Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
Comment consulter cette page ? Vous pouvez lire progressivement les messages, qui ne respectent pas un ordre chronologique (ils évoquent, par exemple, l'année 1915 ou 1914). Vous pouvez aussi avoir envie de vous attarder sur une année ou un secteur géographique : pour cela, cliquez dans la colonne à gauche dans la rubrique "Pages d'histoire du 36e" sur la période et le lieu qui vous intéressent. Tous les messages seront alors rassemblés pour vous selon l'ordre de publication.
Comment rentrer en contact ? Pour de plus amples renseignements sur ce site, ou me faire parvenir une copie de vos documents, vos souvenirs ou remarques, écrivez-moi. Mon adresse : jerome.verroust@gmail.com. Je vous souhaite une agréable lecture.

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30 avr. 2009

Le flâneur du 36e : quand le régiment allait au muguet

image hébergée par photomaniak.com
"Le printemps est venu, et «nos bois» deviennent superbes : on va à la cote 120 cueillir le muguet, pourchassés parfois par les obus, mais les fleurs n’en auront que plus de prix aux yeux des parents, de l’épouse, de la fiancée ; au repos à Chaudardes, Concevreux, on se baigne dans l’Aisne, on pêche les truites du Ployon et, faut-il le dire, on chasse parfois dans les bois environnants." (Historique du 36e régiment d'infanterie, Impr. de A. Le Boyteux , Caen, 1903). Photos : le muguet pointe encore aujourd'hui dans les bois de Beaumarais à la cote 120 (à gauche) et à la Caillette, près de Verdun.


La Marne, et ça repart (I)

Carte ci-contre : entre le 8 et le 12 septembre 1914, le 36e RI parcourt 75 km (balises vertes). Au passage, elle libère Albert Thierry au Breuil. Plus à l'est, l'itinéraire de Jules Champin (en bleu), du même régiment, sur la même période, tel que mentionné dans son carnet.

Le Petit Morin franchi et passé Montmirail, le régiment poursuit sa progression plein nord et talonne l'armée allemande. De ces journées qui précèdent l'arrivée dans la plaine champenoise de Courcy, le soldat Champin, à la 1ère compagnie, lorsqu'il rédige ses souvenirs en 1969, laisse entendre que les hommes retrouvent confiance. Le 9 septembre : "Réveil à 5 heures. Nous reprenons notre marche en avant. Le moral est bon. On ne suit pas les routes, elles sont réservées à l'artillerie. Nous marchons à travers champs et nous traversons beaucoup de grands bois, plusieurs village à moitié détruits. (...) Nous allons nous préparer à camper dans un grand bois lorsque nous y sommes accueillis par une pluie de grosses marmites qui ne nous font plus peur, car on commence à y être habitué." Pour une raison que j'ignore, le chemin suivi par Champin (cet itinéraire sera aussi celui suivi par mon arrière-grand-père Fernand Le Bailly à la 6e compagnie) s'écarte de celui du régiment (voir carte ci-dessus), qui continue sa progression vers le nord. Pour le 10 septembre, le soldat mentionne en effet un parcours passant par Champaubert, Montfort (Montmort), Epernay . Comme la veille, le réveil se fait dans la nuit, vers 3 heures du matin. "Les grosses marmites qui avaient tombé derrière nous ne nous avaient pas empêché de dormir. Nous faisons le jus, et aujourd'hui c'est la fête, le ravitaillement est bien arrivé. Nous touchons beaucoup de vivre qui nous semble bon car on en avait besoin, puis nous reprenons notre marche. (…) On se demande où sont partis les boches. Nous avons traversé beaucoup de bois. Nous repassons la Marne aux environs de Damery (dans le JMO, le 36e passe la Marne plus à l'ouest, à Sauvigny) sur un pont laissé intact que les boches ont bien voulu nous laisser. Il y a beaucoup de vignes avec de belles grappes, ainsi que des fruits, c'est le paradis, car on ne peut s'y empêcher d'y goûter. Nous n'avons pas laissé beaucoup de temps aux boches d'en emporter beaucoup. Enfin nous arrivons dans une grande ferme où une partie de notre bataillon est réuni. Je vais toucher des vivres de réserve pour une escouade, mais comme nous sommes beaucoup dans le même cas, ça ne va pas vite. Enfin mon tour arrive tout de même, mais il est plus de minuit lorsque je peux rejoindre mes camarades de ma section. Nous avons touché quelques boîtes de singe (boeuf) en conserve qui seront bien accueillis. Ma section couche dans une étable mais, comme j'arrive en retard toutes les bonnes places sont prises et je suis obligé de me coucher entre de gros boeufs qui heureusement ne sont pas méchants. J'avais peur de me réveiller écrasé le lendemain, mais j'ai tout de même dormi quelques heures." (Pour lire la suite du témoignage de Champin, c'est ici)

9 avr. 2009

Témoignages exquis

A la 5e division d'infanterie, plusieurs écrivains évoquent les jours et les nuits d'attente des combattants aux abords et dans le petit village de Neuville-Saint-Vaast. Mis bout à bout sans logique, sinon géographique, ils forment une ballade littéraire, à la manière d'un cadavre exquis, ce jeu inventé par les Surréalistes après-guerre. (Photos DR)

En partant près du mont Saint-Eloi :
"Toute la plaine de Neuville apparaît devant nous, ondulée, écorchée en tous sens de tranchées entre lesquelles poussent des herbes. Les obus y ont creusé des entonnoirs entourés de mottes de terre projetées comme des éclaboussures. Neuville, La Targette, Les Rietz étalent leurs amas de pierres blanches reliés par les carcasses d'arbres de la grande route. Au-delà, sur le versant , les tranchées allemandes serpentent vers le bois de la Folie, se tordent, se rejoignent, se ramifient. On les découvre d'ici comme une carte déployée. Dans la plaine, rien de vivant. C'est un désert d'une tristesse infinie. Derrière nous, le Mont-Saint-Éloi dresse ses deux tours démantelées au-dessus de la brume. Et dans le fond du vallon, il y a des hommes qui se promènent à découvert. Tout autour de nos tranchées, des crois coiffées de képis et de chéchias."

A proximité du hameau de la Targette, l'on débouche près d'une position de soutien.
"Nous arrivâmes au clair de lune dans le village en ruines dont les maisons éventrées étaient habitées par des chats. Sur la grande-route d'Arras, qui traverse le village, se croisaient des hommes de corvées portant des sacs et des gamelles, des infirmiers poussant des brancards, des agents de liaison le fusil à la bretelle et la canne à la main ; tous marchaient vite et parlaient bas. Des balles perdues passaient en soupirant : si elles vous atteignent, disait-on, elles tuent toujours et ne blessent jamais. Une barricade de charrettes et de portes fermait l'entrée du village ; des tonneaux de chlore baignaient dans une flaque où se reflétait la lune."

Non loin de la route de Béthune à Arras, une autre scène de désolation se découvre :
"Pour regagner la plaine par les tranchées d'accès, il fallait contourner le château… Ce qu’une pancarte indiquait comme étant le château – ô ironie ! – synthétisait lugubrement, en sa pauvre carcasse fracassée, l'effarante vision du village supprimé. Il avait dû être charmant, ce château : il était maintenant pitoyable comme une tasse de Chine réduite en miettes. Un seul pan de mur était debout, où s'arc-boutaient en une culbute imprévue, les solives rôties du toit. Rien ne subsistait qu'un léger perron surmonté de fer forgé et l'armature tordue d'une marquise. Un peu plus loin, dans le parc sans doute, nous passâmes sous l'arcade gracieuse d'un pont rustique. Rien n'était plus émouvant à cet instant que la ridicule évocation de ce coin de parc aux grâces mièvres et vieillottes... Quelle secousse brutale ! Quel changement de cadre effrayant pour ce plaisant bibelot des beaux soirs paisibles ! Et cette taie, ce vernis, ce linceul obsédant tissé de gris ardoise, encore, toujours, implacablement."

Passé le village de Neuville-Saint-Vaast, nous voici en première ligne dans le secteur du cimetière.
"On dirait que rien ne vit, dans ce chantier de gravats brûlé par le soleil. Cette nuit, on tremblait de froid dans les trous, maintenant on suffoque. Rien ne bouge. Ecrasé contre le parapet de sac à terre, dont sa capote a pris la teinte, le guetteur attend, sans un mouvement, pareil à celui qu'on voit couché devant la chapelle, les bras en croix et la nuque béante, le crâne gobé par la blessure. Les obus tombent toujours, mais on ne les entend plus. Hébétés, fiévreux, nous sommes allés en visite dans la tombe à Sulphart. On la reconnaît à son enseigne : "Mathier, ancien maire." Du matin à la nuit, il joue aux cartes avec Lemoine et comme il perd, il injurie l'autre et l'accuse de voler. Lemoine reste tranquille. - Gueule pas tant, lui dit-il seulement, tu vas réveiller le maire."

Pour voir des images de Neuville-Saint-Vaast lors des combats, cliquez sur ce lien.

Successivement, les témoignages de Robert Desaubliaux, 129e RI, La Ruée, journal d'un poilu, éd. Presses de la Renaissance, Jean Hugo, 36e RI, Le Regard de la mémoire, éd. Babel, témoignage de Marcel Miguet, 74e RI, repris par Henri Dutheil dans De Sauret la Honte à Mangin le Boucher, roman comique d'un état-major, éd. Nouvelle Librairie Nationale, et Roland Dorgelès, 39e RI, dans Les Croix de Bois, éd. A Michel.

2 avr. 2009

L'invité du 36e : Albert Thierry ou la guerre buissonnière

Le 9 septembre 1914, après avoir traversé Montmirail et talonnant les Allemands, le 36e Régiment d'infanterie poursuit sa remontée en direction de Reims. Dans le petit village du Breuil, l'unité libère des soldats français blessés. Parmi eux, Albert Thierry, un soldat au 28e RI. Qui était cet homme inclassable, enseignant et écrivain ? Vincent Le Calvez, qui a exhumé ses carnets de guerre, nous en dit plus. (Ci-contre : Albert Thierry, 1881-1915)

Comment avez-vous découvert Les carnets... d'Albert Thierry ?
En 2003, lorsque j'ai démarré mes recherches sur le 28e régiment d'infanterie et sur mon arrière-grand-père par alliance, Adolphe Orange, la seule référence bibliographique sur cette unité était Les carnets de guerre d'Albert Thierry, qui avaient été publiés en 1917 et 1918 dans La Grande Revue, une revue littéraire et politique. Je me suis donc mis à rechercher cette publication avec une collègue documentaliste. Au terme de quelques semaines, nous l'avons retrouvée dans le fond documentaire de la bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris...

Quelle a été votre réaction à la première lecture ?
Un choc. Il y avait une énorme coïncidence : Albert Thierry est mort le 26 mai 1915 en Artois, le même jour qu'Adolphe Orange… Mon arrière-grand-père était à la 3e Compagnie, Thierry à la 5e. Ils ont tous les deux été tués la même après-midi et déclarés comme tel le jour même. Thierry a reçu un éclat d'obus à la nuque, Adolphe Orange a lui aussi été touché par un éclat. Les corps de ces deux hommes n’ont pas été retrouvés. Ils reposent peut-être dans l’un des ossuaires de la nécropole nationale de Notre-Dame-de-Lorette.

En revanche, Les carnets du guerre nous sont parvenus. Comment ?
Le 26 mai 1915, le jour de sa mort, Thierry conserve ses carnets dans l’une de ses musettes. Sa fiancée, Suzanne Jacoulet (il sont fiancés depuis juillet 1914), la fille du directeur de l'École normale supérieure de Saint-Cloud, les a récupérés et les a fait publier dans La Grande Revue. C’est un document "phare" pour l’étude du 28e RI car il retrace avec force la retraite et la vie des tranchées de Berry-au-Bac. Le problème, c'est qu'ils sont censurés à certains moments. De plus, il y a un énorme trou quand son régiment cantonne à Fismes, avant d'aller en Artois, en avril 1915. Il manque 15 jours de retranscription. Autant dire un film ! Pourquoi ? On ne sait pas. Peut-être que Suzanne a effacé quelques épisodes. Ce sont peut-être des carnets d'un soldat réécrits par une fiancée... Toujours est-il que ces écrits sont cités en 1929 par l'essayiste et ancien combattant Jean Norton Cru dans son ouvrage Témoins, où l’auteur salue Les Conditions de la Paix, ouvrage écrit par Albert Thierry lors de l’hiver 1914-1915.

Pourtant Albert Thierry ne vient pas d'une famille d'intellectuels…
Oui, c'est vrai. Sa famille est une famille ouvrière. Albert naît en août 1881, son père est maçon. La famille quitte Montargis pour monter à Paris, et son père fait faillite. Albert Thierry grandit donc dans un environnement assez pauvre. Heureusement, c’est un élève brillant et il passe le Baccalauréat avec succès. Il a alors la chance de rentrer à l'École normale supérieure de Saint-Cloud. Un de ses professeurs, Francisque Vial, dira de lui qu'il avait une puissance de travail et un appétit de connaissance phénoménaux... Thierry est un travailleur solitaire et curieux de tout.

Comment se déroulent ses années de formation ?
Il quitte l'École normale supérieure de Saint-Cloud en 1903, et fait une année de service militaire. Puis, il parcourt l'Allemagne et l'Autriche, où il découvre la culture allemande. Il revient en France et il prend son poste à l'École primaire supérieure de Melun. Il enseigne le français, l'histoire et l'allemand à des adolescents qui viennent plutôt d'un milieu ouvrier.Et il rencontre Péguy…
Je pense que Péguy et lui se sont rencontrés, aux alentours de 1907, alors que Thierry était enseignant à Melun. Thierry est bien évidemment abonné aux Cahiers de la Quinzaine, créés par Péguy. Il ne cesse de faire la publicité pour cette revue. Il a pratiquement un amour aveugle pour l'écrivain, qu'il défendra jusqu'au bout, et n’hésitera pas à répondre aux attaques de militants socialistes à l'encontre de Péguy au moment de sa conversion au catholicisme.

Albert Thierry publiera dans les Cahiers...
Après la revue Pages Libres, il publiera son ouvrage L'homme en Proie aux Enfants (1909), qui est considéré notamment par le chercheur et spécialiste en sciences de l'éducation Philippe Meirieu comme un des ouvrages clés de la pédagogie moderne. C’est un ouvrage passionnant, une tranche de vie d’un enseignant dans le microcosme d’une classe.

Justement quel est son apport sur ce plan ?
Pour Albert Thierry, une classe n'est pas un tombeau. Une classe est un endroit qui doit vivre. Thierry est le premier à décrire ainsi dans L'homme en proie à des enfants la notion du "moment pédagogique", c'est-à-dire l'instant où l'enseignant réalise qu'il y a une résistance des élèves à son action éducative. Albert Thierry veut aussi donner une conscience aux élèves : lors d'une grève à Paris, il va découper des articles de presse et va demander de réagir à ses élèves sur ces articles. On est loin des méthodes classiques de l'école de la IIIe République... D'ailleurs, Thierry est encore présent car trois établissements scolaires portent aujourd'hui son nom : à Montargis, son lieu de naissance, à Limay dans les Yvelines, et à Versailles. (Ci-contre : l’école Albert Thierry de Versailles.Yvelines,78)

Comment se déroulent les premiers mois de guerre d'Albert Thierry ?
C'est très ambigu. Albert Thierry est un solitaire, pourtant il "aime" son prochain. Il est très patriote, il veut aller de l'avant, mais il trouve les soldats souvent grossiers, obscènes, surtout dans les dépôts militaires où il ne supporte pas la vie de caserne. Lorsqu'il est blessé en septembre 1914, à l'hôpital, il veut revenir au front le plus rapidement possible. Mais ce n’est pas un fou de guerre et il n’hésite pas à avouer sa faiblesse physique.

Il y aussi des moments de souffrance...
Oui, c’est omniprésent. Il souffre à cause de la guerre, de l'invasion des Allemands... Les destructions l'épouvantent, notamment lorsqu'il se rend à Berry-au-Bac, à Cormicy ou à Aix-Noulette dans les écoles des villages sur la ligne de front. Dans ces classes, il découvre des registres d'écoliers vieux de dix ans et se rend compte que ces écoliers sont au front.
Il souffre aussi de la disparition de ses amis. Il y a la fameuse date du 20 septembre dans ses carnets où il apprend la mort de Péguy. Elle est notée en italique dans le texte : "Péguy est mort". Pour lui, c'est un désastre. Il est effondré. À l’hôpital de Cholet, il écrira un poème dédié à l'écrivain qui sera publié dans les carnets de l’association des amis de Charles Péguy.
Il va aussi apprendre la mort de l’un de ses amis, Paul Soulas, probablement un enseignant, mais aussi le décès de l’un de ses anciens élèves de Melun (que l’on découvre dans L’homme en proie des enfants) : Henri Saint-Mars.

À propos de son patriotisme, Albert Thierry est très anti-allemand. Il les surnomme "les Injustes"…
Oui, bien sûr, Il est terriblement haineux vis-à-vis des Allemands qu’il qualifie d’"Injustes", voire d’"Inhumains". Selon lui, ils ne représentent pas la civilisation, mais la destruction. Il se ne gênera pas d’ailleurs de leur dire, lorsqu’il sera prisonnier du 4 au 9 septembre 1914.
Mais il aura aussi d’autres réactions. Quand il est libéré (entre autres par le 36e régiment d'infanterie), il est révolté quand il voit des soldats français dévaliser des blessés allemands et s'emparer de trophées. Tout au long de son journal de guerre, Albert Thierry est très sensible aux rumeurs, à la presse, aux lettres que lui envoie Suzanne, lesquelles lui décrivent les atrocités allemandes en Belgique. Il peut être absolument vindicatif à l'égard des soldats de Guillaume comme avoir des grands moments d'humanité. Lorsqu'il est à Berry-au-Bac, il décrit dans ses carnets des tombes où sont enterrés côte à côte des Français et des Allemands.

Mais paradoxalement en pleine guerre, il croit à la paix ?
Oui. Là encore, son travail est très original… Alors qu'il est dans les tranchées en 1915, Albert Thierry poursuit un projet, démarré à Evreux, qui lui sera posthume, intitulé Les Conditions de la Paix. Soit des propositions de paix applicables pour l'Europe, et ce, dès 1916 ! Il écrit alors qu'il s'abrite dans la cave d'une petite écluse, en première ligne de tranchées. Au final, il rédige 70 articles. Le manuscrit de cet ouvrage, publié en 1917, sera retrouvé sur le corps d’Albert Thierry en même temps que ses carnets de guerre.

Connaît-on tous les écrits d'Albert Thierry aujourd'hui ?
Non ! Il doit y avoir des lettres inédites écrites à ses amis, ses anciens élèves, à sa famille… On ne connaît pas non plus ses poèmes qu'il rédige pendant la guerre. Et puis il faudrait retrouver bien sûr ses carnets originaux. Cela permettrait d'en savoir plus, notamment sur les parties censurées. Dans les années 60, René Petit Jean, un "fan" de Thierry, et l'amitié Charles Péguy, s'y sont employés. Sans succès... Ils ont demandé aux soeurs d'Albert Thierry. Mais personne ne sait où est le fonds documentaire de La Grande Revue. Qui sait, un jour, on retrouvera ses Carnets... et le manuscrit de ses Conditions de la Paix…

Extrait de ses carnets. Les dernières lignes de ses Carnets :
"Halte et longue séance dans la tranchée de tir, entre des murs de terre et des sacs, sans tirer, sous un bombardement intermittent et quelques balles.
W… – Est-ce pas malheureux qu’une mère élève un fils jusqu’à vingt ans pour le faire tuer ?
Moi – Elle ne l’élève pas pour le garder sur ses genoux, mais pour lui donner une forte vie, et qu’il la donne librement, à quelque chose de grand.
Disant cela, je suis frappé de voir comme c’est bien répondu aussi dans la pensée de Dieu. Il ne vous a pas élevé, Vous mon Ami unique, pour que vous jouissiez !... (non, je ne puis pas ! je ne puis pas appliquer cela à Soulas…) Que vous êtes dure, Vérité ! Nous sommes huit assis à ces deux créneaux. Quelle salade si l’obus y tombait !... Mais il n’y tombera pas, ... car tu me protèges et je les protège. Le capitaine passe et me dit qu’il est défendu de faire un carnet de route. Je le sais bien. Et surtout celui-ci, trop vrai qu’il est, tout surprenant qu’il soit. Mais nous ne parlerons pas du danger."

Sur le site de Vincent Le Calvez, vous pouvez lire les deux-tiers des carnets de guerre d'Albert Thierry.
- La retraite, sa blessure, sa captivité, sa libération (août-septembre 1914), Berry-au-Bac, Cormicy (janvier-avril 1915), L’Artois, ses derniers jours (mai 1915). Et pour en savoir plus sur Albert Thierry, cliquez sur ce lien