Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
Comment consulter cette page ? Vous pouvez lire progressivement les messages, qui ne respectent pas un ordre chronologique (ils évoquent, par exemple, l'année 1915 ou 1914). Vous pouvez aussi avoir envie de vous attarder sur une année ou un secteur géographique : pour cela, cliquez dans la colonne à gauche dans la rubrique "Pages d'histoire du 36e" sur la période et le lieu qui vous intéressent. Tous les messages seront alors rassemblés pour vous selon l'ordre de publication.
Comment rentrer en contact ? Pour de plus amples renseignements sur ce site, ou me faire parvenir une copie de vos documents, vos souvenirs ou remarques, écrivez-moi. Mon adresse : jerome.verroust@gmail.com. Je vous souhaite une agréable lecture.

Avertissement : Si pour une raison quelconque, un ayant-droit d'une des personnes référencées sur ce site désire le retrait de la (les) photo(s) et des informations qui l'accompagnent, qu'il me contacte.

31 oct. 2008

"Le Monde.fr" : le 36e en une !

Grande nouvelle ! Fernand Le Bailly et ses photographies ont les honneurs de l'édition électronique du Monde pour 48 heures ce 31 octobre. En ligne, 11 photos, dont certaines inédites, accompagnées d'une petite interview de votre serviteur, entretien réalisé au téléphone (d'où le son très médiocre) avec le journaliste Léo Ridet. J'y retrace l'histoire de Fernand et celle de son album photographique de la Grande Guerre. Le format imparti était très court ; je ferai mieux la prochaine fois !
Lien : "La guerre de 14-18 racontée en photos", portfolio sonore. A retrouver aussi sur cette page.

28 oct. 2008

Neuville s'en va

Légende de la photo dans l’album de mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly : "Groupe des maisons en "U". 29 mai 1915. Certaines compagnies de notre régiment eurent pour mission d'enlever une maison ou un groupe de maison du village. Nous, 10ème Cie, attaquâmes à la baïonnette à gauche de celles-ci, sur les tranchées allemandes le 1er juin (le 29/05 selon le JMO, NDLC). Partis 97, je me souviens qu'après avoir enlevé la tranchée allemande, dans laquelle j'eu la chance de sauter le premier, nous sommes revenus onze ! L'assaut avait duré 15 à 20 secondes."

En ces derniers jours du mois de mai 1915, plus rien ne semble arrêter l'ouragan des bombardements qui pilonnent nuit et jour les tranchées de Neuville-Saint-Vaast et écrasent le hameau des Rietz. Sous le marmitage des 105, 150 et 305, réglés par un insaisissable drachen allemand, le 36e régiment d'infanterie s'accroche aux premières maisons du village : le 2e bataillon est placé à l'est du boyau de Neuville, le 3e à l'ouest ; le 1er bataillon est en soutien à la Targette. Les bois de Beaumarais, les quelques obus qui tombaient hier au petit bonheur sur la plaine de Courcy, sont bien loin... Aujourd'hui, le marteau-pilon de Guillaume redouble d'une violence méthodique et implacable.
Le village de Neuville-Saint-Vaast vit ses dernières heures... De nombreuses maisons, hérissées de leur charpente, s'abattent comme des châteaux de cartes sous la violence du bombardement. D'autres, avec leur façade défigurée par les impacts de balles et les trous d'obus, tiennent encore debout. Leur toit squelettique se découvre vide de tuiles, pulvérisées par la mitraille. Les rues, les places du bourg peuvent encore se deviner sous les gravats et les moellons. Certaines sont barrées par des barricades méticuleusement renforcées. Alentours, dans les jardins et les champs, les hautes herbes cachent le maillage des défenses accessoires plantées par les Allemands depuis quelques mois.
Pour se repérer dans cet enchevêtrement, le 36e et le 129e régiment d'infanterie utilisent une carte sur laquelle le village a été divisé en une dizaine de zones, identifiées chacune par une lettre de l'alphabet, chaque maison portant un numéro. Entre deux bombardements, les hommes de la 5e division entreprennent méthodiquement la conquête du nord du village. Le 29 mai, le 3e bataillon du 36e RI réussit à occuper les maisons en "U" qui servait de flanquement à l'ennemi. De nombreux cadavres allemands sont découverts. Mais le lendemain, la 12e compagnie, la compagnie Girard, à qui l'on donne l'ordre de progresser dans les maisons c1, c2, c3 (aujourd'hui, le long de la rue Marron) est notée comme disparue "sans donner de nouvelles" dans le compte rendu de fin de journée. Une situation jamais vue jusqu'à présent à la division. Le même jour, pour appuyer une action entreprise plus au sud, vers le Labyrinthe, l'artillerie de la 5e division exécute quelques tirs qui ont pour réponse plusieurs tirs de barrages de la part de l'ennemi. Un dépôt de munition situé aux Rietz, atteint par un projectile, saute...

Merci à Thierry Cornet, à Donald Browarski et à son musée militaire situé à Neuville-Saint-Vaast, pour leur carte de "NSV".

24 oct. 2008

Dans la mitraille

Un mail m'a été envoyé par M. Eric Abadie lundi dernier dont vous trouverez ci-dessous la retranscription. Pour toute information m'envoyer un message que je ferai suivre.

"Mon grand-père, Hilaire Abadie, classe 1911, natif du village de Fransart dans le département de la Somme, a été soldat mitrailleur 2e classe au 36e régiment d'infanterie de novembre 1916 à la fin de la Grande Guerre. A la déclaration de guerre, il achevait son service militaire au 120e régiment d'infanterie et c'est dans ce régiment qu'il combattit par la suite, avant d'être affecté au 147e régiment d'infanterie en mars 1916. A la même date, il est désigné ou s'est porté volontaire pour suivre une formation de mitrailleur. Le 20 novembre 1916, il passe au 36e régiment d'infanterie appartenant à la 5e division d'infanterie. Il obtient la croix de guerre avec citation à l'ordre du régiment (n° 907), le 27 novembre 1917 (entre-temps, il sera évacué pour maladie le 19 mai 1917, NDR), en ces termes : "Très brave a montré les plus belles qualités militaires dans toutes les affaires auxquelles il a pris part. Blessé le 8 setembre 1914 à Sermaize." Il sera blessé le 11 août 1918 au sud de Lassigny (Oise) par éclat d'obus et évacué vers l'hôpital complémentaire d'armée n° 39 de Beauvais. La photographie jointe montre mon grand-père mitrailleur à la 2e compagnie de mitrailleuses assis derrière la mitrailleuse Hotchkiss. Elle peut être datée de la fin de l'année 1917 ou du printemps 1918. Cinq soldats (debout) de sa compagnie sont présents à ses côtés. Peut-être leurs descendants reconnaîtront-ils leurs ancêtres ? Je serais intéressé de retrouver leurs noms."

16 oct. 2008

Danse macabre à Courgivaux (II)


Suite et fin (temporaire) du récit de mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, sur le combat du 7 septembre 1914 autour du village de Courgivaux, dans lequel fut engagé le 36e régiment d'infanterie (ci-dessus : entre ombre et lumière, la plaine au sud de Courgivaux aujourd'hui, vue depuis le cimetière, où le régiment a attaqué. Le ferme du Bel-Air, mentionnée dans le texte est située sur la droite)

"Hélas, nous avancions bien trop vite, au contraire. Nous étions arrivés dans la zone battue par nos propres canons et je vois encore deux gros arbres voltiger dans l'espace, à moins de cent mètres de nous. C'était le travail de nos 75 ! Il était malheureusement trop tard, nos artilleurs ne pouvant nous apercevoir, cachés que nous étions par les bois, tiraient par rafales et avant que nous ayons eu le temps de rétrograder, avait déjà tué trois des nôtres et blessé plusieurs autres, quel horreur !

Le capitaine Malfre vit le coup et m’appela aussitôt. «
– Le Bailly, êtes-vous trop fatigué pour courir jusqu’au colonel qui se trouve là-bas, derrière la meule que vous voyez dans le bas de la plaine ?Non, mon capitaine, je vois ce que vous désirez, j’y vais. Il faut de suite aviser les quatre batteries d’allonger leur tir. » J’étais déjà galopant dans cette plaine, sautant par-dessus les morts et les blessés pendant que obus et balles allemandes me sifflaient aux oreilles de tous côtés. J’étais seul debout sur ce champ de mort et je me souviens que malgré toute l’ardeur que je mis pour atteindre au plus vite la dite meule, elle semblait s’éloigner de moi au fur et à mesure que j’avançais. Arriverai-je oui ou non ? J’étais à bout de souffle, encore un effort… j’étais au but. Bref, je remplis ma mission et pour la troisième fois j’arpentai cette plaine mais… je pris mon temps, je procédai par bonds en utilisant le terrain.
A peine avais-je parcouru un tiers du parcours, j’eus le bonheur de voir le tir s’allonger. J’eus aussi la joie de voir ma compagnie s’avancer au fur et à mesure et déborder le village par la droite. Quand je le rejoignis, elle tirait à l’abri du talus face au cimetière de Courgivaux. Une grande ferme (la ferme du Bel-Air, NDLC) flambait. Le cimetière était bouleversé de fond en comble, ses murs étaient littéralement hachés, le sol était recouvert de blessés allemands, je vis des morts en quantité dans les sillons d’un champ labouré, des chevaux éventrés – mais nous n’avions guère le temps de bien regarder et au commandement de notre chef, nous nous élançâmes dans la cour de la ferme qui brûlait.
Partis, envolés, les Allemands ! Ce fut du délire ; nous pénétrâmes au pas de course dans le village : cadavres allemands, chevaux allemands, caissons, équipements allemands, tout cela pêle-mêle pendant que leurs blessés qu’ils n’avaient pas eu le temps d’enlever, hurlaient de douleur.

Et l’ordre arriva de nous assembler – tout le 36ème avait donné – et de prendre une heure de repos. Pendant ce temps, notre artillerie prenait position derrière nous et semant la mort dans les rangs de nos ennemis qui, en colonnes, là-bas, sur les routes, s’enfuyaient à une allure folle.

Nous nous précipitâmes dans les jardins et ce fut, entre nous, un assaut en règle autour des puits. Boire ! Boire ! N’importe quoi, mais boire.

Mais… qu’est-ce donc que ces cris qui partent du centre du village. Est-ce que la danse recommencerait ? Non ! Ce sont les femmes, les vieillards, les enfants de l’endroit qui, sortis de leurs caves, poussent des hurlements de joie en voyant les pantalons rouges !

Pauvres gens ! Quelle terreur sur leur visage ! Mais au bout d’une demi-heure, la détente se produit, ils pleurent de bonheur, ils nous serrent les mains, sans crier, sans phrases et avec des seaux nous apportent de l’eau, du vin, du pain. Nous nous battons presque, à qui en aura.

Mais abrégeons. Courgivaux était à nous, bien à nous. Nous avions décimé 3 bataillons bavarois sur six qui défendaient, paraît-il, le village. Quant à notre 36e qui, seul, avait mené l’attaque, il n’avait guère perdu en moyenne plus d’un quart de son effectif : à peine un bataillon.
Là devait commencer la poursuite effrénée de l’ennemi. Nous trottions depuis cinq heures déjà après avoir traversé quatre villages en feu. Nous marchions à travers champs pendant qu’une avant-garde de cavalerie et nos flancs gardes « battaient » le terrain, quand l’ordre arrive de nous faire prendre quelque repos. Il était six heures du soir, nous nous étions battus pendant près de 11 heures durant, nous étions fourbus.
Point n’est donc besoin de dire que nous avons dormi comme des brutes.
Ceci se passait le 6 septembre
(en réalité le 7/09/1914)."

12 oct. 2008

Le blog du 36e a un an !

Il y a un an, j'écrivais la première ligne de ce blog. Avec ce cinquante-septième billet, l'occasion m'est donc donnée de remercier tous les lecteurs assidus ou non de cet espace. Et plus particulièrement ceux qui m'ont fait confiance et m'ont encouragé en me faisant parvenir des souvenirs et des témoignages de combattants du 36e régiment d'infanterie. En écrivant cela, je pense bien évidemment aux dessins d'Adrien Perrier, aux photos de Fernand Mathias, au carnet de Jules Champin et à tous les documents qui m'ont été envoyés.
Depuis sa création, ce site a connu 4 535 visites (dont 2 685 visiteurs uniques) et 10 105 pages vues, à l'origine géographique très diverse : Belgique, Canada, Etats-Unis, Italie... et, bien sûr, France (91 % des visites !) Souhaitons que ces chiffres croissent, preuve de l'intérêt que vous portez à l'histoire de ces hommes et à leur rôle dans la Grande Guerre, alors que trois poilus français viennent de disparaître cette année (à noter, la galerie photos de l'hommage au "dernier poilu" Lazare Ponticelli aux Invalides est toujours en ligne sur ce blog à cette adresse).
Deux sujets ont occupé pour une large part les billets de ce blog jusqu'à présent : ils concernent l'action du 36e régiment d'infanterie dans la plaine de Courcy, fin 1914, et dans les bois de Beaumarais, début 1915. Dans les prochains mois, ces thèmes seront étoffés – une occasion d'évoquer, entre autres, l'arrivée du froid, la poursuite des travaux de tranchées dans la Marne, et dans l'Aisne, l'attaque du 25 janvier, le rôle joué par la ferme du Temple, près de Pontavert, etc. De même, d'autres récits porteront sur la bataille de la Marne (la traversée de Montmirail, la lutte dans le château de Courcy...) et l'engagement du 36e à Neuville-Saint-Vaast et les combats de juin. Encore une fois, si vous avez des documents, des photos, des souvenirs, n'hésitez pas à prendre contact avec moi. A toutes et à tous, je vous souhaite une excellente année de lecture.

(Photo : votre serviteur, dans son uniforme du 36e, croqué par Stephan Agosto, illustrateur, également auteur d'un blog sur le 74e RI)

7 oct. 2008

Danse macabre à Courgivaux (I)

Continuons le récit de Fernand Le Bailly avec l'attaque du 36e RI sur Courgivaux dans la nuit du 6 au 7 septembre 1914 (ci-dessus : le sud du village aujourd'hui : le silo marque l'emplacement de la ferme du Bel-Air, en feu lors de ces deux journées. Dans le prolongement du pylône se trouve le cimetière de Courgivaux.)

"A 2 ½ du matin, tout le régiment, par lignes de section, se faufilait dans les bois avoisinant Courgivaux. C'est à ce moment que le capitaine Malfre me fit l'honneur de me demander si je voulais être un de ses hommes de liaison. Il en choisit trois autres parmi ceux qui s'étaient déjà battus. Je devais rester son homme de confiance jusqu'au jour où, à côté de moi, un obus lui fracassa toute la partie gauche du corps. Vers 4 h du matin, les Allemands commencèrent la danse. Ce fut pendant cinq heures une orgie de coups de fusils, de mitrailleuses et d'obus de part et d'autre.
Notre artillerie tirait à 1400 m et nous à 800 m. Puis le capitaine Malfre m'envoya dire aux sections de la compagnie
(Le Bailly appartient à la 6e compagnie, NDLC) de se porter dans la plaine, en tirailleurs. Là, je l'avoue, j'ai hésité quelques secondes, les psss ! psss ! des balles me sifflaient aux oreilles et les tac tac produits par leur arrivée sur les arbres me fit reculer et coucher deux fois ; cette musique étrange accompagnée par les cris des malheureux qui déjà tombaient morts ou blessés, me cloua, je le confesse, en me traitant de poltron intérieurement… j'avais vaincu la peur.
Que ceux qui ont passé par là et qui se targuent de n'avoir jamais ressenti la moindre émotion s'estiment fiers d'eux-mêmes. Personnellement, je demande pardon aux miens de cette faiblesse passagère, sûrs d'avance qu'ils m'ont déjà pardonné puisque… depuis, je le jure, je n'ai jamais faibli !

Ah cette plaine avec sa crête derrière laquelle on apercevait le village, je le reverrai tout le temps que je vivrai.
Tous ces hommes couchés à plat ventre, tirant sans cesse, étaient magnifiques de calme et de sang froid.

Par bonds et par escouades, ils se rapprochaient du village, cependant que les Allemands, à coups de mitrailleuses, de fusils et d'obus, balayaient la dite plaine et semaient la mort dans nos rangs.

Au-dessus de nos têtes, nos 75 arrosaient copieusement l'entrée du village par un tir dit «
de barrage » afin d'empêcher l'ennemi d'en déboucher et je regardais ce spectacle à côté du capitaine Malfre, debout comme lui, au milieu de cette plaine où déjà plus d'un tiers des nôtres restaient en arrière, très surpris de constater que malgré cette pluie d'enfer, il y avait encore moyen de trouver des vides sans se faire tuer.
Quant à mes trois camarades, ils s'étaient tranquillement mis à plat ventre et faisaient du tir rapide. A côté de moi, à mes pieds, un «
poilu » ne cessait de tempêter et pour cause : une balle venait de déchirer littéralement sa gamelle ; un autre voyait son fusil voltiger en l'air sous l'impulsion d'un éclat d'obus ; un autre trouvait qu'on « n'avançait pas assez vite » ."

(A suivre...)

3 oct. 2008

Un anniversaire sous les bombes

Reprenons le fil du témoignage de Fernand Le Bailly ce samedi 5 septembre 1914, à la veille de la bataille de la Marne. Une journée bien spéciale pour mon arrière-grand-père : versé dans le 36e régiment d'infanterie, il vient d'entendre la lecture de l'appel de Joffre, il a vu un soldat fusillé pour pillage, et un bombardement se rapproche... Voici comment ces quelques heures seront par la suite relatées dans son carnet :

"Nous restâmes là quatre heures, sans bouger, blottis dans des trous creusés à la hâte avec nos outils portatifs. Puis… le soir vint, les obus tombaient toujours mais s'éloignaient de nous et c'est alors que dans une pensée rapide je revis tous ceux que j'aime et je me souviens que ce jour là… était mon anniversaire de naissance (le 5/09/1880, NDLC).
En face de nous, un tableau saisissant s'offrait : une quinzaine de villages flambaient ; c'est alors que 16 canons de 75 vinrent se mettre derrière nous, à environ 200 mètres et qu'à raison de 14 coups à la minute chacun… Ils préparèrent l'action que nous devions commencer le lendemain au petit jour sur le village de Courgivaux (en réalité, le 36e attaque Courgivaux le 7 septembre).
Nous fîmes le café et nous nous étendîmes.
Dire que j'ai dormi : non. Dire que j'ai eu peur aux premiers obus : non. Un pincement violent au cœur qui se mit à battre à outrance pendant une minute à peine, telle est la sensation que j'ai ressentie en recevant le baptême des « marmites ».

Il est vrai que le capitaine Malfre nous avait de suite rassurés en se promenant tranquillement au milieu de tous ces éclatements, la cigarette aux lèvres, les mains derrière le dos et quand l'un de nous était inquiet… je l'entends encore «
Mais mon gars, ce n'est rien… ce ne sont que des petits obus, ceux-là ne peuvent qu'à peine te blesser »…"

Au même moment, deux autre régiments de la 5e DI, le 74e régiment d'infanterie et le 129e, sont engagés dans la reprise du village de Courgivaux. Le combat dure la journée entière et reste inscrit au panthéon de la division : la défense des sections de mitrailleuses Thorel et Jougla, du 74e, le petit cimetière transformé en fortin, le tir à bout portant des batteries du 43e régiment d'artillerie de campagne, le général Mangin, selon la légende, faisant le coup de feu pipe à la bouche et bottes cirées... Au soir, le petit bourg reste néanmoins aux mains des Allemands. Le 36e RI est alors jeté dans la fournaise avec l'ordre de s'en emparer.

(Photo : le monument aux morts au centre de la nécropole de Courgivaux, créée en septembre 1914)