Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
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27 mai 2011

Le chevalier d'Artois (IV et fin)

Une barricade à Neuville-Saint-Vaast. Album Mangin,
(Source : bibliothèque nationale de France, département
Estampes et photographies, 4-QE-1036).
Suite et fin du témoignage de Paul Chevalier consacré à son engagement à Neuville-Saint-Vaast dans les rangs du 36e RI. Le carnet du combattant ne s'interrompt pas pour autant, car l'homme reprendra la plume pour relater les épisodes de Souchez, Verdun et des Eparges...

"Le dernier jour, c’est-à-dire le 10 juin, où nous nous sommes emparés complètement du village, fut terrible. Un bombardement intense et sans arrêt. Avec cela, la pluie a fait son apparition. Les tranchées bouleversées par les obus donnaient aux hommes une situation pénible. Nous étions complètement couverts de boue, et malgré cela il fallait avancer sous la mitraille. Des milliers d’hommes luttaient, marchant sur les cadavres, les blessés dont j’entends encore les râles effrayants. Partout, du sang, la boucherie sans discontinuer. 
Lorsque nous fûmes maîtres du village et que la canonnade diminua, on a passé à l’organisation. Il faisait nuit, les Allemands ne cessaient de nous envoyer des fusées qui éclairaient le ciel presque sans arrêt. On fit des tranchées et des barricades toute la nuit ; les hommes étaient dans un état affreux couverts de boue par dessus la tête et très fatigués. Au jour, malgré le bombardement incessant mais moins fort, on put visiter le village ou plutôt ce qui restait. Pas un mur n’était debout, des incendies finissaient de brûler les ruines. Partout des cadavres, des équipements français et allemands : des fusils en quantité, musettes, cartouches. 
"On visita certaines caves, les unes semblaient encore remplies de fumées ; impossible d’y parvenir, d’autres, à moitié enfoncées par les obus, étaient remplies de cadavres. Celles où l’on peut pénétrer, on s’y cache pour se mettre à l’abri des obus qui tombent toujours. Le travail que les Allemands ont fait dans ces caves pour résister au bombardement est formidable. D’abord elles sont recouvertes d’une épaisse couche de béton étayée avec d’énormes poutres de bois. Dans l’intérieur, on trouve toutes sortes d’effets militaires allemands. Certaines ont en plus une autre cave creusée au dessous de la première. Ce devait être celle des officiers. Des lits sont aménagés, lits volés dans le pays. Partout on sent une connaissance complète du système militaire. Ils avaient aménagés jusqu’à un petit train pour le ravitaillement. Dans le village, on ne peut reconnaître aucune rue. Toutefois, la rue principale donne par endroit la forme d’une rue. Elle est presque tous les 20 mètres barrée par une barricade où la lutte a été vive, car il en reste des traces. Nos obus ont fait un travail épouvantable : des trous où une maison avec une cave se trouvaient il ne reste plus qu’un immense tas de débris de toutes sortes. Je n’ai rencontré que des chats qui ont résisté à cet enfer, car on a le cœur serré devant tant de ruines et malgré soi on a, en fixant de quelques côtés que l’on se tourne, on a envie de pleurer. Il y avait une église, je n’ai pu en trouver la place. Partout au milieu des maisons on a construit des tranchées. De temps à autre, on aperçoit les restes d’un intérieur, les meubles sont éventrés, la vaisselle cassée, tout est brisé, quelques tableaux restent accrochés après des pans de murs, des inscriptions allemandes forment le décor de cette triste vision. 
Neuville-Saint-Vaast, juin 1915, dans l'album Mangin,
(Source : bibliothèque nationale de France, département
Estampes et photographies, 4-QE-1036).
"Nous avons trouvé beaucoup de grenades allemandes (1), et un fait que j’oubliais, qui est primordial, c’est avec les grenades allemandes en particulier que nous les avons battus. Elles sont meilleurs que les nôtre et beaucoup plus faciles à manipuler. Les nôtres sont sans conteste inférieures et demandent toute une préparation avant de partir. L’équipement allemand est très bien et ils sont très bien habillés. Les fusils nous en avons trouvés de nouveaux modèles, de véritables armes de précision. Certains avaient le nouveau casque en feutre couleur terre. Il y avait de beaux hommes et de très jeunes de 17-18 ans qui pleuraient et demandaient pardon en se rendant. Quelles scènes horribles !
"Je garderai toute ma vie le souvenir de ces jours pénibles car c’est dans l’horreur que nous avons vécu, aussi je prie Dieu de faire cesser toutes ces choses."


(1) Compte-rendu des événements de la journée du 10 au 11 juin, signé par Vallières, chef d'état-major : "Les Allemands (...) ont laissé un nombreux matériel, dont une douzaine de mitrailleuses, 3 lance-bombes, des milliers de grenades, des outils de parc en très grand nombre, 800 000 cartouches, un millier de fusils, 2 appareils incendiaires et trois canons de 77". (AFGG, tome III, Annexe 564)

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