec le colonel commandant le 36e sur cette situation inquiétante, le commandant de la 10e brigade estime qu'il faut sans tarder employer tous les pionniers du régiment à la confection de gabions et de fascines, de façon à créer le plus rapidement possible des abris surélevés pour les unités qui n'en disposent pas encore. Dans le même temps une patrouille est envoyée le long du fossé qui relie les lignes allemandes aux lignes françaises (entre les bois de Chevreux et les bois de Beaumarais) pour vérifier si celui-ci n'est pas fermé par un barrage. Conduite par le sous-lieutenant Rault, dans la nuit du 2 au 3 janvier, elle ne remarque rien sinon "que le niveau de l'eau est plus élevé du côté des Allemands"...
Pour remédier à ce bourbier, des puits sont creusés au nord des bois, dans les secteurs marécageux. Chez les soldats, "la valeur du point occupé est pour les hommes uniquement fonction de la hauteur d’eau inondant les gourbis", note l'historique. On aménage des rigoles et des puisards. On tend des toiles de tente et l'on bricole des gouttières avec des boîtes de "singe" et autres seaux à confiture. Rien y fait. L'eau s'infiltre partout. Et les vagues de froid n'arrangent rien lors des patrouilles. "Les feuilles sèches forment une croûte glacée, dont les craquements menacent de révéler notre présence", note une patrouille de la 11ème compagnie.

(Ci-dessus, photo dans l'album de Fernand Le Bailly, légendée ainsi : "La lutte contre la boue, le gourbi de liaison. Mes hommes, nos capotes, de la boue, obus à volonté". Photo 2 : dans les bois de Beaumarais aujourd'hui.)

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