
"Hélas, nous avancions bien trop vite, au contraire. Nous étions arrivés dans la zone battue par nos propres canons et je vois encore deux gros arbres voltiger dans l'espace, à moins de cent mètres de nous. C'était le travail de nos 75 ! Il était malheureusement trop tard, nos artilleurs ne pouvant nous apercevoir, cachés que nous étions par les bois, tiraient par rafales et avant que nous ayons eu le temps de rétrograder, avait déjà tué trois des nôtres et blessé plusieurs autres, quel horreur !
Le capitaine Malfre vit le coup et m’appela aussitôt. « – Le Bailly, êtes-vous trop fatigué pour courir jusqu’au colonel qui se trouve là-bas, derrière la meule que vous voyez dans le bas de la plaine ? – Non, mon capitaine, je vois ce que vous désirez, j’y vais. – Il faut de suite aviser les quatre batteries d’allonger leur tir. » J’étais déjà galopant dans cette plaine, sautant par-dessus les morts et les blessés pendant que obus et balles allemandes me sifflaient aux oreilles de tous côtés. J’étais seul debout sur ce champ de mort et je me souviens que malgré toute l’ardeur que je mis pour atteindre au plus vite la dite meule, elle semblait s’éloigner de moi au fur et à mesure que j’avançais. Arriverai-je oui ou non ? J’étais à bout de souffle, encore un effort… j’étais au but. Bref, je remplis ma mission et pour la troisième fois j’arpentai cette plaine mais… je pris mon temps, je procédai par bonds en utilisant le terrain.

Partis, envolés, les Allemands ! Ce fut du délire ; nous pénétrâmes au pas de course dans le village : cadavres allemands, chevaux allemands, caissons, équipements allemands, tout cela pêle-mêle pendant que leurs blessés qu’ils n’avaient pas eu le temps d’enlever, hurlaient de douleur.
Et l’ordre arriva de nous assembler – tout le 36ème avait donné – et de prendre une heure de repos. Pendant ce temps, notre artillerie prenait position derrière nous et semant la mort dans les rangs de nos ennemis qui, en colonnes, là-bas, sur les routes, s’enfuyaient à une allure folle.
Nous nous précipitâmes dans les jardins et ce fut, entre nous, un assaut en règle autour des puits. Boire ! Boire ! N’importe quoi, mais boire.
Mais… qu’est-ce donc que ces cris qui partent du centre du village. Est-ce que la danse recommencerait ? Non ! Ce sont les femmes, les vieillards, les enfants de l’endroit qui, sortis de leurs caves, poussent des hurlements de joie en voyant les pantalons rouges !
Pauvres gens ! Quelle terreur sur leur visage ! Mais au bout d’une demi-heure, la détente se produit, ils pleurent de bonheur, ils nous serrent les mains, sans crier, sans phrases et avec des seaux nous apportent de l’eau, du vin, du pain. Nous nous battons presque, à qui en aura.
Mais abrégeons. Courgivaux était à nous, bien à nous. Nous avions décimé 3 bataillons bavarois sur six qui défendaient, paraît-il, le village. Quant à notre 36e qui, seul, avait mené l’attaque, il n’avait guère perdu en moyenne plus d’un quart de son effectif : à peine un bataillon.
Là devait commencer la poursuite effrénée de l’ennemi. Nous trottions depuis cinq heures déjà après avoir traversé quatre villages en feu. Nous marchions à travers champs pendant qu’une avant-garde de cavalerie et nos flancs gardes « battaient » le terrain, quand l’ordre arrive de nous faire prendre quelque repos. Il était six heures du soir, nous nous étions battus pendant près de 11 heures durant, nous étions fourbus.
Point n’est donc besoin de dire que nous avons dormi comme des brutes.
Ceci se passait le 6 septembre (en réalité le 7/09/1914)."
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