"J'essayai de remuer Apere (un Normand que Fernand a rencontré le 3 septembre, à son arrivée en France et qui fut blessé ce jour-là, NDR), il me pria, me supplia de le laisser là – ce que je fis – à regret mais, d'autre part, n'étions-nous pas 18 existences ? Il fallait décider rapidement. Nous dûmes le laisser, et dans une course diabolique, nous nous lançâmes Lhostis et moi en avant, à travers les lignes «Boches» dans la direction de Courcy. Nous essuyâmes très peu de balles. Nous arrivâmes enfin dans les avant-postes français. Nous étions sauvés ! Les dix-huit étaient présents à l'appel –, – il en arriva quatre autres vers 1 h du matin. Voilà ce qui restait de la section. Quant au bataillon, nous sûmes le lendemain, qu'entouré, cerné dans le château qu'il avait enlevé, il s'était défendu jusqu'au bout et que ceux qui ne furent pas tués y furent faits prisonniers.
Le pont du canal de Courcy. |
Nous étions, je crois l'avoir dit, complètement exténués : nous avions peine à tenir debout, notre faiblesse était extrême et quelques-uns d'entre nous n'y tenant plus, tombant d'inanition, s'étendirent pour dormir. Ce fut une brave femme à qui je donnai 10 francs (une verrière Royan) qui nous sauva. Il lui restait des os de mouton et des pommes de terre. Elle nous fit cuire le bout, et une heure après, tous réunis à quatre pattes autour de la marmite, nous en dévorâmes littéralement le contenu à pleines poignées.
Je dois dire que jamais je n'ai mangé de meilleur appétit. Ah, non… cette joie de manger quand on a faim au point que vous en arrivez à ne plus voir devant vous, à ne plus penser à rien sauf… manger, manger n'importe quoi, mais manger !
Cette brave femme, je me souviens, seule, avec quatre petits enfants, me prit à part au moment où j'allai lui faire mes adieux et elle me dit : « Les Allemands sont là, dans quelques maisons situées plus loin. Fuyez tous dans cette direction. » Lhostis et moi rassemblâmes nos camarades à qui nous communiquâmes la nouvelle. J'entends encore leurs réflexions : « Les Allemands ! Eh bien, ils peuvent venir… Nous n'avons plus de cartouches, mais nous avons encore nos baïonnettes, etc. » L'estomac rassasié, ravi… avait rendu à tous ce qui nous manquait : des forces.
Et nous marchâmes ainsi, baïonnette au canon, le long du canal dans la direction de Reims jusqu'à un petit bâtiment ouvert à tous les vents qui nous sembla très « confortable » pour y passer le reste de la nuit. C'était la petite gare de Courcy-Brimont.
La gare de Courcy-Brimont où Fernand Le Bailly et ses camarades ont trouvé refuge. |
Les Boches étaient donc passés par là ?
N'était-ce pas en effet l'indice de leur présence ? N'avions-nous pas vu déjà un peu partout sur les routes suivies par nous, le même truc employé par eux afin que leurs soldats ne puissent se rendre compte de l'endroit exact où ils se trouvaient ?
C'est grâce à ce stratagème et aux mensonges de leurs officiers que les soldats du kaiser ont cru pendant près d'un mois marcher sur Paris alors que… nous les reconduisions vers le nord.
Cette borne, heureusement, nous laissa lire difficilement le nom de Reims : nous étions donc dans la bonne route puisque nous savions que Reims avait été repris par nos troupes aux Allemands, quelques deux ou trois jours avant.
Enfin, et pour abréger, vers 2 h de l'après-midi, nous aperçûmes les nôtres. Nous étions une fois de plus sauvés. Vers 3 heures, mélangés à des soldats du 43ème, du 129ème et du 36ème, nous nous lançâmes dans la mêlée (sans doute le 16 septembre en fin de journée, NDR)."
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire