Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
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23 déc. 2007

"Artois aux gais talus..."

Légende dans l'album de Fernand Le Bailly : "Nous avons (la 5e division) repris...
la rue principale à Neuville-Saint-Vaast le 9 juin 1915."


L'Artois
(de Jules BRETON, "Les champs et la mer")

À José-Maria de Heredia.

I
J'aime mon vieil Artois aux plaines infinies,
Champs perdus dans l'espace où s'opposent, mêlés,
Poèmes de fraîcheur et fauves harmonies,
Les lins bleus, lacs de fleurs, aux verdures brunies,
L'oeillette, blanche écume, à l'océan des blés.

Au printemps, les colzas aux gais bouquets de chrome,
De leur note si vive éblouissent les yeux ;
Des mousses de velours émaillent le vieux chaume,
Et sur le seuil béni que la verdure embaume
On voit s'épanouir de beaux enfants joyeux.

Chérubins de village avec leur tête ronde,
Leurs cheveux flamboyants qu'allume le soleil ;
De sa poudre dorée un rayon les inonde.
Quelle folle clameur pousse leur troupe blonde,
Quel rire éblouissant et quel éclat vermeil !

Quand nos ciels argentés et leur douce lumière
Ont fait place à l'azur si sombre de l'été ;
Quand les ormes sont noirs, qu'à sec est la rivière ;
Près du chemin blanchi, quand, grise de poussière,
La fleur se crispe et meurt de soif, d'aridité ;

Dans sa fureur l'Été, soufflant sa chaude haleine,
Exaspère la vie et l'enivre de feu ;
Mais si notre sang bout et brûle notre veine,
Bientôt nous rafraîchit la nuit douce et sereine,
Où les mondes ardents scintillent dans le bleu.

II
Artois aux gais talus où les chardons foisonnent,
Entremêlant aux blés leurs têtes de carmin ;
Je t'aime quand, le soir, les moucherons bourdonnent,
Quand tes cloches, au loin, pieusement résonnent,
Et que j'erre au hasard, tout seul sur le chemin.

J'aime ton grand soleil qui se couche dans l'herbe ;
Humilité, splendeur, tout est là, c'est le Beau ;
Le sol fume ; et c'est l'heure où s'en revient, superbe,
La glaneuse, le front couronné de sa gerbe
Et de cheveux plus noirs que l'aile d'un corbeau.

C'est une enfant des champs, âpre, sauvage et fière ;
Et son galbe fait bien sur ce simple décor,
Alors que son pied nu soulève la poussière,
Qu'agrandie et mêlée au torrent de lumière,
Se dressant sur ses reins, elle prend son essor.

C'est elle. Sur son sein tombent des plis de toile ;
Entre les blonds épis rayonne son oeil noir ;
Aux franges de la nue ainsi brille une étoile ;
Phidias eût rêvé le chef-d'oeuvre que voile
Cette jupe taillée à grands coups d'ébauchoir.

Laissant à l'air flotter l'humble tissu de laine,
Elle passe, et gaîment brille la glane d'or,
Et le soleil rougit sur sa face hautaine.
Bientôt elle se perd dans un pli de la plaine,
Et le regard charmé pense la voir encor.

III
Voici l'ombre qui tombe, et l'ardente fournaise
S'éteint tout doucement dans les flots de la nuit,
Au rideau sourd du bois attachant une braise
Comme un suprême adieu. Tout se voile et s'apaise,
Tout devient idéal, forme, couleur et bruit.

Et la lumière avare aux détails se refuse ;
Le dessin s'ennoblit, et, dans le brun puissant,
Majestueusement le grand accent s'accuse ;
La teinte est plus suave en sa gamme diffuse,
Et la sourdine rend le son plus ravissant.

Miracle d'un instant, heure immatérielle,
Où l'air est un parfum et le vent un soupir !
Au crépuscule ému la laideur même est belle,
Car le mystère est l'art : l'éclat ni l'étincelle
Ne valent un rayon tout prêt à s'assoupir.

Mais la nuit vient voiler les plaines infinies,
L'immensité de brume où s'endorment, mêlés,
Poèmes de fraîcheur et fauves harmonies,
Les lins bleus, lacs de fleurs, les verdures brunies,
L'oeillette, blanche écume, et l'océan des blés.

17 déc. 2007

L'enterrement dans la plaine

Légende : la plaine de Courcy, vue du pont du champ de courses (voir carte ci-dessous, © Geoportail 2007).

"La fortification n'est qu'un moyen et non un but. Il faut en user en se conformant avant tout aux nécessités tactiques et ne jamais hésiter soit à renoncer à la protection qu'elle procure, soit à abandonner des installations déjà créées pour en recommencer de nouvelles ailleurs. (…) La fortification doit favoriser l'offensive et la marche en avant et non arrêter les troupes derrière les abris. Il n'est pas admissible qu'on s'avance sur une position uniquement pour la renforcer et en organiser les abris : on fortifie au contraire, pour pouvoir progresser tout en évitant les pertes, tout comme on se sert du feu pour continuer la marche vers l'ennemi."(Instruction pratique sur les travaux de campagne à l'usage de l'infanterie, 24 octobre 1906)
N'en déplaise au petit livret d'instruction militaire, en usage au début de la guerre, la mort d'Alfred Cardron intervient alors que s'érigent des tranchées de part et d'autre du front au nord-ouest de Reims. La 5e division d'infanterie, à laquelle appartient le 36e régiment d'infanterie, ne fait pas exception. Au début de l'automne 1914, en quelques jours, des travaux de campagne rudimentaires apparaissent dans la plaine de Courcy. Pour le secteur de Saint-Thierry, où est stationné le régiment, le général Hache ordonne, le 13 octobre, que les trous de tirailleurs établis à l'est de la route nationale, face au moulin de Courcy, soient réunis pour former une tranchée. Jusqu'à présent, les soldats couchés l'un à côté de l'autre se sont en effet tant bien que mal protégés des lignes allemandes. Certains ont utilisé leur havresac, baptisé "as de carreau", pour se garder des balles meurtrières. D'autres ont creusé le sol de façon à constituer en avant d'eux un monticule de terre. Ces trous individuels ont été approfondis. Ils sont réunis, dans la nuit du 13 au 14, par la 9ème compagnie du 36e RI, sous la protection de l'artillerie. Dans le même temps est décidé un coup de main pour attaquer le pont de la Besace, qui traverse le canal de l'Aisne au nord du port de la Neuvillette, avec l'aide conjointe de la 51e division d'infanterie. Après l'avoir débordé sur ses deux flancs, l'ouvrage est enlevé le 15 octobre.
Les journées qui suivent sont employées à organiser le terrain conquis, à la faveur de la nuit. Des communications par tranchées sont organisées, entre la route nationale et les ouvrages de 1ère ligne, des réseaux de fil de fer sont posés. De leur côté, les Allemands continuent de fortifier l'élévation devant le village de Courcy ("la cote 101"). Hérissée de pièces de canon qui battent à 1800 m, elle constitue une véritable redoute. En l'espace de quelques jours, le secteur de Courcy naît.

Pour lire une description du secteur Thil-Chauffour, placé à la gauche du 36e RI dans la plaine de Courcy, rendez vous sur le blog du 74e RI de Stephan Agosto. (Carte © Geoportail 2007)

8 déc. 2007

Les très riches heures de Jean Hugo

Légende : Jean Hugo, Autoportrait (détail), Luxeuil, 1918 (crayon noir, page de carnet).

Des quelques témoignages que l'on peut trouver sur le 36e régiment d'infanterie pendant la Première Guerre mondiale, le plus singulier est sans nul doute celui de Jean Hugo. Né en 1894, arrière-petit-fils de Victor, l'artiste a connu en France une gloire discrète pour son travail, que de trop rares rétrospectives viennent éclairer.
Mobilisé le 4 septembre 1914, Jean Hugo rejoint le 36e RI au bois de Beaumarais, lors de l'hiver 1915. Blessé à Neuville-Saint-Vaast en juin, il est soigné à Saint-Malo et retrouve le régiment quatre mois après, décimé après les combats d'Artois. Il suit l'unité sur la Somme et à Verdun, où il est nommé sous-lieutenant. Mais les mutineries de 1917 provoquent chez lui "humiliation et dégoût". A contrecœur, il fait jouer ses relations familiales et se fait muter, en Lorraine, au quartier général de la 1re division américaine. Ce qui ne l'empêche pas de se comporter de manière héroïque, notamment lors de l'offensive de Cantigny en mai 1918, où il reçoit la Distinguished Service Cross. Il est démobilisé en septembre 1919.
C'est au cours de ce conflit que naît la vocation de Jean Hugo. En 1914, le jeune homme n'a en effet aucune formation picturale, mais il a visité les Salons et les galeries. Son style, dans ses premiers croquis, emprunte au mouvement cubiste : dans des paysages sans hommes, les ruines se découpent en formes anguleuses ; les murs s'écroulent en moellons rectangulaires et les arbres mutilés adoptent des formes cylindriques. Avec la fin de la guerre, les dessins se simplifient. Hugo dessine des scènes simples, naïves, aux formes géométriques, dans des petits formats.
Mais l'artiste nous a laissé bien d'autres "vignettes" de cette guerre, notamment au travers de son recueil de souvenirs Le Regard de la Mémoire. Publié en 1984, quelques mois avant sa disparition, ce livre restitue un demi-siècle de la vie de Jean Hugo. La période de la guerre s'étend sur une centaine de pages et intéresse directement le 36e. On y suit le régiment des bois de Beaumarais jusqu'à sa proscription dans l'Aisne, après les mutineries de 1917. Le ton, empreint de fausse légèreté, d'innocence, voire d'insouciance, peut surprendre : l'auteur ne cède jamais à l'accablement, voire à l'apitoiement ; les événements sont rapportés de manière tragi-comique, parfois elliptique. Ils sont surtout retranscrits de manière picturale : on ne lit pas des scènes, on découvre des images... Devant Neuville-saint-Vaast, le champ de bataille apparaît à l'auteur comme une "vaste abîme de nuit bleue où flambaient des incendies, où se croisaient des comètes multicolores." A Corbie, dans la Somme, "l'église noire brillait sous la pluie. La fenêtre d'un tea room était allumée. Les uniformes ocre jaune des soldats anglais passaient devant les murs de brique sombre." Le texte progresse ainsi, à la manière d'une succession d'instantanés où flamboient des taches de couleurs.
De Jean Hugo, Cocteau a dit : "Il a mêlé son calme presque monstrueux au tumulte des entreprises de notre jeunesse. II était, il reste l'image même de cette modestie parfaite des enlumineurs, chez qui la vérité quotidienne l'emporte sur les grâces décoratives. Sa main puissante, son gros oeil jupitérien, son olympisme en quelque sorte, n'usent pas de foudres, mais de petites gouaches si vastes qu'on dirait que leur taille résulte d'un simple phénomène de perspective." On l'aura compris : les "petites gouaches" de Jean Hugo n'ont pas fini d'éclairer ce blog de leur chatoiement.

A voir : de nombreux dessins de guerre de Jean Hugo sont conservés au château de Blérancourt, musée national de la Coopération franco-américaine, qui rouvrira ses portes fin 2011. En attendant, il est possible d'en voir des reproductions sur le site de l'agence photographique de la Réunion des musées nationaux (http://www.photo.rmn.fr, rechercher "Jean Hugo" dans le moteur de recherche mots-clés). (Image DR)

1 déc. 2007

L'ultime sentinelle de Beaumarais

Placé en retrait de la départementale 89, qui relie Craonne à Pontavert, le monument du 36e régiment d'infanterie du bois de Beaumarais apparaît presque par hasard. Ne serait-ce ses obus bleu azur, qui ont dû être autrefois reliés par des chaînes, l'obélisque n'arrête pas le regard. Il n'est dressé ni à un carrefour, ni à un lieu de rencontre. A cheval sur les communes de Pontavert et de Craonnelle, les mousses et les lichens l'ont envahi jusqu'à lui faire prendre la teinte grisâtre d'un tumulus. Et pourtant, il faut aller le voir ce modeste ouvrage, curieux à plus d'un titre. Adossé à la sauvagerie des bois, son caractère forestier le distingue des monuments villageois. Mi-colonne, mi-calvaire, ses proportions sont étranges : sa base est colossale et sa croix, minuscule, ne se voit pas au premier coup d'œil. Sur les deux faces latérales sont gravés les noms des militaires du 36e régiment tombés à Beaumarais ; ils sont classés par grade et par ordre alphabétique. Le premier nous est déjà connu : il s'agit du sous-lieutenant havrais Emile Charles Lhostis, qui a dirigé la 6ème compagnie dans laquelle mon arrière grand-père, Fernand Le Bailly, a été versé le 6 septembre 1914. L'officier a trouvé la mort dans cette forêt, dans des circonstances que nous découvrirons une autre fois. Le bas-relief du monument, dessiné dans un macaron par un ancien du 36e, Jorelle, montre une petite chapelle rustique, entourée de feuilles de chêne et de lauriers. Il témoigne de la ferveur religieuse qui entoure l'histoire de ce site. En revanche, pour l'inscription, il faut s'y reprendre à deux fois pour lire le texte gravé. "A la mémoire des 104 officiers, 191 s-officiers, 3080 caporaux et soldats du 36e régiment morts pour la France au cours de la campagne de 1914-1918 - Ce monument marque l'emplacement d'une chapelle rustique élevée en avril 1915 par les soins du commandant Chassery avec le concours des hommes du 3e bat. (Signature) Bernard Colonel, H. Bornot, J. Girard aumôniers."* Je n'en connais pas plus sur l'histoire de cette stèle. Qui fut son maître d'oeuvre ? Comment fut choisie sa situation ? A quelle date fut-elle inaugurée ? Des photographies furent-elles prises ? Voilà des informations que l'on aimerait connaître et qui permettraient d'animer un peu plus ce monument dépositaire de tant de destins brisés.

* Du côté des soldats, on lit un peu mieux. Façade nord-ouest : E. Lhostis (sous-lieut), R. Bourreau (adj), S. Serra (adj), M. Kéro (serg), G. Méneteau (serg), A. Molle (serg), E. Anquet, E. Barreau, F. Baudeux, A. Beaufils, E. Bedouin, M. Berroche, J. Boucher, A. David, J. Duval, L. Franchet, H. Gérard, P. Goulley, G. Helie, L. Huguenet,L. Huet, H. Jeanne. Façade sud-est : L. Lemarinier , E. Leperruquier , G. Lemaire , A. Lepetre , L. Lapersonne , G. Le Breguier , G. Leboucher , L. Mahier , J. Mérienne , A. Michel , G. Micouin , M. Monnier , J. Nicolle , L. Nicolle , G. Nicolas , A. Palfray , F. Rame, P. Robert, M. Rolland, P. Rossignol, G. Veron.