La rue de la gare, le long des bois de Soulains. Le talus du chemin de fer, où s'est battu Fernand Le Bailly, apparaît au bout du champ. |
"Trois heures plus tard, nous étions couchés en tirailleurs le long du talus du chemin de fer, tirant sans cesse sur les Allemands qui se trouvaient de l'autre côté. A 9 h du soir, nous tirions encore sans que que ni d'un côté, ni de l'autre, un mètre de terrain n'ait changé de mains.
A ce moment, alors nous parvint l'ordre de charger à la baïonnette ; nous allions nous élancer quand un contrordre survint. Seul, un bataillon qui se trouvait à notre gauche fut chargé de l'assaut qui fut décisif. Les "Boches" reculèrent et finalement battirent en retraite au milieu du champ d'aviation pour se réfugier ensuite dans les bois de Soulains, vers la gauche.
Nous couchâmes sur nos positions avec ordre pour le lendemain de les déloger des bois.
Un soldat du nom de Grégoire, un colonial, me voyant partir dans la direction d'une meule de paille distante d'environ 600 m de nous eut un geste pour moi comme seuls, entre nous, sur le champ de bataille, nous en avons. Il ne manque pas de beauté dans sa simplicité, on trouvera dans ce trait, répété à chaque instant sous mille formes différentes un exemple de ce sentiment indéfinissable qui existe chez tous à un degré plus ou moins développé et qu'on nomme couramment : la fraternité d'armes.
Il pleuvait à verse – trempés que nous étions et l'intensité du feu diminuant, je pars donc vers cette meule chercher de la paille pour Grégoire (qui me semblait harassé) et moi, enfin de nous en protéger durant la nuit.
Or, sans que je lui dise quoi que ce soit, Grégoire m'a deviné – s'élance, m'arrête et me dit "Le Bailly, c'est mon tour, tu nous as sauvé la peau à tous hier, il y a encore beaucoup de balles qui passent dans la plaine où se trouve la meule, tu es marié, reste, moi j'y vais." Et ½ heure après, je revis mon Grégoire(soldat indiscipliné s'il en fut !) arriver avec deux bottes de paille et me dire "Tiens, t'as plus de tabac, j'en ai trouvé dans le sac d'un copain qui est tué : tu n'as pas d'outil, je vais te faire un lit." Et il se mit à creuser mon trou le long du talus, me recouvrit de paille, et je m'endormis, la cigarette aux lèvres, tandis que lui comptait ses cartouches et les miennes et me disait : "Eh bien mon vieux, je m'en vais au ravitaillement." Au petit jour, Grégoire, malgré les obus et les balles sommeillait du sommeil du juste, trempé comme une soupe (il m'avait donné toute sa paille !) A côté de moi : un tas considérable de cartouches et… ô bonheur : 2 biscuits et un paquet taché de sang !
Intrigué, je réveille Grégoire. Nous roulâmes une cigarette et en deux mots il m'expliqua : "Tu comprends, tes patates d'avant-hier sont loin, rien bouffé hier… Rien bouffé cette nuit, presque plus de cartouches, j'ai été au ravitaillement."
Il avait tout simplement fouillé nos camarades tués la veille, au milieu desquels nous étions et en avait rapporté ces cartouches, les deux biscuits et… dans le paquet : de la cassonade. Où diable avait-il trouvé ce sucre brut, je ne l'ai jamais su.
Ce matin-là, n'ayant rien mangé d'autre que les pommes de terre en question depuis près de 36 heures, nous eûmes la joie, à dix, de manger deux biscuits et de la cassonade.
Ordre arriva de partir en avant. Nous n'allâmes pas loin, hélas ! L'ennemi, durant la nuit, s'était réorganisé.
Dans le champ d'aviation où, par bonds, nous avancions sous les rafales d'obus et sous un feu violent de tirailleurs "Boches" dissimulés dans les tranchées à environ 150 m de nous, nous fûmes fauchés comme du blé mur. Il fallut se replier.
Nous regagnâmes donc le talus de chemin de fer. Grégoire et moi nous retrouvâmes heureusement, nous nous réinstallâmes "dans nos trous" . (...)
Qu'étaient devenus mes camarades Lhostis et les autres "rescapés" , je ne sais ?"
(A suivre…)
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