A la 5e division d'infanterie, plusieurs écrivains évoquent les jours et les nuits d'attente des combattants aux abords et dans le petit village de Neuville-Saint-Vaast. Mis bout à bout sans logique, sinon géographique, ils forment une ballade littéraire, à la manière d'un cadavre exquis, ce jeu inventé par les Surréalistes après-guerre. (Photos DR)
En partant près du mont Saint-Eloi :
"Toute la plaine de Neuville apparaît devant nous, ondulée, écorchée en tous sens de tranchées entre lesquelles poussent des herbes. Les obus y ont creusé des entonnoirs entourés de mottes de terre projetées comme des éclaboussures. Neuville, La Targette, Les Rietz étalent leurs amas de pierres blanches reliés par les carcasses d'arbres de la grande route. Au-delà, sur le versant , les tranchées allemandes serpentent vers le bois de la Folie, se tordent, se rejoignent, se ramifient. On les découvre d'ici comme une carte déployée. Dans la plaine, rien de vivant. C'est un désert d'une tristesse infinie. Derrière nous, le Mont-Saint-Éloi dresse ses deux tours démantelées au-dessus de la brume. Et dans le fond du vallon, il y a des hommes qui se promènent à découvert. Tout autour de nos tranchées, des crois coiffées de képis et de chéchias."
A proximité du hameau de la Targette, l'on débouche près d'une position de soutien.
"Nous arrivâmes au clair de lune dans le village en ruines dont les maisons éventrées étaient habitées par des chats. Sur la grande-route d'Arras, qui traverse le village, se croisaient des hommes de corvées portant des sacs et des gamelles, des infirmiers poussant des brancards, des agents de liaison le fusil à la bretelle et la canne à la main ; tous marchaient vite et parlaient bas. Des balles perdues passaient en soupirant : si elles vous atteignent, disait-on, elles tuent toujours et ne blessent jamais. Une barricade de charrettes et de portes fermait l'entrée du village ; des tonneaux de chlore baignaient dans une flaque où se reflétait la lune."
Non loin de la route de Béthune à Arras, une autre scène de désolation se découvre :
"Pour regagner la plaine par les tranchées d'accès, il fallait contourner le château… Ce qu’une pancarte indiquait comme étant le château – ô ironie ! – synthétisait lugubrement, en sa pauvre carcasse fracassée, l'effarante vision du village supprimé. Il avait dû être charmant, ce château : il était maintenant pitoyable comme une tasse de Chine réduite en miettes. Un seul pan de mur était debout, où s'arc-boutaient en une culbute imprévue, les solives rôties du toit. Rien ne subsistait qu'un léger perron surmonté de fer forgé et l'armature tordue d'une marquise. Un peu plus loin, dans le parc sans doute, nous passâmes sous l'arcade gracieuse d'un pont rustique. Rien n'était plus émouvant à cet instant que la ridicule évocation de ce coin de parc aux grâces mièvres et vieillottes... Quelle secousse brutale ! Quel changement de cadre effrayant pour ce plaisant bibelot des beaux soirs paisibles ! Et cette taie, ce vernis, ce linceul obsédant tissé de gris ardoise, encore, toujours, implacablement."
Passé le village de Neuville-Saint-Vaast, nous voici en première ligne dans le secteur du cimetière.
"On dirait que rien ne vit, dans ce chantier de gravats brûlé par le soleil. Cette nuit, on tremblait de froid dans les trous, maintenant on suffoque. Rien ne bouge. Ecrasé contre le parapet de sac à terre, dont sa capote a pris la teinte, le guetteur attend, sans un mouvement, pareil à celui qu'on voit couché devant la chapelle, les bras en croix et la nuque béante, le crâne gobé par la blessure. Les obus tombent toujours, mais on ne les entend plus. Hébétés, fiévreux, nous sommes allés en visite dans la tombe à Sulphart. On la reconnaît à son enseigne : "Mathier, ancien maire." Du matin à la nuit, il joue aux cartes avec Lemoine et comme il perd, il injurie l'autre et l'accuse de voler. Lemoine reste tranquille. - Gueule pas tant, lui dit-il seulement, tu vas réveiller le maire."
Pour voir des images de Neuville-Saint-Vaast lors des combats, cliquez sur ce lien.
Successivement, les témoignages de Robert Desaubliaux, 129e RI, La Ruée, journal d'un poilu, éd. Presses de la Renaissance, Jean Hugo, 36e RI, Le Regard de la mémoire, éd. Babel, témoignage de Marcel Miguet, 74e RI, repris par Henri Dutheil dans De Sauret la Honte à Mangin le Boucher, roman comique d'un état-major, éd. Nouvelle Librairie Nationale, et Roland Dorgelès, 39e RI, dans Les Croix de Bois, éd. A Michel.
Pourquoi ce blog et comment le lire ?
Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
Comment consulter cette page ? Vous pouvez lire progressivement les messages, qui ne respectent pas un ordre chronologique (ils évoquent, par exemple, l'année 1915 ou 1914). Vous pouvez aussi avoir envie de vous attarder sur une année ou un secteur géographique : pour cela, cliquez dans la colonne à gauche dans la rubrique "Pages d'histoire du 36e" sur la période et le lieu qui vous intéressent. Tous les messages seront alors rassemblés pour vous selon l'ordre de publication.
Comment rentrer en contact ? Pour de plus amples renseignements sur ce site, ou me faire parvenir une copie de vos documents, vos souvenirs ou remarques, écrivez-moi. Mon adresse : jerome.verroust@gmail.com. Je vous souhaite une agréable lecture.
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9 avr. 2009
Témoignages exquis
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