Les pages d'histoire du 36e régiment d'infanterie

10 févr. 2011

L'esprit de chapelle de la 10e compagnie (I)

Avec le mois d'avril 1915, le troisième bataillon du 36e régiment d'infanterie se retrouve près de 24 jours dans les tranchées du "sous-secteur n°2" de Beaumarais, soit la partie gauche des bois. Cette attente prolongée est mise à profit par le commandant de la 10e compagnie, Georges Chassery, et l'aumônier du 36e régiment d'infanterie, Henri Bornot (photographié ici par Fernand Le Bailly), pour construire une petite chapelle rustique. Peu de traces subsistent aujourd'hui de cette construction, qui fut à sa manière un petit événement pour le régiment du Calvados : quelques photos, accompagnées de diverses mentions dans les témoignages. Cette construction n'étant mentionnée ni dans le Journal de marche et d'opération du 36e RI, ni dans les rapports conservés aujourd'hui au Service historique de la défense, il est délicat ainsi d'avancer un emplacement (une carte postale éditée après-guerre indique que le monument régimentaire, situé sur la D894, fut érigé sur le lieu de cette petite église ; protégé par le mont Hermel et le la cote 120, l'édifice aurait ainsi été protégé des vues de l'ennemi). Mais à la lueur d'un très émouvant témoignage, retrouvé par Jean-Claude Poncet, nous pouvons en savoir plus sur les circonstances qui ont entourés la création de ce petit oratoire sylvestre et de la manière dont il fut accueilli. Voici ce texte :

"La construction d'une chapelle à Jeanne d'Arc à B[eau]-M[arais] (Aisne)

"Extraits de lettres du commandant Chassery [Chef du 3e bataillon]à son épouse :


Illustration : recto-verso d'une carte postale signée "H.B",
sans doute l'aumônier du 36e RI, Henri Bornot, qui figure
à droite de la photo. A sa droite, Georges Chassery.
"16 avril 1915. — Je fais construire ma chapelle dédiée à Jeanne d'Arc. Notre aumônier [il s'agit d'Henri Bornot] ne se tient plus de joie à la pensée d'avoir une église-cathédrale de huit mètres sur quatre, avec autel et clocher. Nous allons probablement y mettre l'autel du presbytère de P[ontavert] et ton étendard complétera la décoration. Quand nous quitterons nos bois, notre cantonnement deviendra certainement un but d'excursion, et notre chapelle peut-être un lieu de pèlerinage. Si Dieu me prête vie, et j'ai confiance en lui, alors, tous les deux, nous viendrons faire un pieux pèlerinage à la chapelle de Jeanne d'Arc du B[eau]-M[arais] et je te ferai revivre l'époque actuelle, qui est toute vibrante des émotions de la guerre, car chaque coin, chaque arbre a presque son histoire.

"18 avril 1915. — L'abbé B[ornot], notre aumônier, est venu nous dire la messe ce matin. Il a admiré notre chapelle, qui commence à prendre une tournure très élégante. Elle est construite toute en clayonnage, et la croix de son clocher s'élève à 6 m 50 de haut. C'est tout à fait le type des chapelles de mission. La cloche sera faite de la douille d'un gros obus de 150, et le battant d'une fusée d'un obus de 155, que les Boches nous ont envoyé ce matin [Le JMO du 36e indique à cette date "Sous-secteur n°2 : trois obus de 150 tombés sur la 12e compagnie à 14 heures"]. L'aumônier veut absolument baptiser la cloche le dimanche 3 mai, et te demande d'être marraine par procuration ; le parrain sera vraisemblablement le commandant V[peut-être, le commandant Voisin, chef du deuxième bataillon du 36e RI ?]. Travaille vite à ton étendard ; demande des objets de piété aux personnes pieuses, et envoie-nous le tout avec des dragées pour le dimanche 3 mai. Les noms des parrains et marraines seront gravés sur une douille de 75, redressée à cet effet. Sur d'autres plaques de cuivre, on inscrira les noms des soldats tombés au champ d'honneur dans nos bois.
Je te remercie de faire des démarches pour l'ornementation de ma chapelle, qui commence à prendre tournure. L'autel et le tabernacle sont de véritables bijoux de vannerie. Le clocher et la toiture sont couverts de genêts, donnant à cette chapelle un air à la fois sauvage et recueilli. La chapelle ne sera inaugurée que le 9 mai, car nous manquons de matériel, ce qui nous retarde un peu."


(La suite, c'est ici.)
(Merci à Jean-Claude Poncet et Stéphan Agosto sans qui ce billet n'aurait pas été possible)

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