Les pages d'histoire du 36e régiment d'infanterie

30 mai 2011

Le chevalier d'Artois (I)

Le cimetière de la Targette aujourd'hui, à côté de
Neuville-Saint-Vaast. En médaillon, Paul Chevalier et son frère.
Après Roger Couturier, voici la première partie du texte que Paul Chevalier écrit sur son engagement à Neuville-Saint-Vaast, en juin 1915, dans les rangs du 36e RI. Comme de nombreux combattants le feront par la suite, l'un des plus célèbre étant sans doute Roland Dorgelès dans Les Croix de Bois avec son récit de l'attaque du cimetière de Neuville, le jeune homme insiste sur la fureur, la destruction et l'épuisement de ces journées d'apocalypse.

Neuville-Saint-Vaast, vu par le soldat Paul Chevalier




"Nuit du 29 mai au 30 mai 1915
"La position que nous occupons est très sérieuse. Une partie du village appartient aux Français et le reste aux Allemands. Les tranchées sont placées face à face ; le jour, c’est un bruit terrible. Dans la journée d’hier, il nous est passé sur nos têtes pas moins de 10 000 obus de tous calibres, tantôt éclatants, à droite, à gauche, et quelquefois de tous les côtés à la fois (1). C’est un vacarme épouvantable ; le bruit est continuel, les éclats nous arrivent avec des bruits sonores. Notre canon tient son rang. Les éclatements sont épouvantables remuant tranchées, bouleversant les restes des maisons, car, du village, il ne reste que le nom. Aucune maison n’est debout. On a creusé des tranchées passant au milieu d’elles. C’est un amas terrible à nos yeux, et malgré nous le cœur saigne en regardant de si tristes choses et les obus ne cessent de tomber sur ces ruines. Pour nous, la vie est très dure, rester dans nos tranchées jour et nuit en éveil sous une pareille mitraille, car il faut avoir l’œil. D’un bond, les Allemands peuvent franchir la ligne. Cette nuit, des échanges presque continuels de coups de fusils. La nuit d’hier a été assez calme ; les Allemands cherchent à consolider leurs positions. Aussi dès qu’ils bougent, nous ne les manquons pas, car on y voit comme en plein jour. C’est un véritable feu d’artifice et continuel jusqu’au jour. Nos tranchées sont parfaites pour résister. Il est vrai qu’elles ont été construites par les Allemands. Ils sont maîtres dans l’art de remuer la terre. Malheureusement, l’air est mauvais, car de tous cotés gisent des cadavres. Notre ravitaillement est pénible aussi. On a été un peu réduits mais on fait l’impossible pour nous soulager. On a eu un peu de vin et d’alcool ; le plus dur est la soif, car pas moyen d’avoir de l’eau le jour (2). Il faut y aller la nuit, car, de jour, c’est l’enfer.
"Au petit jour jusqu’à la tombée de la nuit, les Allemands écrasaient nos premières et secondes lignes à coups d’obus de gros calibres. Les 210 tombaient comme des balles bouleversant tout. Heureusement, leur tir n’était pas précis, et les obus tombaient entre 20 et 30 mètres de nous, sans cela notre position eut été intenable. La lutte de cette journée fut si formidable en artillerie que le soir un brouillard de fumée envahissait toutes les positions, et quand les premières fusées blanches éclairèrent les positions, la lutte diminua. Elle a dû coûter cher aux Allemands, car à plusieurs reprises, ils ont essayé de sortir et à chaque fois, ils ont été cloués sur place par le canon et le feu des mitrailleuses. Le soir, nous regagnons nos emplacements, toujours sans ravitaillement et sans eau. Nous mangeons nos vivres de réserve (3). Le lendemain, c’est le contraire, c’est nous qui attaquons, car nous avons besoin de prendre quelques lignes de tranchées pour avoir des vues dans un ravin ou l’ennemi peut faire ce qu’il veut. Hélas, le temps n’est guère propice. Il pleut, il fait un temps épouvantable. Néanmoins, nous gagnons nos emplacements, sorte de petite tranchée, formant une position de seconde ligne, et nous restons là toute la journée attendant des ordres d’attaque qui ne viennent pas. L’artillerie néanmoins ne cesse de donner mais sans grands dégâts pour nous, à peine quelques hommes hors de combat. Toujours sous le feu des canons ennemis, toujours même tableau : des cadavres nouveaux gisent pêle-mêle sans toutefois qu’ils fussent en grand nombre."
(A suivre...)


(1) Le 2 juin 1915, le général d'Urbal, comandant la 10e armée, demande que "le bombardement intensif de Neuville soit entrepris immédiatement et poursuivi sans interruption de jour et de nuit, sans limitation du nombre de projectiles". (AFGG, tome 3)
(2) Pour les soldats de Neuville-Saint-Vaast, en juin 1915, la soif est constante. Etienne Tanty, du 129e RI, dans une lettre daté du 29 mai écrit : "Je m'étais couché cette nuit tout à fait vanné. Nous étions allé, à deux, chercher de l'eau dans un petit baril jusqu'au village (de la Targette, NDR). Je ne sais combien de temps nous avons mis : c'est épouvantable, l'état du village, les maisons sont en hachis, je ne vois pas d'autres mots." (Les Violettes des tranchées, Etienne Tanty, éditions Italiques, 2002).
(3) Tanty : "On va chercher à manger pendant la nuit et il faut également rapporter de l'eau, faire plus de 6 km pour cela. L'homme qui y va en a pour toute la nuit car le jour, à présent, finit à 9 heures pour reprendre à 3 heures." (id.)

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