(Ci-contre : une peinture de Michaël Gaumnitz pour le générique de son documentaire "Premier Noël dans les tranchées", photo DR)
Si l'on en croit Marc Ferro, on sait encore peu sur le mouvement spontané des fraternisations qui intervint côté français sur le ligne de front lors du Noël 1914. L'épisode le plus célèbre, dont s'est inspiré en partie le réalisateur Christian Carrion pour réaliser Joyeux Noël, fut sans doute la trêve qui s'instaura devant les tranchées du 74e régiment d'infanterie et du 7e chasseur à cheval, le 24 et 25 décembre, dans la plaine de Courcy, à l'ouest de Reims. Rappelons l'épisode en reprenant le Journal de marche du 74e pour ces journées : "Pendant toute la soirée, les Allemands ont chanté et joué de la musique dans les tranchées qui nous font face (…) Dans la matinée, un certain nombre d'Allemands sont sortis de leurs tranchées sans armes et en levant les bras ; quelques-uns d'entre-eux portaient des petits sapins comme arbre de Noël, quelques-uns de nos hommes voyant cela sont également sortis de leurs tranchées."
Ce que l'on sait moins, c'est que cette suspension d'hostilité fut précédée plusieurs semaines auparavant par de nombreuses manifestations qui annonçaient peu ou prou ce "joyeux entracte", où les armes allaient se taire pendant quelques heures. Les rapports consignés dans les cartons de la 5e division indiquent ainsi plusieurs petits "signaux" échangés de part et d'autres des tranchées, et notamment dans le secteur du 36e régiment d'infanterie, où devait se retrouver quelques jours plus tard le 7e chasseur à cheval. Ces rapports sont bien évidemment à lire entre les lignes, et il est indispensable de tenir compte de la langue de bois et de l'autocensure avec lesquels ils furent rédigés.
Dès la mi-novembre, plusieurs micro-événements attestent en effet que toute idée de dialogue n'est pas révolue entre Français et Allemands. L'histoire de l'adjudant Houette, qui voit "A. Von Wolff, capitaine prussien" adresser ses condoléances, "en qualité de camarade", à la veuve d'un soldat français abattu devant les lignes allemandes, à la mi-novembre, est assez symptomatique. De même, le 22 du même mois, le colonel Bernard, commandant du régiment, note dans un rapport : "Hier, les Allemands ont arboré un drapeau blanc de leur tranchée de la coupure. Comme ils n'en sont pas sortis, nous nous sommes méfiés et il n'y aucune suite à cette manifestation" (le fait est également rapporté dans le JMO) Cinq jours plus tard, l'annonce de l'encerclement de l'armée de Mackensen par l'armée russe à la bataille de Lodz est acclamée bruyamment par les Français. Mais cette fausse bonne nouvelle est immédiatement suivie de la mise en place d'une pancarte, côté allemand, annonçant que l'affrontement s'est soldé par des milliers de prisonniers russes. Selon une note rédigée par Bernard, un Allemand va jusqu'à sortir de la tranchée en pleine nuit, "s'approcher à portée de voix et crier : «Camarades français (c'est moi qui souligne), on vous trompe, ce ne sont pas les Russes qui sont victorieux, mais les Allemands.»"
Au début du mois de décembre, après une série de patrouilles lancées sur le front de la 5e division, les drapeaux blancs font de nouveau leur apparition. Le commandant du 36e RI note le 5 décembre : "En face du moulin (de Courcy), les Allemands agitèrent des drapeaux blancs et quand les hommes se découvraient (…) une fusillade très nourrie les accueillait" (voir aussi JMO du 36e). Regain d'hostilité ? Difficile d'y croire, car dans un autre rapport daté du même jour, l'officier note : "Les Allemands sortent tellement peu de leurs tranchées que nos patrouilleurs ont rapporté les journaux disposés à leur intention tout près de leurs tranchées. Les paquets étaient intacts."
Le 9 décembre 1914, le 36e, parti aux bois de Beaumarais, est remplacé par le 274e RI, les territoriaux du 102e RI, ainsi qu'une centaine de cavaliers du 7e chasseurs. Parmi ces derniers, le lieutenant Ernest Béchu nous laissera une description assez circonstanciée des fraternisations qui eurent lieu entre les deux armées. Elles commenceront dans la nuit du 24 au 25 par des cantiques dans les tranchées allemandes, suivis par des danses autour de sapins éclairés. Enfin, un Allemand sautera sur la parapet et donnera un chant a capella qui sera interrompu par une détonation. Pour finir, le lendemain, le lieutenant Béchu assistera à un spectacle peu banal : après qu'un lièvre fut tiré dans le no man's land, deux fantassins français iront le chercher sous les applaudissements des soldats de Guillaume. Mais la trêve n'a qu'un temps et à peine deux soldats allemands s'avanceront vers la tranchée française que l'artillerie tirera pour que chacun regagne sa tranchées. "Quatre obus passent en sifflant sur nos têtes, raconte le lieutenant, et viennent éclater avec une précision admirable à deux cents mètres au-dessus des tranchées allemandes. On voit au milieu de la fumée la terre et les débris de toutes sortes voler. Nos chasseurs crient Bravo ! Chacun sent que la meilleure solution a été prise et se réjouit que se termine ainsi la fugitive trêve de Noël. Maintenant ne songeons plus qu'à nous réjouir au grand jour en compagnie de nos braves cavaliers. Dans la nuit sont arrivées, bien arrimées dans de coquets paniers, les bouteilles de champagne offertes par le commandant. Quand la soupe sera là, nous allons en guise de Joyeux Noël, faire partir les bouchons en direction des tranchées allemandes."
(Merci à Robert Clément qui m'a fait part du texte d'Ernest Béchu).
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20 déc. 2009
De timides trêves entre les lignes
13 déc. 2009
Roger Couturier, la plume brisée (II)
Suite du billet sur Roger Couturier, entamé le 29 novembre dernier.
Après un voyage où il a l'occasion de lier connaissance avec le lieutenant Roland Engerand, Couturier rejoint son régiment d'affectation à Fismes, le 21 mai 1915, alors que le 36e RI est sur le point d'embarquer pour être jeté dans la grande offensive sur l'Artois. Le jeune garçon ne reste que quatorze heures dans la petite ville de l'Aisne. Versé dans le premier bataillon, tout comme Jean Hugo, le soldat témoigne lui aussi des ovations tout au long du voyage vers le nord de la France, avant son arrivée au Auxy-le-Château. Une fois sur place, il cantonne à Sus-Saint-Léger, puis passe à Maroeuil, avant d'arriver dans la zone des combats fin mai.
Son bataillon est placé en réserve, et c'est donc sous les bombardements incessants que le jeune garçon fait son apprentissage du feu. A l'excitation de ces premières journées se mêle une longue hébétude due au marmitage incessant. Très vite pourtant, cette guerre lui déplaît ("Oh ! La laide guerre où l'on se terre, où l'on se cache ! Comme nous sommes loin des guerres d'autrefois dont j'aimais les récits !! Où sont : «les bivouacs sommeillant sous les cieux étoilés», le choc des armées en campagne, les charges magnifiques terminant les combats. Ici, il faut s'anéantir sans s'être vus et la mort frappe au hasard, sans la beauté de la lutte." ) Le réconfort, il le trouve au contact du lieutenant Engerand et de la religion. Il visite ainsi l'église de Maroeuil dont le maître-autel est "anéanti", rencontre l'aumônier ("un prêtre très brave et très aimé, il me cause longuement et gentiment pendant que les projecteurs balayent le ciel") et sert la messe le 31 mai dans un abri-caverne ("sur un autel improvisé, à la lueur de quelques bougies, au bruit des canons (…) J'ai même le bonheur inouï, inespéré de pouvoir communier.").
Le 28 mai, Roger Couturier dans une lettre à sa mère décrit une tranchée : "Nous sommes en ce moment dans un boyau profond de 1,80 m à 2 mètres et large de 1,50 m. Pour venir, nous avons traversé "la Targette" en ruines, partout une odeur suffocante. Les balles sifflent autour de nous pendant que j'écris : dans le ciel se dessine unn Zeppelin. Au loin, des fusées. Nous changeons deux ou trois fois de place, cependant une fusée rouge nous repère et immédiatement fusils et canons se mettent à cracher de notre côté."
(A suivre...)