Les pages d'histoire du 36e régiment d'infanterie

1 avr. 2008

"Un pauvre mutilé"

Onze morts et huit blessés... Le bombardement du 26 octobre 1914 au 129e régiment d'infanterie (RI), "frère" du 36e RI, frappe les imaginations dans la plaine de Courcy. Des huit blessés que restera-t-il alors qu'au même moment, sur les champs de bataille, deux écoles de chirurgie - l'abstention de tout soin, notamment dans les blessures au crâne et à l'abdomen ou, au contraire, les partisans de l'intervention - s'affrontent sur le raisonnement médical ? Un petit texte, extrait de Vie des martyrs, de Georges Duhamel (Presses de la Cité) indirectement lié à notre sujet pour y penser.

"Nogue est courageux, mais normand ; cela donne au courage une forme particulière qui n'exclut ni la réserve, ni la prudence, ni la modération dans les termes.
Le jour de sa blessure, il a supporté une opération préliminaire avec un calme réel. En soulevant son bras brisé, je lui disais :
- Souffrez-vous beaucoup ?
Et il desserrait à peine les mâchoires pour répondre :
- Ben ! Peut-être...
Les jours suivants, la fièvre est venue et un certain malaise avec. Nogue ne mangeait pas et quand on lui demandait s'il sentait un peu d'appétit, il hochait la tête :
- J'cré ben qu'non.
Bref, ce bras était cassé très haut, la blessure avait vilain aspect, la fièvre était vive, et l'on a jugé qu'il fallait prendre une décision.
- Mon pauvre Nogue, lui ai-je dit, nous ne pourrons absolument rien faire de ce bras-là. Laissez-vous amputer, soyez raisonnable.
Si l'on avait attendu la réponse, Nogue serait mort. Sa figure a exprimé une vive contrariété ; mais il n'a dit ni oui ni non.
- Ne craignez rien, Nogue. Je vous garantis le succès de l'opération.
Alors, il a demandé à faire son testament. Le testament fait, Nogue a été porté sur la table et opéré, sans avoir formulé ni assentiment ni refus.
Dès le premier pansement, Nogue a regardé son épaule saignante et a dit :
- Vous n'auriez pas pu, des fois, conserver quand même un petit bout de bras ?
Heureusement tout s'est parfaitement arrangé. Au bout de quelques jours, le blessé a pu s'asseoir dans un fauteuil. Tout son être trahissait une véritable résurrection ; sa langue restait circonspecte.
- Eh bien ! Vous voyez, cela va très bien !
- Heu... Ca pourrait aller mieux...
Jamais il ne s'est résigné à souscrire, nettement, même après coup, à une décision qui lui avait conservé la vie. Quand on lui disait : "Vous voilà tiré d'affaires", il se réservait :
- Faudrait vère, faudrait vère...
Il a guéri et nous l'avons envoyé dans l'intérieur.
Depuis, il nous a écrit, "pour affaires", des lettres prudentes qu'il signait : "Un pauvre mutilé...""

Photo : Prothèse de main en bois, fabriquée pour le sergent Hardouin, mutilé de la main gauche le 16 mai 1916. (Photo DR)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire