Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
Comment consulter cette page ? Vous pouvez lire progressivement les messages, qui ne respectent pas un ordre chronologique (ils évoquent, par exemple, l'année 1915 ou 1914). Vous pouvez aussi avoir envie de vous attarder sur une année ou un secteur géographique : pour cela, cliquez dans la colonne à gauche dans la rubrique "Pages d'histoire du 36e" sur la période et le lieu qui vous intéressent. Tous les messages seront alors rassemblés pour vous selon l'ordre de publication.
Comment rentrer en contact ? Pour de plus amples renseignements sur ce site, ou me faire parvenir une copie de vos documents, vos souvenirs ou remarques, écrivez-moi. Mon adresse : jerome.verroust@gmail.com. Je vous souhaite une agréable lecture.

Avertissement : Si pour une raison quelconque, un ayant-droit d'une des personnes référencées sur ce site désire le retrait de la (les) photo(s) et des informations qui l'accompagnent, qu'il me contacte.

18 avr. 2013

L’invité du 36e : Pierre-François Toulze, la Grande Guerre aux portes de l'Unesco

Initié en 2010, le projet d’inscription au patrimoine mondial de l'humanité des paysages et sites de mémoire de la Première Guerre mondiale poursuit discrètement son avancée à l'orée du centenaire (voir sur ce sujet, l'interview de Serge Barcellini, réalisée en octobre 2010 sur ce blog). Avec un allié de poids, la Belgique, mais encore des incertitudes. Pierre-François Toulze, permanent de l’association "Paysages et sites de mémoire de la Grande Guerre" a bien voulu répondre à nos questions.

Pourquoi inscrire les sites et vestiges de la Première Guerre mondiale sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco ?
L’objectif premier de ce projet, intégré au centenaire mais qui vise en même temps à le prolonger, est de protéger, de sauvegarder et de transmettre aux générations futures une sélection de sites de la Première Guerre mondiale qui ont besoin d’être mis en valeur, car certains d’entre eux sont même à l’abandon et pourraient disparaître… À quoi serviront ces paysages sans mémoire ? Ayant été professeur, je puis vous dire que ces paysages ont un impact énorme sur les élèves lorsqu’ils les découvrent. La transmission de cette mémoire est donc essentielle … L’autre axe de ce projet est de diffuser le message de paix et de réconciliation renvoyé par ces sites.

Combien de sites des deux derniers conflits sont d’ores et déjà classés Unesco ?
Aucun site de la Première Guerre mondiale n’a fait jusqu’à présent l’objet d’une inscription au patrimoine mondial. Quant à la Seconde Guerre, on ne compte que le mémorial de la paix d'Hiroshima - le dôme de Genbaku - et le camp allemand nazi de concentration et d'extermination d’Auschwitz-Birkenau. Toutefois, des sites de la Grande Guerre ont été inscrits sur les “listes indicatives” du Patrimoine mondial de l'Humanité, ces inventaires rassemblant les biens que chaque État partie à la Convention du patrimoine mondial de l'Unesco a l'intention de proposer pour inscription (voir encadré ci-dessous). Ainsi, en Roumanie, il y a l’ensemble monumental du sculpteur Constantin Brancusi "La Voie des Héros", réalisé en 1937, à la mémoire des soldats tombés pendant le conflit et les lieux de mémoire et monuments de la Grande Guerre en Flandre belge.

Sur les 962 biens inscrits sur la liste du patrimoine mondial, on compte des biens culturels, des biens naturels et des biens “mixtes” ? À quelle catégorie appartiennent les sites et les vestiges de la Première Guerre mondiale ?
Ces biens ont été classés en trois grandes catégories : le patrimoine paysager – les bouleversements du sol, les cratères, mais aussi les ruines des villages non reconstruits, les espaces reboisés –, le patrimoine militaire du front – les tranchées, les ouvrages défensifs de toutes sortes, les carrières ornées de dessins ou de sculptures –, et le patrimoine mémoriel, avec tous ces cimetières, nécropoles et mémoriaux commémoratifs qui ponctuent les champs de bataille ou leurs environs. Ils se rattachent à la catégorie des paysages culturels. C’est la dénomination qui pour le moment a été choisie. Mais le dossier n’est pas clos. Cette notion peut être affinée par la suite.
Paysage d'Artois. A l'horizon, le mont Saint-Eloi et, à droite, le clocher de Neuville-Saint-Vaast (photo J. Verroust)
Pour figurer sur la liste du patrimoine mondial, les sites doivent avoir une valeur universelle exceptionnelle et satisfaire à au moins un des dix critères de sélection. Quels sont ces critères appliqués aux sites et vestiges de la Première Guerre mondiale ?
Il s’agit du critère IV (les biens doivent, selon l'Unesco, “offrir un exemple éminent d'un type de construction ou d'ensemble architectural ou technologique ou de paysage illustrant une ou des périodes significative(s) de l'histoire humaine”) et du critère VI (les biens doivent “être directement ou matériellement associés à des événements ou des traditions vivantes, des idées, des croyances ou des œuvres artistiques et littéraires ayant une signification universelle exceptionnelle”). Le dossier sera étudié à l’aune de ces critères.

Le projet que votre association porte est-il exclusivement français ?
Non. Nous travaillons désormais avec la Belgique (Flandre et Wallonie) sur ce dossier que nous avons intitulé "Paysages et sites de mémoire du front occidental de la Première Guerre mondiale". Ce qui est logique : il était irrationnel, dans le cadre de notre travail d’inventaire, de nous arrêter à la frontière française et de ne pas aller plus loin. La totalité du front a donc été prise en compte. Cela tombe bien : les Flamands ont inscrit sur liste indicative, depuis 2002, les lieux de mémoire et monuments de la Grande Guerre. Nous avons rédigé, avec eux, une “déclaration de valeur universelle exceptionnelle commune”. Ce dossier n’est donc pas strictement français, c’est un projet transnational.

Avez-vous également le soutien d’autres pays dans votre travail ?
Oui. Pour notre démarche, ce soutien joue un rôle non négligeable : c’est la raison pour laquelle nous essayons de mettre en avant au maximum les sites de mémoire des différents pays engagés : les pays anglo-saxons et l’Allemagne, mais aussi les pays africains et les pays asiatiques... Cela recoupe les principes d’universalité qui sont prônés par l’Unesco.

D’autres pays sont-ils susceptibles de vous rejoindre dans cette démarche ?
Il peut y avoir des initiatives émanant d’autres pays... En Italie, par exemple, la région du Frioul réfléchit à l’opportunité d’un dossier. On n’en est qu’aux prémices et il va bien évidemment falloir convaincre les autres régions concernées (Lombardie, Trentin et Vénétie) du bien-fondé de cette démarche. Là encore, il est difficile d’imaginer une démarche strictement italienne : je vois mal comment l’Italie pourrait faire l’économie d’une candidature conjointe avec la Slovénie (le site de la bataille de Caporetto est aujourd’hui situé en Slovénie, NDR), où certains biens pourraient remplir les critères Unesco. Enfin, outre l’Italie, il y a aussi la péninsule de Gallipoli, en Turquie, qui présente un réel potentiel : on peut y voir, outre les plages où débarquèrent les alliés, de nombreux mémoriaux et une grande concentration d’ouvrages militaires.

Les trous d'obus de Thiaumont, dans la Meuse (photo J. V.)
Revenons à la France : votre projet concerne combien de départements ?
Sur les douze départements de la zone de front occidental – les départements où a eu lieu la guerre des tranchées –, ceux qui ont formellement adhéré à l’association sont au nombre de neuf : Nord, Pas-de-Calais, Aisne, Oise, Somme, Ardennes, Moselle, Meuse et Meurthe-et-Moselle. Le Haut-Rhin devrait adhérer très prochainement. Enfin, nous avons entrepris des discussions avec la Seine-et-Marne, les Vosges, le Bas-Rhin et la Marne. Sur le terrain, l’association est relayée par un élu coordonateur et par un chargé de mission du conseil général qui travaillent tous deux au sein d’une structure chargée de réaliser le dossier technique au niveau départemental.

Où en êtes-vous dans la mise au point de ce projet ?
Notre dossier de demande d’inscription sur liste indicative française est bouclé. Il recense tout le travail qui a été fait depuis un an et demi. Il a été transmis, en février, aux experts mandatés par le ministère de la Culture et de l’Écologie, qui doivent rendre un avis. Si la réponse est positive, le dossier pourra alors être présenté par la France, qui propose chaque année un ou deux dossiers en vue d’une inscription sur la liste du Patrimoine mondial.

En France, quel est le périmètre de classement : s’agit-il de tout classer ?
Bien évidemment, il ne s’agit pas de tout classer ! Notre démarche s’appuie sur les départements. Nous leur avons demandé dans un premier temps de faire l’inventaire des sites de la Grande Guerre. Mais nous ne pourrons pas intégrer, dans le dossier final, toutes les zones qui ont été préalablement retenues... Un travail de sélection et d’affinage des sites retenus dans notre actuel périmètre d’investigation va être entrepris. Certains départements ont d’ailleurs effectué ce travail en amont. Il est certain que l’étendue et la complexité de notre dossier peuvent effrayer. Contrairement à d'autres, nous ne demandons pas l'inscription d'un bien dans une région ou un département. Prenez par exemple le projet d’inscription des plages du Débarquement : il concerne essentiellement le Calvados, un peu la Manche pour Utah Beach, et la région Basse-Normandie. C’est plus restreint au niveau spatial, et c’est aussi plus facile de fédérer des personnes sur le terrain.
Dans la Somme, le marais de Frise (photo J. V.)
Comment allez-vous procéder à ce travail d'affinage que vous mentionnez ?
Tout le travail va consister à se mettre en adéquation avec les critères de l’Unesco. Dans cet exercice, il n’y a pas de règle générale... Il suffit qu’une ligne à haute tension passe à proximité du site ou que les angles de vues soient perturbés par d’autres constructions pour qu’un site, même remarquable, ne puisse être présenté.

L’Unesco n’est-elle pas réticente à inscrire des sites guerriers ?
Non, l’Unesco n'est pas réticente puisque de très nombreux biens militaires sont déjà inscrits. La question est plus de savoir si l’on reconnaît la valeur universelle exceptionnelle de certains biens issus, par exemple, des deux guerres mondiales. Il semble qu’il y ait des avis divergents. Pourtant, ces sites nous permettent de tirer les leçons du passé pour construire un avenir plus pacifique et l’Unesco ne peut y être insensible.

Quelles sont les échéances prévues pour le dépôt de ce projet ?
Avec nos partenaires belges, nous prévoyons un dépôt en janvier 2015 pour une inscription en 2016 ou 2018.

À quelles difficultés vous heurtez-vous ?
Nous avons reçu le soutien du ministre des Anciens combattants et les échos sont plutôt bons du côté des ministères de l’Écologie et des populations locales. Nous avons aussi des soutiens à l’étranger, notamment dans les pays anglo-saxons, et les départements – même s’ils sont accaparés par leurs manifestations pour le centenaire – nous soutiennent. Mais nous attendons encore un soutien clair de la Mission du Centenaire qui nous permettrait d’asseoir notre légitimité. Nous venons de rencontrer son président, le général Irastorza, qui semble avoir été très sensible à notre démarche. Nous espérons officialiser un partenariat qui me semble logique puisque dans le rapport rédigé par M. Zimet en 2011 (voir interview de Joseph Zimet sur ce blog), le dossier porté par notre association figurait parmi les "trois grands projets pour un Centenaire" .

Un “classement” Unesco entraîne-t-il des contraintes pour les personnes qui vivent à proximité du bien ?
Il ne faut pas oublier que ces sites sont pour certains déjà dans des zones protégées : Natura 2000, parcs naturels régionaux, Znieff... Ils sont par conséquent déjà dans un environnement protégé. En ce qui nous concerne, tous les problèmes seront aplanis en amont d’une éventuelle inscription : au besoin, il y aura des réajustements. Par ailleurs, une fois que le site sera labellisé, vous n’aurez pas le même type de protection si le bien est en “zone cœur” ("périmètre inscrit”), en “zone tampon” (qui fournissent un autre degré de protection) ou dans des zones d’accompagnement. Mais il ne faut pas surestimer les contraintes d’une inscription sur la liste du Patrimoine mondial : les centres historiques de Lyon ou de Bordeaux ont été inscrits et cela n’empêche pas les gens d’y vivre et d’y dormir.

Et si votre projet n'est pas sélectionné pour une inscription au Patrimoine mondial ?
Nous n'envisageons pas cette possibilité, d'autant plus que la Belgique est en pointe sur ce dossier.
Pourquoi votre association communique-t-elle peu sur son travail ?
Notre association a été fondée en juillet 2011, le travail a commencé au même moment dans les différents départements, mais jusqu’à présent peu d'annonces ont été faites autour de ce dossier. Une table ronde a été tenue au Festival de géographie de Saint-Dié et aux Rendez-vous de l’Histoire de Blois, une conférence de presse a été organisée en janvier au Sénat, ainsi qu’une présentation au Salon mondial du Tourisme. C’est délibéré. Il faut rester discret lorsque l’on monte une inscription sur la Liste du patrimoine mondial. Notre idée n’était pas de partir dans tous les sens. Nous devions terminer notre inventaire sur le terrain des sites susceptibles d’être sélectionnés dans un premier temps. Maintenant que celui-ci est achevé, nous organisons un colloque, avec des tables rondes, le 8 juin prochain, à l’École militaire, à Paris : nous présenterons le projet, mais nous souhaitons aussi réunir un maximum d’associations de sauvegarde du patrimoine pour qu’elles puissent échanger leurs expériences respectives. Il est primordial pour nous d’associer tous ceux qui oeuvrent sur le terrain pour valoriser ce patrimoine unique.

Unesco : un processus d'inscription en quatre étapes
L'inscription d'un bien sur la liste du Patrimoine mondial de l'Humanité se fait au terme d'un long travail mené par l'Etat signataire de la convention de l'Unesco.
1. Il doit en premier lieu dresser une "liste indicative" des biens qu'il propose pour inscription au cours des cinq à dix années à venir (en France, un dossier est à présenter au préalable, devant le Comité national des biens français du patrimoine mondial, et doit recevoir un avis favorable du ministère de la Culture ou/et de l’Écologie).
2. La proposition d’inscription est ensuite soumise au Centre du patrimoine mondial qui vérifie si elle est complète. Si c’est le cas, le Centre l’envoie à l’organisation consultative compétente pour évaluation.
3. Les biens proposés pour inscription sont évalués par deux organisations consultatives indépendantes, désignées par la Convention du patrimoine mondial : le Conseil international des monuments et des sites (Icomos) et l’Union mondiale pour la nature (UICN).
4. Enfin, le Comité intergouvernemental du patrimoine mondial prend la décision finale concernant l'inscription du bien. Il peut aussi différer sa décision et demander aux États parties de plus amples informations sur leurs sites.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire