
"Nogue est courageux, mais normand ; cela donne au courage une forme particulière qui n'exclut ni la réserve, ni la prudence, ni la modération dans les termes.
Le jour de sa blessure, il a supporté une opération préliminaire avec un calme réel. En soulevant son bras brisé, je lui disais :
- Souffrez-vous beaucoup ?
Et il desserrait à peine les mâchoires pour répondre :
- Ben ! Peut-être...
Les jours suivants, la fièvre est venue et un certain malaise avec. Nogue ne mangeait pas et quand on lui demandait s'il sentait un peu d'appétit, il hochait la tête :
- J'cré ben qu'non.
Bref, ce bras était cassé très haut, la blessure avait vilain aspect, la fièvre était vive, et l'on a jugé qu'il fallait prendre une décision.
- Mon pauvre Nogue, lui ai-je dit, nous ne pourrons absolument rien faire de ce bras-là. Laissez-vous amputer, soyez raisonnable.
Si l'on avait attendu la réponse, Nogue serait mort. Sa figure a exprimé une vive contrariété ; mais il n'a dit ni oui ni non.
- Ne craignez rien, Nogue. Je vous garantis le succès de l'opération.
Alors, il a demandé à faire son testament. Le testament fait, Nogue a été porté sur la table et opéré, sans avoir formulé ni assentiment ni refus.
Dès le premier pansement, Nogue a regardé son épaule saignante et a dit :
- Vous n'auriez pas pu, des fois, conserver quand même un petit bout de bras ?
Heureusement tout s'est parfaitement arrangé. Au bout de quelques jours, le blessé a pu s'asseoir dans un fauteuil. Tout son être trahissait une véritable résurrection ; sa langue restait circonspecte.
- Eh bien ! Vous voyez, cela va très bien !
- Heu... Ca pourrait aller mieux...
Jamais il ne s'est résigné à souscrire, nettement, même après coup, à une décision qui lui avait conservé la vie. Quand on lui disait : "Vous voilà tiré d'affaires", il se réservait :
- Faudrait vère, faudrait vère...
Il a guéri et nous l'avons envoyé dans l'intérieur.
Depuis, il nous a écrit, "pour affaires", des lettres prudentes qu'il signait : "Un pauvre mutilé...""
Photo : Prothèse de main en bois, fabriquée pour le sergent Hardouin, mutilé de la main gauche le 16 mai 1916. (Photo DR)
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