Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
Comment consulter cette page ? Vous pouvez lire progressivement les messages, qui ne respectent pas un ordre chronologique (ils évoquent, par exemple, l'année 1915 ou 1914). Vous pouvez aussi avoir envie de vous attarder sur une année ou un secteur géographique : pour cela, cliquez dans la colonne à gauche dans la rubrique "Pages d'histoire du 36e" sur la période et le lieu qui vous intéressent. Tous les messages seront alors rassemblés pour vous selon l'ordre de publication.
Comment rentrer en contact ? Pour de plus amples renseignements sur ce site, ou me faire parvenir une copie de vos documents, vos souvenirs ou remarques, écrivez-moi. Mon adresse : jerome.verroust@gmail.com. Je vous souhaite une agréable lecture.

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27 mars 2013

L'invité du 36e : Joseph Zimet, "missionnaire" du Centenaire

Joseph Zimet, directeur général Mission du Centenaire
de la Première Guerre mondiale 1914-2014 (photo DR).
A quinze mois des cérémonies du 28 juin 2014 à Sarajevo, qui marqueront l'anniversaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale, la pression monte à la Mission du Centenaire 14-18. Son directeur général, Joseph Zimet, entre un déplacement à Angers, pour l'installation d'un "comité départemental du centenaire", et un rendez-vous à l'ambassade de Grande-Bretagne, nous accueille pour faire le point sur l'avancement de son programme commémoratif. Pas de temps à perdre : nous avons une heure devant nous, montre en mains…

Dans la perspective du centenaire de la Première Guerre mondiale, des comités départementaux (CDC) ont été installés dans chaque département français afin de coordonner les actions du Centenaire de chaque territoire. Sait-on combien de comités ont été créés à ce jour ? 
92 comités ont été institués dans les départements français. C'est un indéniable succès... 

Pour quelles raisons certains départements ne se sont pas dotés de comités ? 
La circulaire du ministère de l'Intérieur du 20 avril 2012, relative à la création des comités départementaux du centenaire, n'est pas coercitive : elle suggère que dans les départements qui se sentent concernés, les préfets mettent en place un comité. Dès l’été 2012, une cinquantaine de comités ont ainsi été créés. Nous avons été très surpris par cet engouement. Pour autant, un certain nombre de départements n'ont pas encore constitué de CDC : c’est le cas notamment de la Manche, du Calvados, du Lot et du Gard. Il y a par ailleurs un certain nombre de départements qui ne sont pas en position de refus mais qui n'ont encore réuni leur CDC : c’est le cas des Alpes-Maritimes, de la Haute-Corse, de la Vienne, de la Haute-Vienne et du Gers.

Comment se passe le travail au sein de ces comités départementaux du centenaire ? 
Depuis l’été 2012, ils sont au travail pour la préparation du Centenaire. Dans les départements du front, pour des raisons évidentes, la dimension tourisme de mémoire et toutes les questions tournant autour de la valorisation du patrimoine sont très présentes. Dans ces territoires, la plupart du temps, le CDC met en synergie ou en cohérence des actions qui sont engagées depuis plusieurs années déjà. 

Et dans ceux de l'"arrière-front" ? 
La situation est différente dans ces départements. Nos interlocuteurs se sentent parfois démunis par rapport aux départements du front. Il faut alors les encourager. Paradoxalement, les projets de l'"arrière-front" sont souvent plus "créatifs". Ils bénéficient d'une bonne implication des archives départementales, des universités locales, de la communauté éducative, des élus locaux.

Quel va être le calendrier pour les CDC dans les mois qui viennent ? 
Dans chaque département, une date butoir a été donnée afin qu’ils nous fassent remonter leurs projets. Une fois cette date expirée, le CDC devra effectuer une synthèse et une mise en cohérence des travaux qui lui auront été remis. Le 1er juin, les préfets feront remonter à la Mission du Centenaire les demandes de labellisation qui auront été actées par les membres du CDC.

Sur quels critères un projet recevra-t-il cette labellisation ? 
Afin d’accompagner l’ensemble des projets développés dans le cadre de la préparation du centenaire de la Première Guerre mondiale, la Mission du centenaire a créé un label "Centenaire" pour distinguer les projets les plus innovants et les plus structurants pour les territoires. Je précise que cette labellisation permettra en outre aux projets retenus de figurer sur le programme national officiel des commémorations du Centenaire et d’être éligible à un financement de la Mission du Centenaire. Il y a aura deux niveaux de sélection pour la labellisation : au niveau des comités départementaux, sous l’autorité des préfets, à partir d'une grille de critères portant sur la créativité, la valorisation du patrimoine, l'attractivité touristique… (lire sur le site de la Mission). Ensuite, il y aura une labellisation au niveau de la Mission, par une commission de labellisation ad hoc.. Nous rendrons nos arbitrages pendant l'été. En novembre 2013, nous serons ainsi en mesure de proposer un véritable catalogue des projets de la "saison Centenaire". 

Cette labellisation entraînera-t-elle obligatoirement un financement ? 
La labellisation rendra éligible à un financement, qui ne sera toutefois pas obligatoire. Ce financement sera décidé à l'automne, après le train de labellisation des projets. 

Certains critères dans la labellisation sont-ils plus importants que d'autres : l'originalité, l'innovation... 
Non. Nous ne pondérons pas ces critères. En règle générale, on "sent" la qualité d'un projet lorsqu'il est bien pensé et bien orienté. 

Au final, ne risque-t-on pas de se retrouver avec plus de cérémonies et dépôts de gerbes que d'expositions ? 
Je ne le crois pas. Les grands animateurs du Centenaire sont les acteurs culturels et scientifiques, appuyés par les collectivités territoriales, les archives départementales, les musées, les scènes nationales, les festivals, les collèges, les lycées... Ce Centenaire sera nettement culturel, scientifique et pédagogique, avec des projets tournant autour de la mémoire, de la valorisation patrimoniale, culturelle, scientifique. Par ailleurs, les maires vont certainement inaugurer un maximum de projets, qui ne seront pas forcément des défilés, avant les municipales de mars 2014. Paris prépare ainsi cinq grandes expositions sur le thème de la Première Guerre mondiale entre janvier et février 2014. 

Comment dois-je m'y prendre si je souhaite faire aboutir un projet dans mon département ? 
Il faut que vous rentriez en contact avec le préfet ou le référent du CDC de votre département. Si vous écrivez à la Mission, nous vous mettrons en contact. Si vous résidez à Paris et que vous avez un projet d'exposition nationale ou un projet multisite, nous traiterons votre demande en direct dans le cadre d’un comité dédié. 

Et pour les projets scolaires ? 
Afin de rassembler tous les acteurs territoriaux de la communauté éducative, nous avons créé, sous l'autorité des recteurs, des comités académiques du Centenaire. Ils préparent l'accompagnement et la sélection des projets et les font remonter à la commission pédagogique du conseil scientifique de la Mission, qui est animée par Laurent Wirth, doyen honoraire du groupe histoire et géographie de l’Inspection générale de l’Education nationale. 

Votre rapport, remis au président de la République en septembre 2011, pour commémorer le centième anniversaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale, proposait la conduite par l'État de trois grands projets pour le centenaire : un projet d'inscription des paysages et sites de mémoire de la Première Guerre mondiale à l'Unesco. Où en est-on aujourd'hui ? 
Ce projet est aujourd’hui piloté par une association, Paysages et sites de mémoire de la Grande Guerre, qui ne dépend pas de la Mission du Centenaire. A ma connaissance, le travail de recensement et de capitalisation des ressources autour des principaux sites est avancé. J'ai vu notamment des fiches sur les départements de l'Oise et de l'Aisne d'une très grande qualité. Toutefois, une campagne pour un classement au patrimoine mondial de l’Unesco est un processus long et ardu… Il faut notamment prouver la dimension exceptionnelle et universelle de ce patrimoine. L’association devra aussi préciser sa stratégie : que veut-on classer ? Veut-on tout classer et, quand bien même, le peut-on ? Quelle est l'échelle géographique de classement : le front de l'ouest ? L'Europe ? Le monde ? On imagine aisément que les Russes vont souhaiter classer la ville de Kaliningrad, les Turcs les plages de Gallipoli, etc. Pour la France, il y a concurrence avec d'autres projets comme les plages du Débarquement. Bref, les obstacles techniques ne sont pas négligeables. Enfin il ne faudrait pas que l'attention des élus se focalise exclusivement sur ce projet au long cours, au détriment de la préparation concrète et immédiate du Centenaire. 

Qu'en est-il du grand chantier de numérisation d'archives individuelles de la Grande Guerre ? 
Le service interministériel des Archives de France pilote ce dossier sans l'aide de la Mission du Centenaire. Il faut savoir que ces archives ont été versées aux archives départementales, qui sont placées sous l’autorité des conseils généraux (CG). Dans 50 % des cas, les Archives départementales ont amorcé la numérisation des registres matricules sans l’aide de l’Etat. Certains conseils généraux les ont déjà mis en ligne. Cette campagne est donc morcelée et soulève des difficultés d’ordre techniques, financières et juridiques. J'espère que le ministère de la Culture parviendra à les résoudre. L'enjeu est de taille, puisque l’ambition initiale consistait à créer un portail national, susceptible de présenter au public l'ensemble des registres matricules, soit environ 8 millions de dossiers. En somme, comme souvent pour le Centenaire, les départements n’ont pas attendu l’Etat… 

Enfin votre rapport évoquait la mise en place d'une commission de réflexion sur la question des fusillés pendant le conflit... 
Sur la question des fusillés, aujourd'hui, peu de choses échappent à la connaissance "savante" : des travaux de Guy Pedroncini à ceux de Nicolas Offenstadt, en passant par ceux du général André Bach – je ne peux pas tous les citer... En revanche, le grand public, lui, ne sait pas encore. Il est entretenu dans une forme de confusion par les médias, qui opèrent souvent un amalgame mutins-fusillés, en faisant parfois fi de cinquante ans de recherche, et entretiennent un halo de mystère autour de ce dossier soi-disant "tabou". Il n'y a pourtant aucun secret : les archives sont librement communicables à Vincennes, et un certain nombre de ces fusillés sont d'ores et déjà inscrits sur les monuments aux morts. Nous devons donc inventer le processus civique ou politico-mémoriel pour faire disparaître cet obstacle entre mémoire savante et représentations du grand public. Et résoudre le débat sur les modalités de sortie de ce dossier : il y a ceux qui prônent un scénario juridique (réhabilitation, amnistie, grâce, etc.), et d'autres, dont je fais partie, qui militent pour un scénario de sortie culturelle et scientifique... J'ai proposé la création d'une commission pour que naisse un processus mémoriel dans le pays sur cette question. Cette proposition n'a pas été retenue pour le moment, mais je ne désespère pas… 

Que répondez-vous à ceux qui estiment que la France avance trop lentement dans la préparation du centenaire de la Première Guerre mondiale ? 
Ce que l'on attend aujourd'hui, c'est la décision gouvernementale sur les grands événements nationaux de l’année 2014. Il ne faut pas oublier qu'il y a eu une alternance au printemps 2012. Le gouvernement a changé. Il a légitimement souhaité porter une appréciation nouvelle sur ce qui devait être mis en œuvre pour l’année 2014, et au-delà. Nonobstant ce processus de remise à plat des grands rendez-vous officiels de 2014, les préparatifs du Centenaire se poursuivent partout en France et l'État n'est pas absent de ce processus. Il est inversement au cœur des préparatifs dans les territoires. N'oubliez pas qu'il est à l'origine de la création des comités départementaux du Centenaire... Il faut regarder la situation dans les autres pays : la Nouvelle-Zélande vient tout juste de recruter son directeur général, la Belgique possède trois comités d’organisation plus ou moins avancés dans leurs préparatifs, l'Allemagne se cherche, les États-Unis viennent de créer un comité pour le Centenaire et de désigner ses membres... 

Certains pays, comme la Grande-Bretagne ont tout de même annoncé consacrer au centenaire d'importants moyens... 
En octobre dernier, le Premier Ministre, David Cameron, a annoncé que l'Angleterre consacrerait un budget de 50 millions de livres (62 millions d'euros) pour le Centenaire. C'est un chiffre impressionnant, mais il faut l’analyser en détail. Ce chiffre inclut par exemple 35 millions de travaux de rénovation de l’Imperial War Museum, à Londres. Si on regarde finement les choses, on voit ainsi que le gouvernement britannique, hors financement privé, a débloqué moins de 10 millions de livres de "cash" pour l’ensemble de la période du Centenaire. Si on applique la même méthode de calcul pour la France et qu’on inclut, par exemple, les budgets de rénovation des nécropoles militaires sur la période 2012-2018 (30 M€) où un effort de 30% a été consenti par le ministère de la Défense, on obtient un chiffre beaucoup plus élevé. Si on y ajoute les budgets de la Mission du Centenaire, les dépenses des collectivités territoriales, des musées, des acteurs privés (production audiovisuelle, publications, etc.), on obtient un chiffre global qui est proche de 120 M€. Ceux qui prennent appui sur les annonces du Premier Ministre britannique pour critiquer les préparatifs en France et le soi-disant manque d’ambition de notre pays pour le Centenaire devraient être plus prudents. Les bloggeurs compulsifs devraient faire preuve de plus de discernement dans leurs analyses et les fonder sur des faits et des sources précis. En l’occurrence, les chiffres de la Grande-Bretagne ont été pris pour argent comptant. Or, les annonces du Premier Ministre britannique ont fait sourire beaucoup de hauts fonctionnaires et de praticiens du Centenaire en Grande-Bretagne, avec lesquels j’échange quotidiennement des informations. Cela étant, la déclaration de David Cameron ne manquait pas de souffle et j’espère que le moment venu, les plus hautes autorités de notre pays s’exprimeront à leur tour.

Quel est le risque pour le Centenaire en France ? 
Le risque principal, et que l'on doit à tout prix éviter, c'est que l'État soit en déconnexion avec la société. La société française dans son ensemble va entrer dans la commémoration du Centenaire dès l'automne 2013. L'État ne doit pas commettre l'erreur de ne commémorer que les batailles, sinon il y aura huit mois de décalage entre l'État et la société. Or, la force de la commémoration à venir, c'est l'union sacrée, si vous me passez l'expression, entre l'État et la société. Il faut impérativement trouver un modèle commémoratif qui gère cette dialectique entre l'État et la société. Le Centenaire n’est pas un anniversaire décennal amélioré. Il est, sui generis, il a sa force intrinsèque. Notre problème, sur le plan de l'organisation, sera de gérer cette dichotomie entre une commémoration sociétale et une commémoration d'Etat. C'est pour cette raison que l'année 2014 est une année fondamentale, car c'est une année d'ouverture, l'occasion d'offrir une vision globale, pédagogique, aux Français (lire ici l'analyse du programme commémoratif par le conseil scientifique, sur le site de la Mission du Centenaire). C'est pour cette raison qu'avant de rentrer dans le tunnel commémoratif, qui s'imposera de lui-même, il est nécessaire de proposer quelque chose de différent et d’ambitieux pour entrer dans le cycle commémoratif.




16 mars 2013

36e : portrait de groupe

Qui étaient les soldats du 36e RI ? Depuis la création de cet espace, cette question sous-tend peu ou prou l'écriture de chaque billet, s'attachant à des individus et des lieux où s'est battue l'unité. Un exercice limité sachant qu'un régiment est un groupe de plus de 3000 hommes dont le recrutement, assez homogène en août 1914, fut profondément modifié par l'apport de renforts tout au long de la guerre. L'unité, dont le casernement était à Caen, était-elle pour autant "normande" ? Pour tenter d'en savoir plus, près de 3600 patronymes de soldats de cette unité ont été collectés au fur et à mesure de mes recherches, et autant de fiches individuelles du site Mémoire des Hommes. Les travaux de Gilles Saucier sur le Calvados, de Xavier Bocé sur la Seine-Maritime, du Collectif Artois et du spécialiste de la démographie historique Jacques Renard, qui m'ont tous les quatre spontanément envoyé leurs travaux sous forme de tableaux, ont été d'indispensables apports à cette entreprise. Mais encore fallait-il unifier ces études...

Quelle méthode ? A partir des fiches rassemblées, les tableaux qui me sont parvenue ont été complétés et fusionnés. D'autres ont été créés pour tous les départements français, à l'aide notamment de la base Memorial GenWeb. Un document a donc été établi portant pour chaque soldat du 36e régiment d'infanterie "mort pour la France" son nom, prénoms, année et lieu de naissance. D'un point de vue strictement militaire, le grade, l'année de recrutement, date et lieu de décès, ainsi que le type de mort ont également été collectés. Au final, les résultats permettent d'en savoir plus sur les combattants du 36e régiment d'infanterie. Mais cet outil demeure perfectible... Les fiches Mémoire des Hommes sont en effet parfois émaillées de petites erreurs : erreur d'unité (soldat du 336e RI affecté au 36e RI), lieu de naissance pas toujours clairement identifié, erreur de département, méprise dans la date de décès... Ces attributions erronées sont rares, mais elles existent. Il n'en reste pas moins que cet outil permet de dessiner quelques grandes tendances.

De quel département est originaire le soldat du 36e RI ? Première surprise, le 36e RI n'est pas strictement le régiment du Bas-Calvados que l'on prétend. Si l'on retient les individus nés dans le département, sans tenir lieu de leurs déplacements ultérieurs, ils sont principalement natifs de la Normandie... avant le partage de ce territoire en 1790. Sur les trois premières marches du podium, on trouve ainsi le Calvados (982 fiches soit 27 %), la Manche (788 soit 22 %), et la Seine-Maritime (413, 11 %), trois entités à cheval sur deux régions militaires en 1914 (la 3e et la 10e région). Dans le premier département, certaines communes se détachent par le nombre de soldats, tels Trouville-sur-Mer, Condé-sur-Noireau, le petit village de Littry... En Manche également, à Hambye, BrixLoin, Sainte-Marie-du-Mont... En quatrième position figurent les soldats de Paris (223, 6%), dont est issu Jean Hugo, avant de retrouver les départements de l'Orne (105 fiches), Eure (134 ), puis les Yvelines (75 fiches, sachant que ce département s'appelait auparavant la Seine-et-Oise avec une zone de recrutement plus grande que les Yvelines actuelles). Originaires en majorité de bourgades, voire de hameaux, les soldats du 36e RI viennent aussi des villes : Paris (161 fiches), Caen (102), Le Havre (73), Rouen (44), Cherbourg (24)...

Le critère de l'âge Si l'on ne tient pas compte des chefs de bataillon Eugène Roig (1859) et Auguste Bouleis (1862), morts dans les deux premières années de la guerre, le soldat le plus âgé "mort pour la France" du 36e régiment d'infanterie est à ce jour le sergent parisien Charles Colusse, tué à 53 ans en Artois et dont nous aurons à reparler un jour prochain. Mais il s'agit ici de cas extrêmes : si l’on compare la proportion des pertes selon l’année de naissance par rapport au total des décès, le plus gros contingent demeure celui né entre 1888 et 1895 (2021 fiches), soit des soldats qui ont entre 19 et 26 ans en 1914. Un autre segment important comprend les soldats nés entre 1880 et 1884 (737 fiches), une classe d'âge où le soldat est théoriquement dans la réserve de l'armée d'active ou dans la territoriale. Nous pouvons donc imaginer que le 36e régiment d'infanterie est plutôt un régiment d'hommes dans la force de l'âge. Les classes d'âges de recrutement suivent évidemment la même courbe : les années les plus représentées sont 1908 à 1915, en majorité dans la ville de Caen (775 fiches), Cherbourg (421), Saint-Lô (301), Le Havre (238). Plus loin encore, les soldats du 36e sont aussi recrutés à Versailles, Falaise, Rouen Nord...

Le monument aux morts du Havre. 238 soldats de la ville sont morts
au 36e RI (photo courtesy of Xavier Bocé)
Cinq années de guerre Le premier soldat du 36e RI déclaré "Mort pour la France" est le Calvadosien Désiré Brière, mort d'une fracture du crâne le 8 août 1914, à Lisieux. Le dernier est également Normand : il s'agit de Victor Esnault, décédé des suites d'une "maladie" à l'ambulance 1/96 d'Avesnes, le 4 juin 1919. Si l'on suit la courbe des pertes de l'unité qui va de 1914 à 1918, celle-ci s'envole dès 1914 (986 soldats) et atteint un point culminant en 1915 (1249), avant de baisser en 1916 (734) et de s'effondrer en 1917 (124), sans doute en raison des "mutineries" et du faible engagement au Chemin des Dames. La dernière année de guerre voit à nouveau une progression, avec près de 500 morts recensés. Sans surprise dans ces résultats, près de 71 % des combattants sont déclarés "tués" au combat ou à l'ennemi, le reste se répartissant entre les morts par blessures (20 %), par maladie (7%) et les disparus (2%). De même, la grande majorité des décès concerne les soldats du rang (90 %, en comptant les 8% de caporaux). Elle est rejointe par les sergents, dont 196 fiches ont été rassemblées (6 %). Pour les officiers subalternes (3 %), 9 capitaines, 19 lieutenants et 60 sous-lieutenants ont été identifiés. A noter enfin, que le 36e RI compte six chefs de bataillons morts pendant la guerre, dont quatre en Artois.
Sur les 2583 soldats mentionnés comme "tués", 37 % tombe en Artois pour la conquête du village de Neuville-Saint-Vaast, début juin 1915, dans les combats autour de Souchez, le 22 juin, et lors de l'offensive de septembre 1915 dite du plateau de la Folie. Les périodes qui encadrent cette période se montrent également léthifères : plus de 400 soldats (17 %) vont trouver la mort lors de l'assaut sur Charleroi en août 14, et à Verdun, au mois d'avril et mai 1916, 478 hommes vont perdre la vie (19 %). Enfin, lors de l'année 1918, deux secteurs vont enfin se montrer funestes : les combats sur l'Aronde et l'avance sur Lassigny, tous deux situés dans l'Oise.
Si vous souhaitez connaître le nom des soldats du 36e RI de votre commune, n'hésitez pas à rentrer en contact.
Merci à Arnaud Carobbi et Xavier Bocé pour leurs remarques sur ce billet.