Alors qu'il termine son album sur les Dogons du Mali (publié chez Dargaud), le dessinateur de BD Marko entame ses derniers préparatifs pour démarrer sa prochaine aventure, qui le mènera cette fois dans les tranchées de la Grande Guerre au sein d'un petit groupe de soldats français : les Godillots.
Quel est ton parcours Marko ?
Je suis né à Bordeaux, j'ai grandi à Royan. Avant d'être dessinateur, je voulais être ornithologue. Sans doute l'influence de mon oncle ... Je suis arrivé au Pays Basque à six ans. Je suis donc Basque d'adoption, et encore plus depuis que je me suis investi dans la culture de ce pays. J'ai appris la langue, et 80 % de mon activité est lié à ce pays. Mon premier "vrai" boulot, c'était le dessin animé, mais l'envie de dessiner est venu bien avant, alors que j'avais 11 ans – j'ai fait, à cette époque-là, deux albums régionaux en basque. Après, j'ai fait tout et n'importe quoi : de l'illustration, des cartes, des devantures. J'ai donné des cours sur Angoulême à l'école d'animation. Et puis j'ai eu un pépin de santé en 1999. Je me suis donc décidé à revenir sur mes premières envies de dessinateur, et recommencer la BD. J'ai rencontré le scénariste Olier, on a commencé à élaborer des projets, j'ai intégré un journal...
Et puis tu as dessiné Agence Barbare ?
Oui, à partir de 2003. C'est une série de bandes dessinées ayant pour thème l'héroic-fantasy, qui m'a fait connaître au niveau national. C'est un mélange entre les Monthy Python et Le Seigneur des Anneaux. Mais j'ai aussi travaillé pendant deux ans en Suisse où j'ai oeuvré dans des collectifs, dessiné une série intitulée Le Velu, qui sont des strips - l'histoire d'un bonhomme tout bleu qui élève des mammouths. Je bosse aussi pour Kukuxumusu, une structure qui fait du tee-shirt, où je m'éclate vraiment... Comme tu peux rendre compte, je suis un peu boulimique en projets...
Ton intérêt pour la Première Guerre mondiale remonte à quelle période ?
Il a toujours existé. Ma famille – ce sont des Alsaciens, il viennent de Mulhouse et ne sont pas très férus d'histoire – n'est pourtant pas très bavarde sur le sujet. Mon père est natif du village de Zillisheim, dans le Haut-Rhin. Tout petit, je jouais à côté du canon qui tirait sur Belfort... Mais je pense que, comme tout le monde, je porte des images ancrées en moi. Alors j'ai décidé de les faire sortir. Et comme je suis un peu monomaniaque, ça me prend presque la totalité de mon temps.
Comment le projet des Godillots a démarré ?
Par la force des choses. Pendant très longtemps, j'ai présenté des projets de BD qui ont été refusés. Je commençais à m'épuiser… Alors j'ai décidé de travailler sur un sujet qui m'intéressait personnellement : la première guerre mondiale. C'était de l'occasion de lire des livres, de crobarder et de chercher un prisme qui me tenait à coeur. Je voulais trouver un angle qui n'avait pas encore été exploré, un côté décalé et historique. Alors j'ai pensé à la série Les Tuniques Bleus, de Lambil et Cauvin, qui raconte les aventures d'un sergent et d'un caporal à l'époque de la guerre de Sécession. C'est comme ça que sont nés Les Godillots. J'ai créé un premier personnage, je l'ai proposé à mon copain Olier. Il a accroché dessus, on a fait le dossier... Voilà !
Non, ce n’est pas une BD humoristique. La période n’est pas gaie ! Elle est même lourde d’un poids de la mémoire, lourde d’un poids des sacrifices, lourde d’erreurs… Non c’est loin d’être un sujet léger ! Et c’est là tout le challenge des Godillots : comment aborder cette période d’une manière plus légère, sans lui enlever toute sa gravité ? L’idée de sortir les poilus de leur boue, leur redonner de la couleur, voila ce que je veux faire. Nous avons tous des images où l’humain se confond avec la terre, je veux juste leur redonner un peu de vie. Le projet n’est pas de rire à toutes les pages, il offrira juste la possibilité de vivre des aventures avec une escouade en zone de conflit armé. Et si, à la fin de la lecture, on retient plus les péripéties des Godillots que la guerre, le pari sera gagné !
Les Godillots, une "BD historique" ?
Non. Je n'ai pas vocation avec Les Godillots à raconter des faits qui se sont réellement passés. Je ne souhaitais pas non plus que l'aventure de ces hommes soit située dans une période particulière. On n'est pas en 1914, ni en 1915 ou en 1916... Il ne faut pas ainsi que les lecteurs s'attendent à retrouver un épisode particulier, comme la bataille de Cambrai, celle de Charleroi, le Chemin des Dames... Mais, en même temps, Olier et moi souhaitions évoquer des phénomènes bien précis, comme les mutilations volontaires, la mise en place des camps de secours...
Les Godillots, une BD d’aventure ?
Oui…
Comment t'es-tu documenté pour ce projet ?
Mon intérêt personnel pour cette période fait que je dévore tout ce qui passe devant moi et la concerne. C’est, pour moi, une source de documentation fabuleuse. Après-coup, c'est en fonction de l'histoire que le besoin de documentation se fait sentir. J'ai bien évidemment lu des témoignages de poilus, ainsi que des essais historiques sur les mentalités des soldats au front entre 1870 et 1914. Mais je lis aussi des récits ou des romans, ou je vais écouter des conférences du CRID 14-18 . J'ai également été sur le terrain plusieurs fois, histoire de prendre un petit "coup de jus". Et je me suis aussi pas mal renseigné, notamment via le forum Pages 14-18, où j'ai eu accès à de la documentation très pointue et rencontré des gens passionnés et passionnants. Enfin, je me suis procuré quelques objets que je souhaitais garder dans mon atelier : un casque Adrian, une douille… La "collectionnite" aiguë me gagne peu à peu.
Comment travailles-tu avec Olier sur ce projet ?
Olier est scénariste de cette BD, même si après coup nous travaillons beaucoup au tac au tac. Tout a été mis en place à deux. Dans un deuxième temps, il arrive à Olier de m'appeler pour avoir une information très précise. Il y a quelques jours, il voulait ainsi connaître l'âge minimum pour s'engager pendant la guerre. Mon travail est alors de lui trouver le plus d'informations possibles.
Quel est l'histoire des Godillots ?
Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais cette première histoire sera l'occasion de parler des mutilations volontaires. On va bien évidemment camper les personnages comme la Palette, Bourru, Ledru, Mougins... L'histoire démarre ainsi : une tranchée de première ligne est isolée de l'arrière.Une première équipe échoue, et l’on demande à un autre groupe, appelé les Godillots, d'aller ravitailler cette tranchée. Mais pour cela, ils doivent traverser le plateau du Croque-Mitaine où sévit un mitrailleur allemand expérimenté. En chemin, ils découvrent quelque chose qui les détourne de leur mission initiale…
Pourquoi avoir situé l'histoire en arrière du front ? Pourquoi pas une histoire en première ligne ?
Les tranchées, la mitraille, les marmites, les barbelés, les morts, la boue sont des éléments qui sont très graphiques, et il est facile de s’y laisser prendre quant tu es dessineux. Une suite de "belles" images parlantes et fulgurantes… Cela ne m’intéressait pas de tomber là-dedans. L’arrière est plus varié et riche.. Et plus difficile a traiter aussi. Mais bon, quand c’est pas facile, c’est là que c'est bon !
Les personnages sont Basques ?
Non, pas du tout, mais ils sont tous très marqués (voir ci-dessus). Le bourru est Breton. Il est grand comme une armoire, il est coiffé d'un casque anglais – il l'a gagné lors d'une partie de manille contre un Anglais (une ancienne rivalité !) –, et il porte tous les sacs et l’attirail car il est très fort. Le caporal Palette est plutôt roublard, il a déjà fait quelques années de guerre et il tient à sa peau ainsi qu'à celle de ses camarades. Ledru est une sorte d'Assurancetourix, c'est un musicien… Il y a aussi l'artiste qui est prêt à traverser les champs de mines pour aller chercher une douille pour la sculpter, le va-t-en-guerre qui lustre son Lebel, qui ne rêve que de gloire, de médailles, etc. et qui ne pourra jamais partir en première ligne... Le seul Basque que l'on a dans la groupe, c'est Bixente, alias Bichette, un jeune garçon qui se retrouve embarqué dans le groupe des Godillots.
T'es-tu inspiré de romans, de témoignages pour créer ces personnages ?
Non. Si j'avais voulu m'inspirer d'écrits, ce serait peut-être le livre de Pierre Chaine avec les mémoires du rat de tranchées Ferdinand. Mon inspiration porte sur des petits détails : ainsi lorsqu'il a fallu décider du grade de Palette, je venais de terminer le témoignage du caporal Barthas. Ça collait bien avec le personnage. Je voulais surtout que les Godillots soient des caractères bien trempés pour que le récit soit le plus efficace possible.
Et du point de vue de la BD, qui t'a influencé ?
Ceux dont j'ai acheté des albums à leur sortie, soit Manu Larcenet pour La Ligne de Front et Dumontheuil avec Le Roi Cassé. Après, il y a d'autres albums comme Louis La Guigne, et des travaux d'étudiants en animation que l'on peut voir sur le site Dailymotion... Enfin, je n'oublie pas Tardi qui reste la référence sur cette période.
À quel stade d'avancement des "Godillots" en es-tu ?
Le scénario a dépassé la moitié. J'ai commencé à faire le prédécoupage des planches. Je viens surtout de passer les derniers mois à faire des tests de couleurs. Pour le moment, je suis confronté à des choix que je n'ai pas arrêtés. Comment vais-je faire cette mise en couleurs : par ordinateur, par aquarelle, mélanger les deux ? En aquarelle (voir plus haut), le rendu est séduisant. J'ai dessiné quelques décors et quelques scènes aquarelle-acrylique-gouache... Mon souci, c'est de savoir si je vais tenir le choc sur 46 planches si j'emploie de la couleur directe. C'est un gros challenge. J'ai déjà utilisé cette technique sur des illustrations, mais sur un album de BD, c'est différent. Et puis, je dois résoudre un autre problème, celui de la tonalité des teintes. Si l'objectif des Godillots est de toucher un public "jeune", de lui parler de cette guerre en sortant de l'ombre des monuments aux morts et des images monochromes, comment le faire sans employer des couleurs "sales" ? Si l'on utilise une palette de coloris un peu trop gais, on risque d'être décalé par rapport au propos. L'aquarelle correspond en effet très bien à cette période, mais cadre moins avec la manière dont je veux traiter cette époque. Bref, je n'ai pas encore réglé cette question. Fin février début mars, je commence les planches, et tout doit être fini à fin décembre 2010.
C'est un gros travail...
Sur la Grande Guerre, dès que l'on veut dessiner quelque chose, cela devient une montagne. Une capote de 1914, ça n'est pas la même chose qu'une capote de 1915, etc. Et puis je ne voudrais pas que des lecteurs "reniflent" la documentation derrière l'objet ou le vêtement qu'ils verront en dessin... Aussi, avant de faire quoi que ce soit, je dois bien "mâchonner" mes sources d'info. Mais bon, j'adore, c'est un travail passionnant !
© "Les Godillots", Marko et Olier, éd. Bamboo, à paraître début 2011. Pour plus d'informations et de dessins, voir le blog de Marko et le blog d'Olier. Propos recueillis par téléphone et mail, janvier 2010. Merci à Marko de sa patience. A lire aussi sur ce blog, en matière de BD, l'interview de Kris, scénariste de Notre Mère la Guerre.
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