Les pages d'histoire du 36e régiment d'infanterie

20 juin 2009

Patrouilles à reculon

Photo extraite de l'album de Fernand Le Bailly légendée : "En patrouille pour «rire»."

Si janvier dans les bois de Beaumarais fut une période mouvementée pour le 36e régiment d'infanterie, le mois de février - celui de la mort et de la purification dans la mythologie romaine - marque une période plutôt "calme" dans le secteur, sans phénomène de panique collective ni opération d'attaque de poste avancé. Tout au plus les journées sont-elles rythmées par de petits bombardements d'usure sous une météo peu clémente. Les hommes s'ennuient dans la grande forêt grise dont les frondaisons se balancent dans le vent de l'hiver. L'Aisne est en décrue. Le 16 février, le régiment reçoit une note du commandant de la brigade, en exécution d'un rapport du général Mangin, l'enjoignant de poursuivre l'encerclement du bois de Beaumarais "pour le transformer en un grand centre de résistance réellement fermé".
Des bataillons du régiment calvadosien, le troisième est sans nul doute le plus sollicité, car il demeure 24 jours en première ligne (le second reste 16 jours, et le premier, plus chanceux, 9 jours). Pour maintenir un niveau d'activité et empêcher la routine de s'installer, le colonel Bernard, qui commande le régiment, démarre un programme de patrouilles quotidiennes. Elles concernent principalement trois zones géographiques : le long de la route reliant Craonne à Craonnelle, les abords et les lisières du bois de Chevreux et le bois du Bonnet-Persan. A lire la bonne centaine de rapports sur ces opérations, conservés aujourd'hui au Service historique de la Défense, ces reconnaissances obéissent à deux préoccupations constantes pour les Français : vérifier l'avancement des travaux du côté allemand et faire des prisonniers.
En petit détachement de trois à dix soldats, voire quinze, les hommes partent dans une nuit souvent noire. Ils doivent alors ramper sur un sol gorgé d'eau, de boue ou glacé, s'aplatir dès que l'ennemi fait partir des fusées éclairantes. Les nerfs à fleur de peau, ils guettent le moindre bruit, comme le décrit Gabriel Chevallier (qui lui fut du 39e et 163e RI) dans son roman La Peur : "Par les nuits très noires, où je me conduis au toucher, j'ai parfois des arrêts brusques du coeur, lorsque quelque chose craque que je ne peux distinguer; la nuit déforme les choses, les grandit, leur prête un aspect poignant ou menaçant ; le moindre souffle d'air les anime d'une vie humaine. Les objets ont des silhouettes d'ennemis, je devine partout des respirations retenues, des yeux dilatés qui m'observent, des mains crispées sur des détentes ; j'attends à chaque seconde l'aveuglante rayure de feu d'une arme."
A défaut de prisonnier, les Français rentrent parfois avec des "pattes d'épaule" et numéro de régiment. Le 18 février, une petite unité allemande éventée laisse derrière elle, dans sa fuite, un fusil et une "Feldmütze" portant le n° 58. Et puis, un soir, le drame survient. Le 19 février, lors d'une patrouille de la 12e compagnie, Arthur Lepêtre, natif d'Elbeuf (76), est tué par un de ses camarades, "croyant avoir affaire avec l'ennemi". Le 21 février, mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly participe à une de ces patrouilles (ci-dessus), dirigée par le sous-lieutenant de Viefville, vers le potager, en bas du village de Craonne. Une embuscade est montée, mais elle échoue en raison de la nervosité des Français, qui tirent sans attendre sur des ombres qui se révèlent être des soldats allemands. Le détachement revient vers 23h00 en longeant le ruisseau du moulin Pontoy.

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