Les pages d'histoire du 36e régiment d'infanterie

27 févr. 2008

La forêt désanchantée

"Quelle est cette guerre au cœur de la nature? Pourquoi la nature rivalise-t-elle avec elle-même? (...) La nature renferme-t-elle une force vengeresse? Non pas une force mais deux ?"
(La Ligne rouge, un film de Terrence Malick)

Au lendemain du 11 décembre 1914, le 36e régiment d'infanterie découvre son nouveau "domaine" : les bois de Beaumarais. Baignés au sud par les eaux de l'Aisne, ce manteau forestier forme un large couloir reliant Pontavert à Craonne. Hérissé d'une paire de mamelons au nord - le mont Hermel et, plus en arrière, la cote 120 -, deux routes transversales le bordent. Au centre, il est rétréci par le grand pré de la ferme du Temple.
Le 36e RI vient à peine de s'installer qu'il démarre les travaux d'aménagement des tranchées. Malgré le travail du régiment précédent, le 73e RI, l'organisation du secteur est en effet "notoirement insuffisante" fulmine le colonel Bernard, commandant du régiment, dans un rapport qu'il adresse fin décembre à son supérieur. "Les tranchées de premières lignes n'offrent pour ainsi dire aucune protection. On ne peut tirer par les créneaux quand ceux-ci existent. Les abris ne sont nullement à l'abri d'un bombardement. Le travail à exécuter est considérable", peste l'officier. Les restes des combats de septembre marquent encore le paysage... Sur le mont Hermel, le capitaine Lucien (que nous rencontrerons une autre fois) note : "Celui-ci est sans exagération aucune un véritable charnier dans toute sa superficie, d'autre part un dédale extrêmement compliqué de sapes, de boyaux, d'abris effondrés, de tranchées françaises et allemandes bouleversées et courant dans tous les sens, le tout parsemé d'entonnoirs d'obus de gros calibres. Le sable qui recouvre à peine les cadavres nombreux (surtout allemands) qui y sont enterrés, quand ils le sont, se soulève et se craquèle."
Plus que tout, le régiment doit affronter un nouvel ennemi : l'eau. Les bois de Beaumarais sont, en effet, un gigantesque marécage à ciel ouvert ! Les ruisseaux dévalant du plateau de Californie arrosent le massif forestier et lui donnent des airs de forêt inondée. Les réduits, les sapes et les abris deviennent dès lors impossibles à creuser. "On trouve de l'eau entre 40 et 50 cm de profondeur", note Bernard.
En quinze jours, le massif forestier se transforme donc en véritable forteresse. Redoutant une attaque, trois lignes de défense sont organisées. La première suit la lisière nord du bois et chemine en "sape volante" pour pallier au sol marécageux. Edifiée au moyen de sacs de terre et de gabions, elle est complétée par des réseaux de fil de fer qui atteignent par endroits 20 m de profondeur. Une deuxième ligne traverse le bois en son milieu et vient s'enrouler autour de la butte de l'Edmond. Enfin, une dernière tranchée s'organise autour de Pontavert. Du côté du mont Hermel, les cadavres sont exhumés et recouverts de chaux ; l'organisation du secteur est perfectionnée et la petite butte se transforme en bastion. Dans le même temps, n'ayant pas renoncé à leur humeur offensive, des patrouilles sont envoyées sur tout le front pour trouver l'ennemi. Une sape offensive est démarrée au nord vers le bois de Chevreux et vers le bois du Bonnet Persan. Dans chaque zone, en dépit du nombre insuffisant d'outils, des abris construits par les "pépères" du 35e Territorial sont élevés à ras de sol.

Photo : les bois de Beaumarais depuis le rebord du plateau de Californie. Merci à Serge Hoyet.

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