Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
Comment consulter cette page ? Vous pouvez lire progressivement les messages, qui ne respectent pas un ordre chronologique (ils évoquent, par exemple, l'année 1915 ou 1914). Vous pouvez aussi avoir envie de vous attarder sur une année ou un secteur géographique : pour cela, cliquez dans la colonne à gauche dans la rubrique "Pages d'histoire du 36e" sur la période et le lieu qui vous intéressent. Tous les messages seront alors rassemblés pour vous selon l'ordre de publication.
Comment rentrer en contact ? Pour de plus amples renseignements sur ce site, ou me faire parvenir une copie de vos documents, vos souvenirs ou remarques, écrivez-moi. Mon adresse : jerome.verroust@gmail.com. Je vous souhaite une agréable lecture.

Avertissement : Si pour une raison quelconque, un ayant-droit d'une des personnes référencées sur ce site désire le retrait de la (les) photo(s) et des informations qui l'accompagnent, qu'il me contacte.

27 janv. 2011

Pierre Masse : pour mémoire (I)

Pierre Masse, photographié pendant l'hiver 1915 par Fernand Le Bailly
dans les bois de Beaumarais.
27 janvier, journée de commémoration de l'Holocauste et date de libération du camp d'extermination d'Auschwitz. A cette occasion, relisons l'une des dernières lettres du capitaine Pierre Masse, sous-lieutenant au 36e RI en 1915, lettre envoyée de Drancy à sa famille peu de temps avant sa déportation  dans ce camp par le convoi n° 39 le 30 septembre 1942.

"Ma femme chérie,
Je pars, probablement pour toujours. Je t'aime et te remercie du plus profond de moi. Je bénis mes enfants que j'adore. Je te recommande à eux. J'ai fait mon devoir. Je paie mon attachement à la France. Je ne regrette qu'elle et vous. Ne pleure pas trop. Je mourrai en soldat. Embrasse maman et les nôtres. Je t'adore. Si j'ai des petits-enfants, tu les embrasseras pour moi. Jacques, Marie-Thérèse, Philippe, je vous aimais profondément, mes petits. Portez bien mon nom que je vous transmets intact. Au revoir ma Marie que j'aime, en ce dernier moment, comme jamais. Pierre"

(A suivre...)

26 janv. 2011

Le flâneur... au bar du 36ème

Je n'ai jamais dormi à l'hôtel du maréchal Joffre, à Biarritz, à l'accueil et au service "courtois" aux dires de l'édition électronique du Petit Futé, tout comme je n'ai jamais écouté Panique au Mangin Palace, l'émission de France Inter, ni bu "La Bière du Poilu", brassée en Lorraine. Mais je ne manquerai pas, la prochaine fois que mes pas me porteront Caen, d'aller voir "Le bar-brasserie du 36ème". Situé rue Saint-Jean, l'établissement doit son nom à la proximité avec la place du 36e régiment d'infanterie, au bord de l'Orne, dans le coeur historique de la ville. Du quartier, hier fréquenté par les soldats qui descendaient du château, où ils étaient casernés, il ne reste rien. Les bombardements de juin-juillet 1944 ont tout rasé. Mais il s'agissait alors d'une autre guerre.

Merci à Stéphanie et Xavier pour leur photo.

22 janv. 2011

Retiens l'ennui

En décembre 1915, Fernand le Bailly trompe sans doute la morosité
en se promenant autour de l'église de Chaudardes, mais il échappe,
de peu, à un obus de 77 qui écrase une tombe à proximité.
Avril 1915. A Beaumarais, les jours passent et se ressemblent. Côté Français, les patrouilles et reconnaissances se succèdent avec un mot d'ordre renouvelé : "faire le plus de mal à l'ennemi au moyen de bombes, fusils de chasse et de détruire (ses) défenses accessoires". Hormis l'ennemi, accroché aux contreforts du plateau de Craonne, il est difficile de ne pas imaginer les Normands aux prises avec un bien plus terrible ennemi, insaisissable et mystérieux, l'ennui. Pour combattre ce mal inconnu, les soldats s'occupent comme ils peuvent dans leurs abris pouilleux, entre deux courts sommeils de quelques heures : manger, écrire au pays, astiquer son fusil... Un article paru dans la rubrique "Notre Courrier", de l'hebdomadaire Le Bonhomme Normand, "journal des événements, bruits, et nouvelles du Calvados, Orne, et Manche", en date du 23 avril 1915, évoque, parfois avec condescendance, cette lassitude.

"NOTRE COURRIER
"Ce n'est pas en vain, nous le savons, que nous faisons appel à la générosité de nos lecteurs et nous n'hésiterons pas à y recourir parfois encore, en y mettant toute la discrétion voulue, lorsque ceux pour qui nous solliciterons sembleront vraiment dignes d'intérêt. Voici par exemple, une demande émanant d'un caporal du 36e, nous la transmettons avec empressement.
Monsieur le Directeur,
Ne pourriez-vous publier dans vos colonnes quelques mots destinés à ceux de vos lecteurs qui voudraient bien disposer, en notre faveur, de quelques jumelles de théâtre ?
Les donateurs nous rendraient, à mes camarades et à moi, un signalé service, car beaucoup d'entre nous, peu fortunés et ne touchant pas, comme les officiers et sous-officiers, la prime de guerre, ne peuvent se procurer cet indispensable instrument qui nous permet à nous, chefs de patrouille, de sauver de nombreuses et précieurse existences.
Dans l'espoir que vous donnerez satisfaction à notre demande.
Veuillez agréer nos remerciements sincères.
*
* *
"C'est ensuite une autre lettre, d'un simple soldat du même régiment, cette fois, et, tout naturellement, elle nous fait part d'ambitions moins hautes.
Monsieur,
Etant dans un bois situé dans une certaine région et n'ayant aucune facilité pour pouvoir nous procurer quelques distractions, bonnes à faire passer le temp, je vous serais bien reconnaissant de vouloir bien nous envoyer, si cela est possible, quelques jeux de cartes ou quelques illustrations de façon que l'on puisse se distraire à son gré, pendant que les Boches nous enverront des marmites, chose qui n'a aucune influence sur le moral de tous les soldats de notre régiment. Veuillez agréer, à l'avance, M. le directeur, l'assurance de mes remerciements.
"Vous voyez ce que nous demandent ces braves enfants : des images pour passer le temps, des jeux de cartes pour faire une manille, une paire de jumelles pour dépister l’ennemi et leur aider à sauver leur peau... Nous n'insistons pas, on nous a compris. Si, comme nous l'espérons, nous recevons quelques-uns de ces objets, nous les transmettrons aussitôt à leurs heureux destinataires.
*
* *
Il paraît que la privation de lectures, c'est ce dont nos "Bonshommes" souffrent le plus.Tous réclament des livres et des journaux, à preuve cette autre lettre :
Monsieur le directeur,
Voulez vous bien permettre à un lecteur assidu, en temps de paix,, du Bonhomme Normand, de vous demander une petite faveur. J'habite Colleville-sur-Orne et, depuis le mois d'octobre, je suis dans les tranchées, ainsi que beaucoup de camarades normands. Pendant les quelques jours de repos que nous prenons en arrière des ligne, bien souvent nous nous ennuyons. Il nous faudrait quelque chose à lire, c'est ce qui nous manque le plus. Si quelquefois vous pouviez nous envoyer quelques brochures, cela nous ferait plaisir. J'espère que vous voudrez bien prendre ma demande en considération, et je vous prie d'agréer, etc."

16 janv. 2011

Beaumarais, une citadelle passée aux oubliettes


5 avril 1915. Toute la journée, dans ce qui forme aujourd'hui le pré Turquin, au sud de la ferme du Temple, la 1re compagnie du génie du 3e bataillon du 3e régiment de génie double et renforce le réseau de fil de fer entre la butte de l'Edmond et l'est des bois de Beaumarais. Depuis l'arrivée du régiment dans le secteur et avec la fixation du front, la bois offrent désormais une nouvelle physionomie. En quelque mois, le massif forestier est devenu un véritable camp retranché.
Un changement d'apparence qui ne doit rien au hasard : le 11 février, Mangin, général commandant la 5e division d'infanterie, prescrit par la note n°1509/3 de tirer parti du saillant formé par les bois dans les lignes ennemies. Quelques jours plus tard, Viennot, commandant la 10e brigade, propose dans une note que l'on découvre aujourd'hui au Service historique de la défense (SHD), de "poursuivre l'encerclement de tout le périmètre du bois et le transformer en un grand centre de résistance, réellement fermé." Pour ce faire, il préconise de "clore les lisières en avant desquelles n'existent pas des défenses accessoires" à l'aide de treillage de 2 m de haut. Il poursuit : "Quelques nouvelles tranchées seraient en outre construites sur les lisières au N.O. de la ferme du Temple. Il y aurait lieu de cercler également le Bois au sud de la deuxième ligne, qu'entreprend actuellement le Génie." Mais le petit peuple travailleur n'a pas attendu les notes de Viennot pour transformer Beaumarais en citadelle. Une lecture du JMO de la 1re compagnie du 3e bataillon montre la progression des travaux les plus récurrents, mois après mois.
La 5e division d'infanterie à peine débarquée en décembre, les sapes inondées sont asséchées et assainies, des abris sont organisés, certains à l'épreuve pour le personnel officier, comme au château de Pontavert, régulièrement bombardé, d'autres pour les mitrailleuses en lisière nord des bois. En janvier, les réseaux sont consolidés, des abris pour canons de 37 et 75 mm sont aménagés, toujours sur la bordure septentrionale du bois. Les travaux de réfection du mont Hermel, sur instruction du capitaine Lucien, démarrent, ainsi qu'à la cote 120. Ils seront poursuivis en février, ainsi que le renforcement des réseaux en avant des premières lignes. Ce même mois, en application de la note de Viennot, la deuxième ligne est équipée. Le site de la butte de l'Edmond, au sud de la ferme du Temple, est installé -il deviendra un point d'appui. Des réseaux fixes, doublés de treillages métalliques de deux mètres de haut, sont posés tout au long de cette ligne qui traverse d'est en ouest les bois de Beaumarais. Avec le premier mois du printemps, cette deuxième ligne est hérissée de réseaux de fil de fer. Les champs de tirs des clairières de cette deuxième ligne sont dégagés et déboisés. Des pièges "sphériques et cubiques" sont posés. Dans le no man's land, le petit poste d'écoute, qui a été capturé le 12 janvier dernier par le sous-lieutenant Charles Osmond, reçoit un dispositif d'explosifs. Enfin, une ébauche de troisième ligne est dessinée autour des villages de Chaudardes et Pontavert est dessinée : des tranchées de tir et en gabionnades sont ouvertes, des créneaux dans les murs sont pratiqués. Les derniers "grands travaux" s'achèvent en mars.
Le 36e RI n'est pas en reste et participent largement à ces travaux, comme en témoignent des compte-rendus conservés aujourd'hui au SHD. Le 2 avril, la deuxième section de la 5e compagnie, du lieutenant Marcou, construit ainsi "une sape pour sentinelle", la troisième s'occupant de la "réfection d'une tranchée éboulée par un obus". En quelques phrases, Paul Cazin, au 29e RI et dans un autre secteur géographique, décrira ces corvées : "Les «hommes fourmis» circulent, chargés de rondins, de claies, de caillebotis travaillés à l'arrière et qui vont étayer les parapets qui s'effondrent, faire office de planchers dans les fosses de boue où les jambes s'enlisent… Un immense plateau… Au milieu le boyau que nous sommes chargés de creuser, à peine ébauché à certains endroits… Dieu qu'il fait froid ! Tout ce monde, couverture sur la tête, ressemble à un campement d'Arabes. On se relaie de deux heures en deux heures… Ceux de la section voisine sont là au fond, tout de leur long sur la terre, ronflant. «Debout… à vous de prendre»." De ces mois de travail dans les bois de Beaumarais, il ne reste rien aujourd'hui, sinon quelques vestiges rabotés par quatre-vingt seize années de pluies et de feuilles accumulées.

(Illustrations : Cyclopaedia, or an Universal Dictionary of Arts and Sciences, vol.1, 1728)