Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
Comment consulter cette page ? Vous pouvez lire progressivement les messages, qui ne respectent pas un ordre chronologique (ils évoquent, par exemple, l'année 1915 ou 1914). Vous pouvez aussi avoir envie de vous attarder sur une année ou un secteur géographique : pour cela, cliquez dans la colonne à gauche dans la rubrique "Pages d'histoire du 36e" sur la période et le lieu qui vous intéressent. Tous les messages seront alors rassemblés pour vous selon l'ordre de publication.
Comment rentrer en contact ? Pour de plus amples renseignements sur ce site, ou me faire parvenir une copie de vos documents, vos souvenirs ou remarques, écrivez-moi. Mon adresse : jerome.verroust@gmail.com. Je vous souhaite une agréable lecture.

Avertissement : Si pour une raison quelconque, un ayant-droit d'une des personnes référencées sur ce site désire le retrait de la (les) photo(s) et des informations qui l'accompagnent, qu'il me contacte.

29 nov. 2009

Roger Couturier, la plume brisée



(Ci-contre : le jeune Roger Couturier. Merci à Victor, Emmanuel et Stéphan Agosto qui ont rendu ce billet possible).


La mémoire de Roger Couturier, soldat du 36e régiment d'infanterie, ne se découvre plus aujourd'hui que par bribes. Son épitaphe* figure encore peu ou prou sur son tombeau, dans le petit cimetière parisien de Passy (divison 8), à quelques pas de la tombe de Maurice Genevoix et du colossal monument de Paul Landowski sur la Grande Guerre. Et son patronyme orne enfin une des plaques qui évoque les 546 écrivains "représentants de la pensée française morts pour la patrie", apposées de chaque côté du choeur du Panthéon de Paris. Autant dire que le souvenir de ce jeune garçon est bien ténu. Et sans le travail de sa mère, Geneviève Couturier, qui, en 1915, entreprit de recueillir et publier le journal et les lettres que son fils lui adressa de la fournaise, dans un petit ouvrage intitulé Un soldat de la Grande Guerre, on serait bien en peine d'invoquer ce jeune garçon, mort à dix-sept ans à Neuville-Saint-Vaast.
Né le 15 octobre 1897, Roger Couturier appartient à une famille aisée. Il grandit dans l'ouest parisien et, à l'âge de 8 ans, se voit admis au collège des pères maristes de Passy. "D'une grande timidité, d'une extrême sensibilité", selon sa mère, l'enfant se tient à l'écart des autres. Sa mauvaise santé contraint ses parents à l'éloigner de la capitale. En 1907, il est placé à l'institut Saint-Vincent de Senlis, où l'adolescent reste deux ans. De retour à Paris, il passe la première partie du bac philosophie. Profondément croyant, grand admirateur d'Albert de Mun, il est tenté par le sacerdoce, mais la déclaration de guerre bouleverse ses plans. Il veut s'engager. Son père mobilisé, il se retrouve seul avec sa mère.
Les premiers jours de la guerre l'emplissent d'une profonde inquiétude. Le 4 août, lors de l'enterrement de Jaurès, il stigmatise dans son journal "les discours pseudo-idéalistes" et les "utopies" du tribun socialiste. Il accueille la victoire sur la Marne avec soulagement et souhaite mourir pour son pays - "Mourir pour une telle cause, ce n'est pas mourir, c'est se continuer." Le 16 octobre, contre l'avis de sa mère, il se présente au bureau de recrutement, mais est refusé. Il obtient de passer le conseil de révision en décembre, où il est enfin déclaré apte. Dès lors, il choisit l'infanterie - "l'arme la plus belle, car elle donne tout sans compter sur d'autres forces que la sienne, l'arme des héros" - et le régiment du Calvados : le 36e RI.
Il part le 9 janvier à Caen, et après quelques jours passés au dépôt du régiment, il est envoyé à Potigny, où la classe 1915 a déjà commencé son instruction. Elève caporal, il passe les épreuves et repart pour le dépôt le 19 avril, où il endure la vie de caserne. Il fait mettre son nom sur la liste des partants pour le bataillon de marche, mais celui-ci est retiré, au prétexte qu'il est trop jeune. Enfin, le 18 mai, il apprend son départ pour le front. Lors de son voyage, le 20 ami, il se lie d'amitié avec le "lieutenant E..." (Roland Engerand, fils de Fernand Engerand - député du Calvados -, qui a été blessé au mois de septembre, à l'attaque du fort de Brimont, près de Reims).

* "Ici repose Roger Marie Couturier, engagé volontaire au 36e d'infanterie, tombé glorieusement à Neuville-Saint-Vaast, le 23 juillet 1915 à l'âge de 17 ans et demi. Médaille militaire et croix de guerre."

(A suivre...)

22 nov. 2009

Le cas étrange de l'adjudant Houette

Service historique de la défense, fort de Vincennes, Paris. Dans le chuintement des appareils photos numériques et le frémissement des vieux papiers, d'étranges récits émergent quelquefois des brumes du passé. Quelques fragments assemblés, à la manière d'un puzzle, racontent l'étonnante histoire des deux frères Houette, natifs de Caen, partis à la guerre dans les rangs du 36e RI.
L'un des deux frangins, Louis, est adjudant. Son histoire, pour le peu que nous connaissons, démarre lors d'une patrouille dans la plaine de Courcy à l'automne 1914. Dans la nuit du 15 au 16 novembre, le sous-officier, accompagné du lieutenant Le Rasle, et de quelques soldats s'avancent avec témérité vers une tranchée occupée par des allemands. Coups de feu, fuite, l'adjudant Houette est laissé en arrière. Dans la Journal de marche et d'opération du 36e régiment d'infanterie, il est noté ce même jour : "15 novembre. Pendant la nuit l'adjudant Houette part en reconnaissance est blessé par un feu de salve et reste aux mains de l'ennemi."

Deux mois plus tard, une bien étrange lettre arrive au régiment. Rédigée par l'épouse de Houette, elle est adressée au frère du disparu. Son contenu est rapporté dans un compte rendu que le lieutenant Le Rasle adresse à son chef de bataillon.

"11 janvier - Compte rendu, 7ème compagnie
Le sergent Houette a reçu de sa belle sœur le 17 décembre la copie d'une lettre que lui avait adressé un officier prussien. Voici la copie textuelle qui n'est pas une traduction.

Près de Reims, 16-11-14
Madame, j'ai le triste devoir de vous renvoyer selon son dernier désir, le portefeuille de votre mari, de l'adjudant Houette, Louis, qui est mort comme un héros il y a quelques jours. Il s'approcha avec quinze soldats de notre ligne croyant peut-être que notre fossée fut quittée par nos troupes. Il s'élança tout debout en plein aire d'une distance de 75 mètres et fut tué sur le champ par nos balles. J'admire comme soldat sa bravoure et je lui rends tous les honneurs dans ma qualité de camarade. Son corps est resté sur la place où il est tombé et je crois que vos compatriotes l'aient enlevé. Permettez-moi, Madame, de vous consoler de grand coeur en vue du sort cruel qui vous a frappé. Avec l'expression de ma haute considération.
A Von Wolff.
Capitaine prussien.

Au verso de son compte-rendu, Le Rasle poursuit :
"Cette lettre renferme plusieurs contradictions. La famille Houette a fait demander des explications par la Croix-Rouge de Genève, mais n'a encore aucune réponse.
Le Rasle"

Plus bas sur la même feuille, on lit un commentaire du chef de bataillon Voisin ajouté après lecture :
"Cette lettre, étant donné les contradictions me paraît sans valeur (je ne l'avais pas lue). 1° Houette est tombé dans la tranchée allemande. 2°Comment les Allemands auraient-ils pu avoir l'adresse de Houette. Si Houette n'était pas tombé en leur possession... Et son portefeuille ? Le Chef de bataillon, R. Voisin"

Louis Houette est-il mort lors de cette patrouille ? Est-il retenu prisonnier ? Son épouse s'est sans doute précipité sur "Le Moniteur du Calvados", le 3 juin 1915, lorsque le journal a repris les premières listes de prisonniers français publiées par la "Gazette des Ardennes". Et puis la fin de la guerre est venue... Et Louis Houette n'est pas revenu. Par un jugement rendu le 20 décembre 1921, il a finalement été déclaré "Mort pour la France".

(Photo : la plaque commémorative de l'église Saint-Sauveur, à Caen, mentionne le nom de Louis Houette – surligné. Merci à Christophe Delasalle de sa photo, et à son travail sur Memorial Genweb)


19 nov. 2009

Dans la "sale guerre" de Courcy

Ci-contre : la tombe d'Adrien Wiart, au cimetière du nord-est de Caen.

Novembre 1914 dans les tranchées de Courcy. Le temps gris se saupoudre de quelques flocons de neige. Un brouillard épais s'abat parfois dans la plaine, favorisant la continuation des travaux de tranchées. Au régiment, le Journal de marche et d'opération mentionne le retour de plusieurs soldats blessés à Charleroi et à Guise, lors de la première partie de campagne. Le capitaine Roy, le lieutenant Le Rasle et L'Honoré, le sous-lieutenant Guérin font ainsi leur réapparition.
Wiart, capitaine à la 1re compagnie (la compagnie de Jules Champin) revient, lui, le 27 octobre, auréolé de sa blessure, reçue à l'épaule droite il y a un mois, lors de l'attaque sur Brimont, et de sa légion d'honneur, attribuée quelques jours plus tôt. L'homme a surtout été nommé, pendant sa convalescence, chef du premier bataillon "à titre temporaire". Une consécration pour cet officier de 43 ans, natif de Caen, dont la carrière militaire a démarré dès sa sortie de l'école spéciale militaire, en 1894. Versé au 48e RI, à Guingamp, il est resté quinze ans dans la cité bretonne, le temps pour lui de jeter son dévolu sur Marie Droniou, qu'il a épousé à l'automne 1898. En 1909, le couple a laissé derrière lui la caserne de la Tour d'Auvergne pour rejoindre, à 600 km de là, le 150e régiment d'infanterie dans la petite ville de garnison Saint-Mihiel. Puis en 1913, ils ont de nouveau quitté la "petite Florence lorraine" pour rejoindre Caen et son régiment d'attache, le 36e RI. Enfin, la guerre est arrivée...
La Belgique, Charleroi, le commandant Kahn - son commandant - frappé de 22 balles de mitrailleuses, la déroute, Guise, la Marne... Wiart aura survécu à tout cela. Mais le 13 novembre est un jour funeste pour le chef de bataillon. Alors qu'il se trouve dans les tranchées de première ligne, il est immédiatement repéré par un "tireur d'officier" allemand. Le doigt sur la détente de la carabine, l'oeil rivé à l'oculaire du petit tube téléscopique, le soldat allemand, spécialement entraîné (voir le commentaire de l'auteur Laurent Mirouze à ce propos), étudie sa cible. Est-ce le chiffre d'or du col de la vareuse, mal caché par celui de la capote, le bout de galon dissimulé derrière le revers de la manche qu'il remarque ? En une fraction de seconde et un tressaillement d'index, le chef de bataillon passe de vie à trépas (ci-contre, sa fiche Mémoire des Hommes). Le médecin aide-major Emile Beix, originaire d'Elbeuf, aura beau se précipiter et charger l'officier sur ses épaules pour le ramener au poste de secours, il sera trop tard.
Combien de soldats et d'officiers seront ainsi tués au régiment ? Nul ne le sait. Une chose est sûre : dans le secteur de Courcy, le cas d'Adrien Wiart, à cette période, ne fait pas exception. Fin octobre 1914, plusieurs morts de soldats sont ainsi causées par ce que l'on désigne encore à cette période comme des "balles perdues". Le 2 novembre, note le JMO du 36e RI, "un homme de la 8e compagnie est tué par une balle allemande". Puis le 7 novembre au soir, deux soldats du 129e RI, placé immédiatement à gauche du 36e RI, sont envoyés dans les lignes ennemies "pour aller incendier une meule située à proximité des tranchées ennemies qui masquait, pensait-on, le débouché d'une sape pendant le jour et qui servait d'abri aux bons tireurs ennemis". Deux jours plus tard, en fin d'après-midi, dans le secteur du 36e, un "observateur ennemi" perché dans un arbre est tué d'un coup de carabine. Et dans la nuit du 23 au 24 novembre, quelques jours après la mort de Wiart, deux soldats du 129e, sont désignés "pour aller mettre le feu à une meule qui avait été occupée par quelques bons tireurs ennemis".

Merci à Yann Thomas pour ces informations sur Adrien Wiart.

18 nov. 2009

Un mois en chantier

(Ci-contre : légende écrite par Fernand Le Bailly : "«Mes» hommes à la liaison. Cavaliers de Courcy, novembre 1914")
Si le mois d'octobre 1914 fut celui de l'enterrement des armées, novembre se distingua dans le secteur du 36e par une recrudescence des travaux sur la ligne de front. Quantité d'ouvrages et de perfectionnements des tranchées furent construits dans la grande plaine de Reims, souvent à la faveur du brouillard matinal, fréquent à cette période de l'année. Le 10 novembre, selon le rapport établi par Bernard, commandant du régiment, "les constructions d'abris démarrées quelques jours plus tôt sont achevées. Les sapes situées sur les Cavaliers de Courcy ont été approfondies. De nouveaux réseaux de fil de fer ont été placés à l'ouest du Cavalier. Une des pièces de la section de mitrailleuses placée sur le chemin de halage a été descendue d'1,50 m afin de fournir un tir plus rasant. A la section de mitrailleuses (située à proximité) du moulin, une traverse a été construite pour protéger contre les feux d'écharpe venant du Cavalier." Dans le même temps, sont poursuivis boyaux de communication, sapes, sapes enterrées, tranchées parallèles aux premières lignes...
On est loin des premières tranchées "très étroites et peu profondes (...), faites pour des tireurs les uns à côté des autres et n'offrant pas de place suffisante pour qu'on pût s'étendre ou se reposer", décrites par Emile Clermont dans son témoignage Le Passage de l'Aisne. La jonction entre le 36e et le 129e, à gauche du régiment, est établie. Au régiment du Havre, les journées sont passées à la construction d'un gigantesque "fortin" en avant de la route nationale 44. Pour ce faire, les Normands touchent 500 pelles-bêches portatives, 45 pelles de parc, 35 pioches ; 250 m de treillage métallique sont employés pour renforcer les tranchées, où 150 sacs à terre sont utilisés pour l'établissement d'un emplacement couvert pour mitrailleuses. Le 36e régiment d'infanterie, de son côté, reçoit 750 sacs à terre pour renforcer les premières lignes.
La guerre se poursuit également sous terre. Le 24 novembre, informé "que les Allemands amenaient à bras du bois de charpente en grande quantité", Bernard avise Viennot, commandant de la 10e brigade "qu'il emploie une section du génie à construire une contre-mine avec rameaux d'écoutes sous les cavaliers de Courcy." (…) Pour ce faire, il déclare adjoindre à sa section du génie des mineurs de profession. "Je ne veux pas me laisser surprendre, déclare-t-il dans ce rapport. Si la galerie de contre mine ne sert pas comme telle, elle pourra toujours servir de galerie de mine, si nous nous éternisons ici." Dès lors, la psychose s'installe. Le moindre bruit émanant du sol devient suspect. Le 27, l'officier demande à des sous-officiers du génie de surprendre le travail de l'ennemi. Mais, dans un rapport il note : "J'attribue le bruit qu'ils ont perçu à ce fait que le sol étant gelé depuis quelques jours, une sentinelle quelconque battant la semelle aura pu leur faire croire qu'il s'agissait de coups de pioches sous terre. Depuis que le sol est détrempé de nouveau, on entend plus rien. On continuera néanmoins la surveillance de jouer et de nuit."

14 nov. 2009

En attendant la dégelée

"Épivent ne respectait, en somme, que les beaux hommes, la vraie, l'unique qualité du militaire devant être la prestance. Un soldat c'était un gaillard, que diable, un grand gaillard créé pour faire la guerre et l'amour, un homme à poigne, à crins et à reins, rien de plus. Il classait les généraux de l'armée française en raison de leur taille, de leur tenue et de l'aspect rébarbatif de leur visage." (Guy de Maupassant, Boule de Suif. Photo : image extraite du très beau court-métrage "1916", film de fin d'études de l'Ensad de Fabien Bedouel, 2003.)

A partir du début novembre, le général hiver fond sur les tranchées de Courcy. Dès le 10 , au lendemain de la panique au sein de la 10e brigade, le soldat Etienne Tanty, au 129e (stationné à côté du 36e), témoigne dans une de ses lettres : "Le temps se met à la gelée, les nuits et les jours sont glaciales". Le 22, Lucien Durosoir, violoniste virtuose, fraîchement débarqué dans la plaine de Courcy (au 129ème lui aussi), écrit : "Depuis 4 jours, nous avons des froids de 10 à 12 degrés au-dessous de zéro et la vie en plein air dans cette température est plutôt terrible, quoique à vrai dire on s'habitue un peu. Mais la nuit dans les tranchées, à peu près sans bouger, il faut y avoir été pour s'en faire une idée. Hier j'ai vu Balembois en pleurer. J'ai la chance, étant un peu gras, de moins en souffrir." Les jours suivant, le baromètre continue de baisser...
Les attentes aux créneaux dans les tranchées se transforment alors en véritable calvaire pour les hommes. Ils ne peuvent fermer l'œil tant les températures sont polaires. Ils attendent le jour, recroquevillés dans leur uniforme humide, et s'écroulent au matin dans un sommeil de plomb. Dans les postes de secours, on observe une recrudescence des pneumonies, bronchites et rhumatismes. Une note de l'état major de la brigade, non datée, trouvée dans les rapports de patrouille de la 5e division, montre l'indigence dans lequel se trouvent les soldats : "Il serait désirable que dans le courant de la nuit les hommes aux tranchées surtout ceux qui sont de quart puissent pendant leur veille pouvoir absorber une boisson chaude, seuls les fourneaux à pétrole ou réchaud à alcool permettraient de confectionner ou de réchauffer du thé ou du café, un quart de vin chaud serait de temps en temps le bienvenu. Si on ne peut se procurer des appareils de chauffage par voie de réquisition, les bonis sont en situation de faire face à cette dépense. Le colonel commandant la 10e brigade a pressenti les commandants des 36e et 129e, il demande en conséquence que les chefs de corps soient autorisés à faire au besoin sur le boni des unités l'achat du matériel ci-dessus." Dans les zones de cantonnements, les "lignards" du 36e ne sont pas mieux lotis. Ils dorment dans les bâtiments de la Neuvillette, souvent détruits, ouverts à tous les vents. Les plus chanceux couchent dans les caves. Ils n'ont aucun vêtement adapté au froid, sinon les effets que les familles et les dépôts leur ont fait parvenir ces jours derniers.
Dès la fin septembre en effet, des collectes sont organisées, par le biais entre autres d'entrefilets dans la presse. Le Moniteur du Calvados dans son édition du 1er octobre invite "à envoyer des tricots, vêtements chauds. Ces dons seront reçus par les dépôts des différentes garnisons qui les expédieront le plus tôt possible." Il n'en faut pas plus pour que le beau régiment de l'été 14 se transforme en armée de Bourbaki. Les écharpes fleurissent autour du cou des homme, les "ras de cul" se gonflent sous l'effet des chandails, et les passe-montagnes "non réglementaires" font leur apparition. Même les officiers s'y mettent. Le capitaine Lucien ne sort plus sans son bonnet de laine ridicule, et le sous-lieutenant Masse promène à la Neuvilette sa silhouette d'homme des bois.
Le 25 novembre, il neige dans la matinée. Le moral des soldats suit le même pente que le thermomètre. Ils savent désormais qu'ils ne seront pas de retour chez eux à Noël comme bon nombre l'espérait encore. Et au printemps, les combats risquent de recommencer...

10 nov. 2009

Les petits cailloux blancs de Fernand

Beaumarais,Bois de Beaumarais,1915,36e régiment d'infanterie 
(Photo : Un rapport de patrouille dans les bois de Beaumaris, signé par Fernand Le Bailly, le 24 avril 1915. Service historique de la Défense, DAT, 24N80 (document non reproductible).

Cela fait 25 ans que je joue à cache-cache avec mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, et "sa" guerre, qu'il effectua pour une large part au 36e régiment d'infanterie. La première fois, je sortais de l'adolescence, et l'on me confia, avec une certaine solennité, son album photo, où étaient rassemblées près de 300 photos, dont une grosse quantité couvrait la période 1914-1915. On me donna aussi son carnet de guerre, où étaient consignés quatorze jours d'une bataille de la Marne qui devaient le laisser "un peu fatigué, mais pas du tout démoralisé". Enfin l'on me gratifia, en supplément, de deux médailles qui lui appartenaient - une légion d'honneur et une croix de guerre, avec palme et une étoile ternies - ainsi que sa montre, au large bracelet en cuir, qui faisait un boucan du tonnerre la nuit. Je m'empressai de tout ranger dans un tiroir et d'oublier tout cela bien vite.
Allez savoir pourquoi, quelques années plus tard, une fois rentré dans "l'âge d'homme", je rouvris ces documents ? Une visite au Service historique de la défense (SHD), à Vincennes, et une balade plus tard dans la plaine de Juvincourt (dans l'Aisne), afin d'imaginer, dans la mesure du possible, ce qu'avait pu vivre ce  curieux aïeul, il me fallait à tout prix "savoir" qui étaient ces soldats. Dans cette quête, j'avais avec moi ce gros album photos où - chance inouïe - tous les clichés étaient légendés individuellement. J'avais des noms, des lieux, des dates... Je ne partais donc pas démuni.
Et c'est là que le "miracle" intervint : très vite, par des coïncidences que je n'explique pas toujours, je retrouvais les lieux fréquentés par ces combattants et leur histoire. La plupart du temps, c'était au travers de rapports conservés dans les archives, de témoignages d'anciens, de livres et de photos envoyés par des enfants et des petits-enfants de soldats du 36e régiment... Les pièces de cet incroyable puzzle, qui avait attendu près de quatre-vingt dix ans, se mettaient en place. Je retrouvais les petits cailloux blancs laissés par ces hommes.
Aujourd'hui, c'est un autre "caillou" que j'exhume : un récit de patrouille signé de la main de Fernand Le Bailly, alors sergent dans les bois de Beaumarais, le 24 avril 1915, dans le bas du village de Craonne. Ce document, je l'ai déniché par hasard, il y a plusieurs mois, au milieu de centaines d'autres, dans un carton conservé au SHD. Si j'en crois les yeux ronds que me fit mon voisin de table, chercheur patenté de ces lieux, j'avais effectué sans le savoir une pêche miraculeuse. Et pourtant, l'intérêt de ce texte est très relatif - de nombreuses patrouilles furent effectuées aux abords du "potager" par le 36e régiment d'infanterie à cette époque. Il n'empêche : la voix de mon arrière-grand-père est là, portée par cette écriture bleu mers du sud, dans cette grande forêt grise des bois de Beaumarais.

3 nov. 2009

"Merci Michel…"



Pour Michel Germain, sergent fourrier, tué le 1er juin dans les combats de Neuville-Saint-Vaast, l'histoire aurait pu s'arrêter là, lui, enterré dans la nécropole de Barly, dans le Pas-de-Calais, Adolphine, son épouse, restée à l'épicerie fine Malesherbe, à Saint-Lô, rue Torteron, près de la Vire. Seulement, dans la famille, on aime bien faire les choses, et la mémoire de ce soldat du 36e régiment d'infanterie continue d'être entretenue, comme en témoigne deux photographies qui nous ont été envoyées.
Ainsi Adolphine, après avoir reçu les reliques de son époux en 1955, vint longtemps s'incliner sur la tombe de son mari. En 1974 ou 1975, lors de sa dernière visite, elle fut photographiée avec une de ses arrière-petites filles (photo à gauche). Le 8 avril 2008, les quatre petits enfants de Michel, Jean-Michel, Maryse, Josette et Patrick, accomplirent à leur tour le pèlerinage. Après avoir nettoyé la croix, ils trinquèrent au champagne avec leur grand-père. Ils évoquèrent en pensée avec lui ses onze arrière-petits enfants et ses vingt trois arrière-arrière petits enfants. Puis Maryse sortit trois petits galets qu'elle disposa sur les trois branches de la croix. Sur chaque caillou, il était quelques mots qui mis, bout à bout, formaient cette simple phrase "Merci Michel / d'avoir aimé / Adolphine".