Les pages d'histoire du 36e régiment d'infanterie

7 oct. 2008

Danse macabre à Courgivaux (I)

Continuons le récit de Fernand Le Bailly avec l'attaque du 36e RI sur Courgivaux dans la nuit du 6 au 7 septembre 1914 (ci-dessus : le sud du village aujourd'hui : le silo marque l'emplacement de la ferme du Bel-Air, en feu lors de ces deux journées. Dans le prolongement du pylône se trouve le cimetière de Courgivaux.)

"A 2 ½ du matin, tout le régiment, par lignes de section, se faufilait dans les bois avoisinant Courgivaux. C'est à ce moment que le capitaine Malfre me fit l'honneur de me demander si je voulais être un de ses hommes de liaison. Il en choisit trois autres parmi ceux qui s'étaient déjà battus. Je devais rester son homme de confiance jusqu'au jour où, à côté de moi, un obus lui fracassa toute la partie gauche du corps. Vers 4 h du matin, les Allemands commencèrent la danse. Ce fut pendant cinq heures une orgie de coups de fusils, de mitrailleuses et d'obus de part et d'autre.
Notre artillerie tirait à 1400 m et nous à 800 m. Puis le capitaine Malfre m'envoya dire aux sections de la compagnie
(Le Bailly appartient à la 6e compagnie, NDLC) de se porter dans la plaine, en tirailleurs. Là, je l'avoue, j'ai hésité quelques secondes, les psss ! psss ! des balles me sifflaient aux oreilles et les tac tac produits par leur arrivée sur les arbres me fit reculer et coucher deux fois ; cette musique étrange accompagnée par les cris des malheureux qui déjà tombaient morts ou blessés, me cloua, je le confesse, en me traitant de poltron intérieurement… j'avais vaincu la peur.
Que ceux qui ont passé par là et qui se targuent de n'avoir jamais ressenti la moindre émotion s'estiment fiers d'eux-mêmes. Personnellement, je demande pardon aux miens de cette faiblesse passagère, sûrs d'avance qu'ils m'ont déjà pardonné puisque… depuis, je le jure, je n'ai jamais faibli !

Ah cette plaine avec sa crête derrière laquelle on apercevait le village, je le reverrai tout le temps que je vivrai.
Tous ces hommes couchés à plat ventre, tirant sans cesse, étaient magnifiques de calme et de sang froid.

Par bonds et par escouades, ils se rapprochaient du village, cependant que les Allemands, à coups de mitrailleuses, de fusils et d'obus, balayaient la dite plaine et semaient la mort dans nos rangs.

Au-dessus de nos têtes, nos 75 arrosaient copieusement l'entrée du village par un tir dit «
de barrage » afin d'empêcher l'ennemi d'en déboucher et je regardais ce spectacle à côté du capitaine Malfre, debout comme lui, au milieu de cette plaine où déjà plus d'un tiers des nôtres restaient en arrière, très surpris de constater que malgré cette pluie d'enfer, il y avait encore moyen de trouver des vides sans se faire tuer.
Quant à mes trois camarades, ils s'étaient tranquillement mis à plat ventre et faisaient du tir rapide. A côté de moi, à mes pieds, un «
poilu » ne cessait de tempêter et pour cause : une balle venait de déchirer littéralement sa gamelle ; un autre voyait son fusil voltiger en l'air sous l'impulsion d'un éclat d'obus ; un autre trouvait qu'on « n'avançait pas assez vite » ."

(A suivre...)

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