Samedi 5 septembre 1914. En pleine nuit, les plaines du Provinois sont un paysage d'apocalypse. Sur plusieurs kilomètres, le long des champs fraîchement moissonés, des colonnes de réfugiés fuient la zone de combat dont le grondement s'amplifie d'heure en heure. Fernand Le Bailly, qui remonte cette cohue avec son contingent, raconte :
Plus loin, les villages de Montceaux-les-Provins, Courgivaux, Esternay, Retourneloup, Châtillon-sur-Morin sont en feu. Dans l'obscurité, près du petit village de Fontaine-sous-Montaiguillon, le contingent vient regonfler les effectifs exsangues du 36e. Le sergent Gruchy, avec qui Le Bailly s'accorde bien, passe dans la 8ème compagnie ; son autre camarade, Apère, et lui-même sont versés dans la 6ème, commandée par le sergent Lhostis, natif du Hâvre. Pour la première fois, mon arrière-grand-père découvre les soldats du régiment normand :
Dire que les hommes sont fatigués est un doux euphémisme... Depuis 15 jours, ils se sont battus à Charleroi, puis à Guise, et ont parcouru 200 km pour échapper aux Allemands qui les talonnent. En deux semaines, l'unité a connu une saignée inimaginable touchant aussi bien les soldats que les officiers. Selon l'historique régimentaire "le régiment n'a plus que 1 300 hommes" (en 1914, un régiment compte en moyenne un peu plus de 3 000 hommes), un chiffre certainement en dessous de la réalité. Beaucoup ont perdu un camarade, voire un ami. Le moral à l'étiage, sales, déguenillés, ils souffrent de plus de la soif et de la faim. Depuis plusieurs jours, ces hommes n'ont en effet rien mangé, sinon quelques pommes le long des chemins. Pour calmer cet appétit, certains fouillent les maisons laissées à l'abandon. La répression s'abat sur eux férocement comme le raconte Fernand Le Bailly dans son carnet pour cette même journée.
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