Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
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21 oct. 2010

"Devant Craonne" (II)

Continuons le récit que Paul Chevalier fait de sa vie, et  celle du 36e régiment d'infanterie, dans les tranchées du bois de Beaumarais, dans l'Aisne à l'hiver 1914-1915. Dans cette deuxième et dernière partie de son texte, l'homme décrit longuement l'approvisionnement, l'ennui et le moral à l'étiage de ses camarades.

Paul Chevalier, du 36e RI, devant un abri,
 dans les bois de Beaumarais.
"Durant ces dix jours, les vivres ne nous ont pas manqués. Chaque jour, nous avons touché du vin, de l’eau de vie et même du tabac, le plus rares sont les bougies et les allumettes, voire le papier pour écrire ce que l’on ne pouvait se procurer qu’au prix des plus grandes difficultés. Le moral est assez bon en général quoique le temps semble très long pour rien. Bien souvent, pendant ces longues nuits de veille j’ai songé à toute l’horreur de la guerre présente, et j’ai souffert devant toutes ces ruines. De ces jours il me restera toujours des souvenirs très pénibles. Dans cette lutte sans merci, nos pertes sont sensibles et le moral affaibli, car rester continuellement au même endroit sachant que la mitraille va tomber d’un moment à l’autre influe sur le cerveau, même aux tempéraments les mieux trempés (1), aussi puisque j’y pense, je vais dire un mot sur la nourriture. C’est que les hommes ne mangent pas l’ordinaire, il est froid et, en général, c’est un rata (bœuf et haricots) transporté dans des marmites la nuit au travers des boyaux tortueux (2) ; il arrive forcément mauvais et les hommes ne le mangent que le jour suivant ; le pain a l’air pas assez cuit. J’ai la cruauté de parler de la propreté personnelle : pas d’eau, juste pour boire, aussi nous sommes d’une saleté repoussante avec cela l’invasion des rats de cour dégageant une odeur infecte. Mes impressions de cette prise de tranchées sont que les hommes sont complètement épuisés et s'il fallait nous voir ce matin au retour, c’est piteux : des traînards tout au long de la route. Les hommes marchent péniblement et la fatigue était peinte sur le visage. C’est une chose dont on parle peu mais qui est primordiale : la fatigue du troupier existe, ne l’oublions pas ! Plus on va, plus je vois combien cette chose est horrible et pénible. Le mal commence à se faire sentir chez tout le monde aussi ce n’est que cris et que haine de tous côtés que l’on entend. Enfin espérons, grâce à Dieu, que la fin de ce cauchemar approche. Nous avons passé le réveillon dans cette position. Les Allemands l’ont fêté joyeusement, cris, chants, cantiques, tout y était (3). Il nous ont causé demandant de ne pas tirer et souhaité joyeux Noël. Le calme chez nous, impressionnant, a fait plus à tous que leurs bruits. On sentait ou chacun plaçait le devoir. Cela n’empêche pas que toute la nuit nous avons redoublé de surveillance et que, de temps à autres, des coups de feu furent échangés mais sans attaque quoi qu’il s’est passé quelque chose à notre droite (4).
Nous sommes au repos pour quelques jours seulement. Nous sommes à Zel les hameaux à quelques kilomètres d’Aubigny (5), à vingt kilomètres de la ligne de feu. J’oubliai de dire que durant cette période j’ai eu la peine de voir un de nos avions descendu par les avions ennemis. La lutte a été courte, quelques coups de mitrailleuses et notre avion a fait un tour sur lui même et est tombé. Toutefois le pilote a eu le temps de redresser son appareil pour aller dans nos lignes et les allemands tiraient tant qu’ils pouvaient des coups de fusils sur cet oiseau blessé. Quelle triste journée."


Pour lire la suite du carnet de Paul Chevalier, en Artois, c'est ici.

Notes :
(1) A Beaumarais, les craintes liées aux tirs tirs de l'artillerie allemande angoissaient tellement les hommes et les officiers, que le colonel Viennot préconise, fin janvier, la mise au point d'un dispositif pour attirer les tirs de l'artillerie sur la cote 120.
(2) L'objectif de Fernand Le Bailly montre que les cuistots et les "roulantes" ont suivi les soldats dans les bois de Beaumarais.
(3) Le 25 décembre, le capitaine Rosay, de la 8e compagnie, note dans son rapport de patrouille : "Les Allemands ont célébré la veille de Noël par des chants qui se sont succédés pendant presque toute la nuit, avec accompagnement de flutes et probablement de violons." 
(4) Dans la journée du 24, les Allemands montrent une certaine nervosité. Durant la nuit, selon le JMO de la 5e division, ils entretiennent des fusillades nourries et lancent de nombreuses fusées. "Il y a eu échange de nombreux coups de fusils entre les tranchées de première ligne dans le secteur dans le secteur compris entre le Choléra et la Ville-aux-Bois (à droite des bois de Beaumarais, NDR)."
(5) Information énigmatique.

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