Pourquoi ce blog et comment le lire ?
Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
Comment consulter cette page ? Vous pouvez lire progressivement les messages, qui ne respectent pas un ordre chronologique (ils évoquent, par exemple, l'année 1915 ou 1914). Vous pouvez aussi avoir envie de vous attarder sur une année ou un secteur géographique : pour cela, cliquez dans la colonne à gauche dans la rubrique "Pages d'histoire du 36e" sur la période et le lieu qui vous intéressent. Tous les messages seront alors rassemblés pour vous selon l'ordre de publication.
Comment rentrer en contact ? Pour de plus amples renseignements sur ce site, ou me faire parvenir une copie de vos documents, vos souvenirs ou remarques, écrivez-moi. Mon adresse : jerome.verroust@gmail.com. Je vous souhaite une agréable lecture.
Avertissement : Si pour une raison quelconque, un ayant-droit d'une des personnes référencées sur ce site désire le retrait de la (les) photo(s) et des informations qui l'accompagnent, qu'il me contacte.
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28 juil. 2010
"Le temps d'arrêt tant redouté"
Suite et fin du récit de Fernand Le Bailly dans les combats autour de Brimont à la mi-septembre 1914. Avec son camarade Grégoire, de la coloniale, il tente d'enrayer la progression des Allemands.
"Et alors qu'au milieu de ce charnier, de cet enfer sans nom, ils nous eut été si facile à Grégoire et à moi de trouver un autre endroit, un coin où l'on puisse s'abriter davantage… comme le firent du reste les deux seuls officiers qui nous commandaient et que je n'ai jamais vus durant 2 jours ½ et 2 nuits, nous n'avons pas bougé de deux mètres.
Tous les deux nous sommes restés là, à tirer avec cette Cie (compagnie, NDR) formée par divers débris – divers rescapés, au nombre de deux cents environ.
C'est ce jour-là qu'étant couchés coude à coude, à cinq, et tirant sans relâche, vers 4 h du soir, sous une pluie d'obus, un "105" s'abattit sur nous ou à côté, je ne l'ai jamais su.
Grégoire était à ma droite, les trois autres à gauche. Tout à coup, je me sens plonger dans la nuit, je ferme les yeux, un bruit de tonnerre ; je me secoue. J'aperçois la tête de Grégoire sortant de la terre, il me regarde d'un air abruti. Je jette un coup d'œil à gauche, j'aperçois mes trois camarades, toujours couchés, le fusil entre les mains. Je poussai celui qui est à ma gauche et lui crie pour qu'il m'entende : "Comment trouves-tu le chocolat ?" A ma droite, la réponse ne se fait pas attendre, Grégoire vient de retirer un éclat d'obus, d'environ 35 cm de long, enfoui entre lui et moi, il me le présente en criant : "Tiens, v'la l'morceau de la casserole dans lequel on l'a cuit !"
Je ne puis m'empêcher de rire et à nouveau, je secoue mon camarade de gauche. Je m'aperçois qu'il était mort. Quelques instants après, je faisais l'horrible constatation qu'il en était ainsi des deux autres !
Comment les trois malheureux ont-ils été tués ? Ils n'ont pas crié, ils ne portaient trace d'aucune blessure ? Ceci reste et restera toujours un mystère pour moi.
La pluie n'arrêtait pas. Les obus redoublaient d'intensité et tout autour de nous, ce n'était que morts, blessés, sacs et fusils abandonnés cependant que, les Allemands ayant réussi à nous prendre de flanc regagnaient du terrain et cherchaient à nous envelopper.
Il fallait hélas reculer ou se faire tuer sur place jusqu'au dernier. Ce dernier "mode d'emploi" fut le choix de notre colonel. "Tenez, les enfants, tenez ferme jusqu'au bout" , tel fut son ordre qui circula de bouche en bouche. Le drapeau du 36e qui se trouvait le long du canal, derrière nous, venait de recevoir un éclat d'obus – déjà, le colonel l'avait fait entourer de sa garde. L'heure devenait de plus en plus critique. Une charge à la baïonnette sauva de nouveau la situation. De nouveau, les Allemands durent se replier. La nuit arrivant, nous en profitâmes pour nous porter plus à l'arrière, 200 m environ sur la ligne de défense naturelle du canal.
Ah quelle vision, quel spectacle nous était réservé ! Le long de ce canal, ce n'était que morts et blessés – quartiers de bœufs, de moutons, caisses de munitions, sacs remplis de pain et de denrées de toutes sortes. Le tout mélangé à une boue infecte d'où s'exhalait des odeurs ignobles, tandis que des cadavres d'hommes et de chevaux flottant dans ce même canal, nous interdisaient de boire cette eau.
Et nous en bûmes cependant, à longs traits ! Et nous mangeâmes aussi de ce pain en bouillie.
Nous passâmes notre nuit couchés pêle-mêle dans la boue. Vers 3 h du matin, la bataille recommençait (sans doute la nuit du 16 au 17 septembre 1914, NDR). A 9 h, ordre nous arrivait de nous replier sur Merfy.
Comment durant 5 jours, nous nous étions battus sans répit, contenant l'adversaire, le refoulant même, et il fallait céder tout ce terrain si vaillamment défendu ?
Hélas, oui ! C'était l'ordre. Le colonel Bernard, les larmes aux yeux, nous rassembla et nous soutenant les uns les autres, nous longeâmes ce canal pendant 4 km, en bon ordre, muets, incapables de parler car chacun de nous sentait, comprenait que c'était là, pour longtemps, le temps d'arrêt tant redouté.
Ainsi se termina, pour nous, 36e, la belle offensive à laquelle nous prîmes part sur la Marne.
Elle avait duré 14 jours."
Avec cet extrait, le texte de Fernand Le Bailly, long de 63 000 caractères tapés à la machine à écrire, à partir sans doute de notes prises dans les bois de Beaumarais, s'achève. Mon arrière-grand-père, qui connaîtra pratiquement l'intégralité du conflit, n'écrira pas d'autre récit, sinon quelques lettres à ses proches. Ce récit sera transmis à son fils, Jean Le Bailly, qui me le fera parvenir. Qu'il en soit ici remercié à titre posthume.
"Et alors qu'au milieu de ce charnier, de cet enfer sans nom, ils nous eut été si facile à Grégoire et à moi de trouver un autre endroit, un coin où l'on puisse s'abriter davantage… comme le firent du reste les deux seuls officiers qui nous commandaient et que je n'ai jamais vus durant 2 jours ½ et 2 nuits, nous n'avons pas bougé de deux mètres.
Tous les deux nous sommes restés là, à tirer avec cette Cie (compagnie, NDR) formée par divers débris – divers rescapés, au nombre de deux cents environ.
C'est ce jour-là qu'étant couchés coude à coude, à cinq, et tirant sans relâche, vers 4 h du soir, sous une pluie d'obus, un "105" s'abattit sur nous ou à côté, je ne l'ai jamais su.
Grégoire était à ma droite, les trois autres à gauche. Tout à coup, je me sens plonger dans la nuit, je ferme les yeux, un bruit de tonnerre ; je me secoue. J'aperçois la tête de Grégoire sortant de la terre, il me regarde d'un air abruti. Je jette un coup d'œil à gauche, j'aperçois mes trois camarades, toujours couchés, le fusil entre les mains. Je poussai celui qui est à ma gauche et lui crie pour qu'il m'entende : "Comment trouves-tu le chocolat ?" A ma droite, la réponse ne se fait pas attendre, Grégoire vient de retirer un éclat d'obus, d'environ 35 cm de long, enfoui entre lui et moi, il me le présente en criant : "Tiens, v'la l'morceau de la casserole dans lequel on l'a cuit !"
Je ne puis m'empêcher de rire et à nouveau, je secoue mon camarade de gauche. Je m'aperçois qu'il était mort. Quelques instants après, je faisais l'horrible constatation qu'il en était ainsi des deux autres !
Comment les trois malheureux ont-ils été tués ? Ils n'ont pas crié, ils ne portaient trace d'aucune blessure ? Ceci reste et restera toujours un mystère pour moi.
La pluie n'arrêtait pas. Les obus redoublaient d'intensité et tout autour de nous, ce n'était que morts, blessés, sacs et fusils abandonnés cependant que, les Allemands ayant réussi à nous prendre de flanc regagnaient du terrain et cherchaient à nous envelopper.
Il fallait hélas reculer ou se faire tuer sur place jusqu'au dernier. Ce dernier "mode d'emploi" fut le choix de notre colonel. "Tenez, les enfants, tenez ferme jusqu'au bout" , tel fut son ordre qui circula de bouche en bouche. Le drapeau du 36e qui se trouvait le long du canal, derrière nous, venait de recevoir un éclat d'obus – déjà, le colonel l'avait fait entourer de sa garde. L'heure devenait de plus en plus critique. Une charge à la baïonnette sauva de nouveau la situation. De nouveau, les Allemands durent se replier. La nuit arrivant, nous en profitâmes pour nous porter plus à l'arrière, 200 m environ sur la ligne de défense naturelle du canal.
Ah quelle vision, quel spectacle nous était réservé ! Le long de ce canal, ce n'était que morts et blessés – quartiers de bœufs, de moutons, caisses de munitions, sacs remplis de pain et de denrées de toutes sortes. Le tout mélangé à une boue infecte d'où s'exhalait des odeurs ignobles, tandis que des cadavres d'hommes et de chevaux flottant dans ce même canal, nous interdisaient de boire cette eau.
Et nous en bûmes cependant, à longs traits ! Et nous mangeâmes aussi de ce pain en bouillie.
Nous passâmes notre nuit couchés pêle-mêle dans la boue. Vers 3 h du matin, la bataille recommençait (sans doute la nuit du 16 au 17 septembre 1914, NDR). A 9 h, ordre nous arrivait de nous replier sur Merfy.
Comment durant 5 jours, nous nous étions battus sans répit, contenant l'adversaire, le refoulant même, et il fallait céder tout ce terrain si vaillamment défendu ?
Hélas, oui ! C'était l'ordre. Le colonel Bernard, les larmes aux yeux, nous rassembla et nous soutenant les uns les autres, nous longeâmes ce canal pendant 4 km, en bon ordre, muets, incapables de parler car chacun de nous sentait, comprenait que c'était là, pour longtemps, le temps d'arrêt tant redouté.
Ainsi se termina, pour nous, 36e, la belle offensive à laquelle nous prîmes part sur la Marne.
Elle avait duré 14 jours."
Avec cet extrait, le texte de Fernand Le Bailly, long de 63 000 caractères tapés à la machine à écrire, à partir sans doute de notes prises dans les bois de Beaumarais, s'achève. Mon arrière-grand-père, qui connaîtra pratiquement l'intégralité du conflit, n'écrira pas d'autre récit, sinon quelques lettres à ses proches. Ce récit sera transmis à son fils, Jean Le Bailly, qui me le fera parvenir. Qu'il en soit ici remercié à titre posthume.
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