Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
Comment consulter cette page ? Vous pouvez lire progressivement les messages, qui ne respectent pas un ordre chronologique (ils évoquent, par exemple, l'année 1915 ou 1914). Vous pouvez aussi avoir envie de vous attarder sur une année ou un secteur géographique : pour cela, cliquez dans la colonne à gauche dans la rubrique "Pages d'histoire du 36e" sur la période et le lieu qui vous intéressent. Tous les messages seront alors rassemblés pour vous selon l'ordre de publication.
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28 févr. 2011

Le flâneur du 36e : en attendant l'ennemi

8 mai 1915. Le troisième bataillon cantonne dans la partie gauche des bois de Beaumarais, pendant que le premier bataillon est en réserve à Chaudardes et Concevreux. Sur cette carte, deux sous-officiers, sans doute du 2e bataillon, surpris par l'objectif, prennent la pose dans les ruines de Pontavert. (Photo DR)

18 févr. 2011

Pascale brutale

La tombe d'Adrien Laloé aujourd'hui,
à Ifs-sur-Laizon.
Avec le mois d'avril, les bombardements reprennent dans le secteur du bois de Beaumarais. La canonnade des Allemands, à coups de 150, de 77... est dirigée sur le mont Hermel, les bois de Beaumarais, et plus particulièrement sur Chaudardes, où les soldats du 36e régiment cantonnent, à 4 kilomètres de la première ligne. Du 13 au 17, le petit village est arrosée quotidiennement. Le 16 avril, c'est le drame : après une interruption de près de vingt jours, la danse macabre redémarre. Trois hommes sont tués, comme le rapporte ce compte-rendu rédigé par le commandant du 2e bataillon : "A 17h, un premier obus de gros calibre tombait dans la partie sud-ouest du village, sur une maison inoccupée. Une sentinelle de la 8e compagnie [il s'agit du Coutançais Pierre Robert], placée dans le rue en face, fut projeté contre le mur et tué. Un deuxième obus dans la partie centrale du village éclatait au-dessus de l'entrée d'une cave dans laquelle une section de la 5e compagnie était en train d'entrer. Deux hommes furent tués [le Parisien Fernand Bodeux et un soldat natif du Loir-et-Cher, Louis Franchet] et quatre blessés. Six autres obus tombèrent dans le même îlot de maisons, ne causant que des dégâts (très importants). Les deux derniers tombaient sur deux maisons de la sortie nord du village ne causant que des dégâts. Sur les 4 blessés, un seul est grièvement atteint à la tête. Les autres ne le sont que légèrement aux membres. Le médecin du bataillon fait un compte rendu sur la gravité des blessures. Tout le monde est dans les caves et j'ai prescrit que cette nuit les hommes y coucheraient." 
Le cimetière militaire de Romain pendant la guerre.
Quelques jours plus tard, la mort s'invite dans les bois de Beaumarais. C'est au tour du Verdunois Jules Mérienne (12e Cie) et du Caennais Lucien Lapersonne (8e Cie) de tomber sous les obus dans les bois de Beaumarais. Puis, le 23, la faucheuse, jamais bégueule, revient à Chaudardes, cueillir Adrien Laloé, soldat de la sixième compagnie. Pauvre Adrien... Né à Chef du Pont, dans la Manche, en 1886, il avait rencontré Désirée Catherine, qu'il avait suivie dans la grande plaine de Caen, au hameau de Condé-sur-Ifs. A la déclaration de la guerre, il s'était retrouvé naturellement dans le régiment du Calvados. Jusqu'à ce jour, où blessé avec un de ses camarades, il sera secouru par le médecin aide-major Emile Beix (le même qui a tenté de sauver Wiart, un autre Adrien, chef de bataillon, d'une blessure infligée par un tireur d'élite allemand). Mais cela ne suffira pas. Adrien sera enterré dans le cimetière militaire de Romains, et son acte de décès ne sera retranscrit que deux mois plus tard. A la fin de la guerre, sa dépouille reviendra dans le village de son épouse, où elle repose désormais au pied d'une épitaphe à demi effacée par le temps et les pluies..

Merci encore à Valérie Lecroq pour ses photos sur Adrien Laloe.

10 févr. 2011

L'esprit de chapelle de la 10e compagnie (I)

Avec le mois d'avril 1915, le troisième bataillon du 36e régiment d'infanterie se retrouve près de 24 jours dans les tranchées du "sous-secteur n°2" de Beaumarais, soit la partie gauche des bois. Cette attente prolongée est mise à profit par le commandant de la 10e compagnie, Georges Chassery, et l'aumônier du 36e régiment d'infanterie, Henri Bornot (photographié ici par Fernand Le Bailly), pour construire une petite chapelle rustique. Peu de traces subsistent aujourd'hui de cette construction, qui fut à sa manière un petit événement pour le régiment du Calvados : quelques photos, accompagnées de diverses mentions dans les témoignages. Cette construction n'étant mentionnée ni dans le Journal de marche et d'opération du 36e RI, ni dans les rapports conservés aujourd'hui au Service historique de la défense, il est délicat ainsi d'avancer un emplacement (une carte postale éditée après-guerre indique que le monument régimentaire, situé sur la D894, fut érigé sur le lieu de cette petite église ; protégé par le mont Hermel et le la cote 120, l'édifice aurait ainsi été protégé des vues de l'ennemi). Mais à la lueur d'un très émouvant témoignage, retrouvé par Jean-Claude Poncet, nous pouvons en savoir plus sur les circonstances qui ont entourés la création de ce petit oratoire sylvestre et de la manière dont il fut accueilli. Voici ce texte :

"La construction d'une chapelle à Jeanne d'Arc à B[eau]-M[arais] (Aisne)

"Extraits de lettres du commandant Chassery [Chef du 3e bataillon]à son épouse :


Illustration : recto-verso d'une carte postale signée "H.B",
sans doute l'aumônier du 36e RI, Henri Bornot, qui figure
à droite de la photo. A sa droite, Georges Chassery.
"16 avril 1915. — Je fais construire ma chapelle dédiée à Jeanne d'Arc. Notre aumônier [il s'agit d'Henri Bornot] ne se tient plus de joie à la pensée d'avoir une église-cathédrale de huit mètres sur quatre, avec autel et clocher. Nous allons probablement y mettre l'autel du presbytère de P[ontavert] et ton étendard complétera la décoration. Quand nous quitterons nos bois, notre cantonnement deviendra certainement un but d'excursion, et notre chapelle peut-être un lieu de pèlerinage. Si Dieu me prête vie, et j'ai confiance en lui, alors, tous les deux, nous viendrons faire un pieux pèlerinage à la chapelle de Jeanne d'Arc du B[eau]-M[arais] et je te ferai revivre l'époque actuelle, qui est toute vibrante des émotions de la guerre, car chaque coin, chaque arbre a presque son histoire.

"18 avril 1915. — L'abbé B[ornot], notre aumônier, est venu nous dire la messe ce matin. Il a admiré notre chapelle, qui commence à prendre une tournure très élégante. Elle est construite toute en clayonnage, et la croix de son clocher s'élève à 6 m 50 de haut. C'est tout à fait le type des chapelles de mission. La cloche sera faite de la douille d'un gros obus de 150, et le battant d'une fusée d'un obus de 155, que les Boches nous ont envoyé ce matin [Le JMO du 36e indique à cette date "Sous-secteur n°2 : trois obus de 150 tombés sur la 12e compagnie à 14 heures"]. L'aumônier veut absolument baptiser la cloche le dimanche 3 mai, et te demande d'être marraine par procuration ; le parrain sera vraisemblablement le commandant V[peut-être, le commandant Voisin, chef du deuxième bataillon du 36e RI ?]. Travaille vite à ton étendard ; demande des objets de piété aux personnes pieuses, et envoie-nous le tout avec des dragées pour le dimanche 3 mai. Les noms des parrains et marraines seront gravés sur une douille de 75, redressée à cet effet. Sur d'autres plaques de cuivre, on inscrira les noms des soldats tombés au champ d'honneur dans nos bois.
Je te remercie de faire des démarches pour l'ornementation de ma chapelle, qui commence à prendre tournure. L'autel et le tabernacle sont de véritables bijoux de vannerie. Le clocher et la toiture sont couverts de genêts, donnant à cette chapelle un air à la fois sauvage et recueilli. La chapelle ne sera inaugurée que le 9 mai, car nous manquons de matériel, ce qui nous retarde un peu."


(La suite, c'est ici.)
(Merci à Jean-Claude Poncet et Stéphan Agosto sans qui ce billet n'aurait pas été possible)

9 févr. 2011

L'esprit de chapelle de la 10e compagnie (II)

Suite et fin du courrier de Georges Chassery, chef du 3e bataillon du 36e RI, au sujet de la création de la petite chapelle de Jeanne d'Arc, dans les bois de Beaumarais, en avril 1915.

Une photo, prise peut-être le mardi 27 avril 1915,
jour de l'inauguration de la chapelle. A gauche de l'aumônier
Girard, Chassery. A droite, le sous-lieutenant de Viefville.  
"25 avril 1915. —- Quand tu recevras cette lettre, j'aurai quitté mes bois pour une destination inconnue [le régiment doit alors partir en Artois]. Ma pauvre chapelle ! Je suis navré de l'abandonner à la veille de son inauguration. Néanmoins, nous ne la quitterons pas ainsi. Mardi, une messe sera dite pour la bénir, et j'emporterai des photographies. Mon cœur se fend à l'idée de quitter ces bois auxquels j'étais arrivé à m'attacher profondément. Enfin, n'en parlons plus : la patrie, la France nous appellent ailleurs pour défendre son territoire envahi. Partout, nous saurons remplir avec la même abnégation notre devoir militaire jusqu'au bout.

"27 avril 1915. — Nous avons inauguré notre chapelle ce matin. Certes, elle aurait été beaucoup plus jolie si elle avait eu tous les ornements qui lui étaient destinés. Malgré tout, elle était très bien, avec son autel tout fleuri, son étendard de Jeanne d'Arc, et ton cher fanion qui abritait sous ses plis les noms des soldats du 3e bataillon tombés au champ d'honneur* dans les bois du B[eau]-M[arais]. Nous avions pu mettre un chemin de croix, pris dans la chapelle des Sœurs de P[ontavert]... Une des stations, la cinquième, est traversée par un éclat d'obus.

"30 avril 1915. — J'ai reçu des images très jolies de saint Georges, saint Sébastien, et deux Christ venant de Paris. Reçu aussi deux statuettes de saint Joseph et de la Vierge de Lourdes, sans doute envoyées par Mme T. Le tout est, dès maintenant, installé dans la chapelle [voir ci-dessous], qui commence déjà à être trop petite.
Tous les soirs, quand la nuit est descendue sur la terre, je vais à ma chapelle, j'invoque ma patronne, j'embrasse ton cher étendard, et je me sens alors une force toute nouvelle pour supporter tous les ennuis inhérents à notre vie actuelle.

"10 mai 1915. — Aujourd'hui, les vitraux ont été placés. Ils font très bon effet et donnent un excellent éclairage au chœur.

L'intérieur de la chapelle. On voit les images
 mentionnées par Georges Chassery.
"13 mai 1915. — Aujourd'hui, jour de l'Ascension, l'aumônier a apporté la plaque de cuivre commémorative du baptême raté de la cloche. La plaque de cuivre est maintenant dans le clocher, à côté de la cloche. Plus tard, tu pourras la retrouver quand nous ferons notre voyage de souvenir.
Cette plaque porte l'inscription suivante :
Je sonne pour la prière.
Je sonne à l'approche des avions de l'ennemi.
Je sonnerai bientôt pour la victoire et la paix.
Mon parrain est le commandant A. V. [le chef de bataillon Voisin ?]
Ma marraine est Mme S. C. [il s'agit sans doute de l'épouse de Georges Chassery, Suzanne, née Prioux]
Mai 1915.
Des soldats français reconnaissants.
Souvenir du ...[36]e.

"17 mai 1915. — Nous sommes sur les grandes routes, ou plutôt prêts à nous embarquer vers une destination inconnue. Adieu nos jolis bois couverts de muguet ! A minuit, je suis allé faire une dernière prière dans ma petite chapelle."


Georges Chassery remplira son devoir militaire avec abnégation. Le 9 juin 1915, il sera fauché par un éclat d'obus à Neuville-Saint-Vaast. Selon le JMO du 36e RI, qui rapportera ses dernières paroles, l'officier tombera en s'écriant : "Mon seul regret est de ne pas pouvoir vous conduire jusqu'au bout. Vive la France !"
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* Il s'agit de Georges Leboucher (10e Cie), Louis Lemarignier (11e Cie), Arthur Lepêtre et Jules Mérienne (12e Cie).