Les pages d'histoire du 36e régiment d'infanterie

2 août 2009

Une mémoire façon puzzle

Ce soir, quatre-vingt-quinze ans jour pour jour après la parution du décret de mobilisation du 2 août 1914, ce blog m'évoque un casse-tête, une construction impossible, comme les dessinait Maurits Cornelis Escher, dans son enchevêtrement de destins d'hommes et de lieux tapissé d'archives. Revient alors la sempiternelle question : à l'orée du prochain centenaire de ce gigantesque cataclysme, peut-on réellement transmettre ces quatre années de consomptions d'hommes et de paysages ? Comment rendre compte d'un monde disparu, d'instants perdus jamais retrouvés ?
S’installe le doute, parfois le découragement, qu’il faut évidemment dépasser. Pour me relancer, il y a bien sûr l’album photos de mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly. Mais il y a aussi Genevoix. Tel ce discours, paru en 1952 dans L'Almanach du combattant, où en quelques lignes empreintes de gravité et de compassion, l’écrivain explique avec justesse les raisons de la célébration annuelle de la bataille de Verdun :

"Nombreux sont les témoins et, après eux, les historiographes de la Guerre 1914-1918, qui ont tenté de dire ce que furent les épisodes, le déroulement, l’importance et la signification de la Bataille de Verdun. Ces tentatives étaient nécessaires et plusieurs se sont révélées méritoires. Mon propos n'est point d'y ajouter.
A mesure que le temps passait, il arrivait que son écoulement même entraînait avec lui deux conséquences, inséparables et contradictoire tout ensemble. C'est ainsi qu'il en va d'ordinaire pour les grands événements humains : tandis que le recul des jours permet d'en mieux mesurer la stature, qu'on peut les voir progressivement grandir sur l'horizon de l'histoire, le même recul les fige, les pétrifie, leur retire leur chaleur vivante, cette sorte d'émotivité passionnelle dont ils secouèrent les contemporains.
Ne nous illusionnons pas devant cette loi, cette espèce de fatalité qui tient à notre nature même. Le présent qui nous presse de ses exigences, l’avenir qui nous saisit déjà par ses promesses ou ses menaces tendent continûment à reléguer le passé et les morts dans la froideur des nécropoles. L’oubli viendra, l’oubli vient déjà: car les manuels aussi sont froids et ne ressuscitent le passé que pour ceux dont l’imagination est vive et la mémoire généreuse. Ne nous illusionnons donc pas. Mais n’acceptons pas non plus; n’aidons pas à précipiter l’oubli. C’est pour nous un devoir: ce serait à nos yeux une déchéance et réellement une forfaiture si nous venions à l’éluder.
Nous qui savons, nous qui avons vécu ces heures et qui leur survivons encore, nous voulons continuer à porter pour notre part, le cœur plein du souvenirs de nos camarades disparus, le témoignage d’une génération. Contre les années qui s’accumulent, contre le poids de nos inquiétudes, contre l’égoïsme, l’ingratitude, l’indifférence ou l’incompréhension, nous voulons attester notre immuable fidélité. (...)"

Ce billet porte le numéro 100 de ce blog. Passage à l'euro oblige, il est garanti sans Delacroix ni Cézanne pour l'illustrer. A la place, nous avons préféré une mosaïque, qui reconstitue une photo de Fernand Le Bailly. Pour relire des lettres et des discours de Genevoix, c'est ici.

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