Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
Comment consulter cette page ? Vous pouvez lire progressivement les messages, qui ne respectent pas un ordre chronologique (ils évoquent, par exemple, l'année 1915 ou 1914). Vous pouvez aussi avoir envie de vous attarder sur une année ou un secteur géographique : pour cela, cliquez dans la colonne à gauche dans la rubrique "Pages d'histoire du 36e" sur la période et le lieu qui vous intéressent. Tous les messages seront alors rassemblés pour vous selon l'ordre de publication.
Comment rentrer en contact ? Pour de plus amples renseignements sur ce site, ou me faire parvenir une copie de vos documents, vos souvenirs ou remarques, écrivez-moi. Mon adresse : jerome.verroust@gmail.com. Je vous souhaite une agréable lecture.

Avertissement : Si pour une raison quelconque, un ayant-droit d'une des personnes référencées sur ce site désire le retrait de la (les) photo(s) et des informations qui l'accompagnent, qu'il me contacte.

23 déc. 2007

"Artois aux gais talus..."

Légende dans l'album de Fernand Le Bailly : "Nous avons (la 5e division) repris...
la rue principale à Neuville-Saint-Vaast le 9 juin 1915."


L'Artois
(de Jules BRETON, "Les champs et la mer")

À José-Maria de Heredia.

I
J'aime mon vieil Artois aux plaines infinies,
Champs perdus dans l'espace où s'opposent, mêlés,
Poèmes de fraîcheur et fauves harmonies,
Les lins bleus, lacs de fleurs, aux verdures brunies,
L'oeillette, blanche écume, à l'océan des blés.

Au printemps, les colzas aux gais bouquets de chrome,
De leur note si vive éblouissent les yeux ;
Des mousses de velours émaillent le vieux chaume,
Et sur le seuil béni que la verdure embaume
On voit s'épanouir de beaux enfants joyeux.

Chérubins de village avec leur tête ronde,
Leurs cheveux flamboyants qu'allume le soleil ;
De sa poudre dorée un rayon les inonde.
Quelle folle clameur pousse leur troupe blonde,
Quel rire éblouissant et quel éclat vermeil !

Quand nos ciels argentés et leur douce lumière
Ont fait place à l'azur si sombre de l'été ;
Quand les ormes sont noirs, qu'à sec est la rivière ;
Près du chemin blanchi, quand, grise de poussière,
La fleur se crispe et meurt de soif, d'aridité ;

Dans sa fureur l'Été, soufflant sa chaude haleine,
Exaspère la vie et l'enivre de feu ;
Mais si notre sang bout et brûle notre veine,
Bientôt nous rafraîchit la nuit douce et sereine,
Où les mondes ardents scintillent dans le bleu.

II
Artois aux gais talus où les chardons foisonnent,
Entremêlant aux blés leurs têtes de carmin ;
Je t'aime quand, le soir, les moucherons bourdonnent,
Quand tes cloches, au loin, pieusement résonnent,
Et que j'erre au hasard, tout seul sur le chemin.

J'aime ton grand soleil qui se couche dans l'herbe ;
Humilité, splendeur, tout est là, c'est le Beau ;
Le sol fume ; et c'est l'heure où s'en revient, superbe,
La glaneuse, le front couronné de sa gerbe
Et de cheveux plus noirs que l'aile d'un corbeau.

C'est une enfant des champs, âpre, sauvage et fière ;
Et son galbe fait bien sur ce simple décor,
Alors que son pied nu soulève la poussière,
Qu'agrandie et mêlée au torrent de lumière,
Se dressant sur ses reins, elle prend son essor.

C'est elle. Sur son sein tombent des plis de toile ;
Entre les blonds épis rayonne son oeil noir ;
Aux franges de la nue ainsi brille une étoile ;
Phidias eût rêvé le chef-d'oeuvre que voile
Cette jupe taillée à grands coups d'ébauchoir.

Laissant à l'air flotter l'humble tissu de laine,
Elle passe, et gaîment brille la glane d'or,
Et le soleil rougit sur sa face hautaine.
Bientôt elle se perd dans un pli de la plaine,
Et le regard charmé pense la voir encor.

III
Voici l'ombre qui tombe, et l'ardente fournaise
S'éteint tout doucement dans les flots de la nuit,
Au rideau sourd du bois attachant une braise
Comme un suprême adieu. Tout se voile et s'apaise,
Tout devient idéal, forme, couleur et bruit.

Et la lumière avare aux détails se refuse ;
Le dessin s'ennoblit, et, dans le brun puissant,
Majestueusement le grand accent s'accuse ;
La teinte est plus suave en sa gamme diffuse,
Et la sourdine rend le son plus ravissant.

Miracle d'un instant, heure immatérielle,
Où l'air est un parfum et le vent un soupir !
Au crépuscule ému la laideur même est belle,
Car le mystère est l'art : l'éclat ni l'étincelle
Ne valent un rayon tout prêt à s'assoupir.

Mais la nuit vient voiler les plaines infinies,
L'immensité de brume où s'endorment, mêlés,
Poèmes de fraîcheur et fauves harmonies,
Les lins bleus, lacs de fleurs, les verdures brunies,
L'oeillette, blanche écume, et l'océan des blés.

17 déc. 2007

L'enterrement dans la plaine

Légende : la plaine de Courcy, vue du pont du champ de courses (voir carte ci-dessous, © Geoportail 2007).

"La fortification n'est qu'un moyen et non un but. Il faut en user en se conformant avant tout aux nécessités tactiques et ne jamais hésiter soit à renoncer à la protection qu'elle procure, soit à abandonner des installations déjà créées pour en recommencer de nouvelles ailleurs. (…) La fortification doit favoriser l'offensive et la marche en avant et non arrêter les troupes derrière les abris. Il n'est pas admissible qu'on s'avance sur une position uniquement pour la renforcer et en organiser les abris : on fortifie au contraire, pour pouvoir progresser tout en évitant les pertes, tout comme on se sert du feu pour continuer la marche vers l'ennemi."(Instruction pratique sur les travaux de campagne à l'usage de l'infanterie, 24 octobre 1906)
N'en déplaise au petit livret d'instruction militaire, en usage au début de la guerre, la mort d'Alfred Cardron intervient alors que s'érigent des tranchées de part et d'autre du front au nord-ouest de Reims. La 5e division d'infanterie, à laquelle appartient le 36e régiment d'infanterie, ne fait pas exception. Au début de l'automne 1914, en quelques jours, des travaux de campagne rudimentaires apparaissent dans la plaine de Courcy. Pour le secteur de Saint-Thierry, où est stationné le régiment, le général Hache ordonne, le 13 octobre, que les trous de tirailleurs établis à l'est de la route nationale, face au moulin de Courcy, soient réunis pour former une tranchée. Jusqu'à présent, les soldats couchés l'un à côté de l'autre se sont en effet tant bien que mal protégés des lignes allemandes. Certains ont utilisé leur havresac, baptisé "as de carreau", pour se garder des balles meurtrières. D'autres ont creusé le sol de façon à constituer en avant d'eux un monticule de terre. Ces trous individuels ont été approfondis. Ils sont réunis, dans la nuit du 13 au 14, par la 9ème compagnie du 36e RI, sous la protection de l'artillerie. Dans le même temps est décidé un coup de main pour attaquer le pont de la Besace, qui traverse le canal de l'Aisne au nord du port de la Neuvillette, avec l'aide conjointe de la 51e division d'infanterie. Après l'avoir débordé sur ses deux flancs, l'ouvrage est enlevé le 15 octobre.
Les journées qui suivent sont employées à organiser le terrain conquis, à la faveur de la nuit. Des communications par tranchées sont organisées, entre la route nationale et les ouvrages de 1ère ligne, des réseaux de fil de fer sont posés. De leur côté, les Allemands continuent de fortifier l'élévation devant le village de Courcy ("la cote 101"). Hérissée de pièces de canon qui battent à 1800 m, elle constitue une véritable redoute. En l'espace de quelques jours, le secteur de Courcy naît.

Pour lire une description du secteur Thil-Chauffour, placé à la gauche du 36e RI dans la plaine de Courcy, rendez vous sur le blog du 74e RI de Stephan Agosto. (Carte © Geoportail 2007)

8 déc. 2007

Les très riches heures de Jean Hugo

Légende : Jean Hugo, Autoportrait (détail), Luxeuil, 1918 (crayon noir, page de carnet).

Des quelques témoignages que l'on peut trouver sur le 36e régiment d'infanterie pendant la Première Guerre mondiale, le plus singulier est sans nul doute celui de Jean Hugo. Né en 1894, arrière-petit-fils de Victor, l'artiste a connu en France une gloire discrète pour son travail, que de trop rares rétrospectives viennent éclairer.
Mobilisé le 4 septembre 1914, Jean Hugo rejoint le 36e RI au bois de Beaumarais, lors de l'hiver 1915. Blessé à Neuville-Saint-Vaast en juin, il est soigné à Saint-Malo et retrouve le régiment quatre mois après, décimé après les combats d'Artois. Il suit l'unité sur la Somme et à Verdun, où il est nommé sous-lieutenant. Mais les mutineries de 1917 provoquent chez lui "humiliation et dégoût". A contrecœur, il fait jouer ses relations familiales et se fait muter, en Lorraine, au quartier général de la 1re division américaine. Ce qui ne l'empêche pas de se comporter de manière héroïque, notamment lors de l'offensive de Cantigny en mai 1918, où il reçoit la Distinguished Service Cross. Il est démobilisé en septembre 1919.
C'est au cours de ce conflit que naît la vocation de Jean Hugo. En 1914, le jeune homme n'a en effet aucune formation picturale, mais il a visité les Salons et les galeries. Son style, dans ses premiers croquis, emprunte au mouvement cubiste : dans des paysages sans hommes, les ruines se découpent en formes anguleuses ; les murs s'écroulent en moellons rectangulaires et les arbres mutilés adoptent des formes cylindriques. Avec la fin de la guerre, les dessins se simplifient. Hugo dessine des scènes simples, naïves, aux formes géométriques, dans des petits formats.
Mais l'artiste nous a laissé bien d'autres "vignettes" de cette guerre, notamment au travers de son recueil de souvenirs Le Regard de la Mémoire. Publié en 1984, quelques mois avant sa disparition, ce livre restitue un demi-siècle de la vie de Jean Hugo. La période de la guerre s'étend sur une centaine de pages et intéresse directement le 36e. On y suit le régiment des bois de Beaumarais jusqu'à sa proscription dans l'Aisne, après les mutineries de 1917. Le ton, empreint de fausse légèreté, d'innocence, voire d'insouciance, peut surprendre : l'auteur ne cède jamais à l'accablement, voire à l'apitoiement ; les événements sont rapportés de manière tragi-comique, parfois elliptique. Ils sont surtout retranscrits de manière picturale : on ne lit pas des scènes, on découvre des images... Devant Neuville-saint-Vaast, le champ de bataille apparaît à l'auteur comme une "vaste abîme de nuit bleue où flambaient des incendies, où se croisaient des comètes multicolores." A Corbie, dans la Somme, "l'église noire brillait sous la pluie. La fenêtre d'un tea room était allumée. Les uniformes ocre jaune des soldats anglais passaient devant les murs de brique sombre." Le texte progresse ainsi, à la manière d'une succession d'instantanés où flamboient des taches de couleurs.
De Jean Hugo, Cocteau a dit : "Il a mêlé son calme presque monstrueux au tumulte des entreprises de notre jeunesse. II était, il reste l'image même de cette modestie parfaite des enlumineurs, chez qui la vérité quotidienne l'emporte sur les grâces décoratives. Sa main puissante, son gros oeil jupitérien, son olympisme en quelque sorte, n'usent pas de foudres, mais de petites gouaches si vastes qu'on dirait que leur taille résulte d'un simple phénomène de perspective." On l'aura compris : les "petites gouaches" de Jean Hugo n'ont pas fini d'éclairer ce blog de leur chatoiement.

A voir : de nombreux dessins de guerre de Jean Hugo sont conservés au château de Blérancourt, musée national de la Coopération franco-américaine, qui rouvrira ses portes fin 2011. En attendant, il est possible d'en voir des reproductions sur le site de l'agence photographique de la Réunion des musées nationaux (http://www.photo.rmn.fr, rechercher "Jean Hugo" dans le moteur de recherche mots-clés). (Image DR)

1 déc. 2007

L'ultime sentinelle de Beaumarais

Placé en retrait de la départementale 89, qui relie Craonne à Pontavert, le monument du 36e régiment d'infanterie du bois de Beaumarais apparaît presque par hasard. Ne serait-ce ses obus bleu azur, qui ont dû être autrefois reliés par des chaînes, l'obélisque n'arrête pas le regard. Il n'est dressé ni à un carrefour, ni à un lieu de rencontre. A cheval sur les communes de Pontavert et de Craonnelle, les mousses et les lichens l'ont envahi jusqu'à lui faire prendre la teinte grisâtre d'un tumulus. Et pourtant, il faut aller le voir ce modeste ouvrage, curieux à plus d'un titre. Adossé à la sauvagerie des bois, son caractère forestier le distingue des monuments villageois. Mi-colonne, mi-calvaire, ses proportions sont étranges : sa base est colossale et sa croix, minuscule, ne se voit pas au premier coup d'œil. Sur les deux faces latérales sont gravés les noms des militaires du 36e régiment tombés à Beaumarais ; ils sont classés par grade et par ordre alphabétique. Le premier nous est déjà connu : il s'agit du sous-lieutenant havrais Emile Charles Lhostis, qui a dirigé la 6ème compagnie dans laquelle mon arrière grand-père, Fernand Le Bailly, a été versé le 6 septembre 1914. L'officier a trouvé la mort dans cette forêt, dans des circonstances que nous découvrirons une autre fois. Le bas-relief du monument, dessiné dans un macaron par un ancien du 36e, Jorelle, montre une petite chapelle rustique, entourée de feuilles de chêne et de lauriers. Il témoigne de la ferveur religieuse qui entoure l'histoire de ce site. En revanche, pour l'inscription, il faut s'y reprendre à deux fois pour lire le texte gravé. "A la mémoire des 104 officiers, 191 s-officiers, 3080 caporaux et soldats du 36e régiment morts pour la France au cours de la campagne de 1914-1918 - Ce monument marque l'emplacement d'une chapelle rustique élevée en avril 1915 par les soins du commandant Chassery avec le concours des hommes du 3e bat. (Signature) Bernard Colonel, H. Bornot, J. Girard aumôniers."* Je n'en connais pas plus sur l'histoire de cette stèle. Qui fut son maître d'oeuvre ? Comment fut choisie sa situation ? A quelle date fut-elle inaugurée ? Des photographies furent-elles prises ? Voilà des informations que l'on aimerait connaître et qui permettraient d'animer un peu plus ce monument dépositaire de tant de destins brisés.

* Du côté des soldats, on lit un peu mieux. Façade nord-ouest : E. Lhostis (sous-lieut), R. Bourreau (adj), S. Serra (adj), M. Kéro (serg), G. Méneteau (serg), A. Molle (serg), E. Anquet, E. Barreau, F. Baudeux, A. Beaufils, E. Bedouin, M. Berroche, J. Boucher, A. David, J. Duval, L. Franchet, H. Gérard, P. Goulley, G. Helie, L. Huguenet,L. Huet, H. Jeanne. Façade sud-est : L. Lemarinier , E. Leperruquier , G. Lemaire , A. Lepetre , L. Lapersonne , G. Le Breguier , G. Leboucher , L. Mahier , J. Mérienne , A. Michel , G. Micouin , M. Monnier , J. Nicolle , L. Nicolle , G. Nicolas , A. Palfray , F. Rame, P. Robert, M. Rolland, P. Rossignol, G. Veron.

28 nov. 2007

Scènes de la vie martiale (suite et fin)

Par une cruelle ironie, au moment de ces dramatiques événements, paraît l'ordre du jour du généralissime Joffre. Les mots du chef d'état major, rédigés le 5 septembre, ont été apportés aux officiers et remis en mains propres. Ils sont restés célèbres : "Au moment où s'engage une bataille dont dépend le sort du pays, il importe de rappeler à tous que le moment n'est plus de regarder en arrière. Tous les efforts doivent être employés à attaquer et à refouler l'ennemi. Une troupe qui ne peut plus avancer devra, coûte que coûte, garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer. Dans les circonstances actuelles, aucune défaillance ne peut être tolérée." Cette déclaration liminaire, lue par le chef de bataillon Navel (qui sera fait prisonnier au château de Brimont onze jours plus tard. Retrouvez le récit de cet épisode sur ce blog) et qui officialise le commencement de la bataille de la Marne, est écoutée par les hommes du 36e dans le fracas de la bataille, comme en témoigne Fernand Le Bailly dans sa carnet.

Le 36e n'est pas pour autant versé immédiatement dans la colossale bataille. En réserve le 6 septembre, ce sont les deux régiments "jumeaux" de la 5e division, le 74e et le 129e, qui sont engagés dans la reprise du village de Courgivaux, à 10 km plus au nord. Les hommes du 36e ne se reposent pas pour autant. Rassemblés le matin au nord de Fontaine-sous-Montaiguillon, ils progressent vers le nord tout au long de cette journée torride sous des bombardements intermittents : ils passent au sud-ouest d'Escardes dans la soirée, et poussent des postes dans les bois entre Saint-Bon et Courgivaux, pendant que le village fait l'objet d'une lutte acharnée. Au soir, le petit bourg demeure aux mains des Allemands et le 36e est chargé de le reprendre le lendemain.
Aux dires des quelques témoignages, les hommes sont soulagés de reprendre l'offensive. Ils en ont assez de battre en retraite. De plus, cet ordre annonce l'arrêt de la marche forcée qui les épuise depuis deux semaines. "Tout plutôt que continuer à marcher sans arrêt", diront certains. Et pour bon nombre de Parisiens, qui composent aussi le régiment, cette décision signifie aussi défendre leurs familles, leurs maisons et leur ville...

Si vous longez la Marne, arrêtez-vous au Mémorial de Dormans, qui commémore les deux batailles de la Marne. Ou allez voir le site à cette adresse pour en savoir un peu plus sur les acteurs et les lieux de ces batailles : http://memorialdormans.free.fr/


22 nov. 2007

Scènes de la vie martiale (I)

Samedi 5 septembre 1914. En pleine nuit, les plaines du Provinois sont un paysage d'apocalypse. Sur plusieurs kilomètres, le long des champs fraîchement moissonés, des colonnes de réfugiés fuient la zone de combat dont le grondement s'amplifie d'heure en heure. Fernand Le Bailly, qui remonte cette cohue avec son contingent, raconte :


Plus loin, les villages de Montceaux-les-Provins, Courgivaux, Esternay, Retourneloup, Châtillon-sur-Morin sont en feu. Dans l'obscurité, près du petit village de Fontaine-sous-Montaiguillon, le contingent vient regonfler les effectifs exsangues du 36e. Le sergent Gruchy, avec qui Le Bailly s'accorde bien, passe dans la 8ème compagnie ; son autre camarade, Apère, et lui-même sont versés dans la 6ème, commandée par le sergent Lhostis, natif du Hâvre. Pour la première fois, mon arrière-grand-père découvre les soldats du régiment normand :


Dire que les hommes sont fatigués est un doux euphémisme... Depuis 15 jours, ils se sont battus à Charleroi, puis à Guise, et ont parcouru 200 km pour échapper aux Allemands qui les talonnent. En deux semaines, l'unité a connu une saignée inimaginable touchant aussi bien les soldats que les officiers. Selon l'historique régimentaire "le régiment n'a plus que 1 300 hommes" (en 1914, un régiment compte en moyenne un peu plus de 3 000 hommes), un chiffre certainement en dessous de la réalité. Beaucoup ont perdu un camarade, voire un ami. Le moral à l'étiage, sales, déguenillés, ils souffrent de plus de la soif et de la faim. Depuis plusieurs jours, ces hommes n'ont en effet rien mangé, sinon quelques pommes le long des chemins. Pour calmer cet appétit, certains fouillent les maisons laissées à l'abandon. La répression s'abat sur eux férocement comme le raconte Fernand Le Bailly dans son carnet pour cette même journée.

(La suite à lire ici)

Pour lire un autre point de vue sur cette exécution, lire ici les mémoires de Jules Champin, un autre soldat du 36e RI. Nota : les citations qui accompagnent ce texte sont extraites du "carnet de guerre", écrit par Fernand Le Bailly dans les tranchées du bois de Beaumarais, en décembre 1915, et qui portent sur la bataille de la Marne et les combats sous le fort de Brimont.


18 nov. 2007

Fernand Le Bailly, de l'opale au fusil

Légende accompagnant cette photo dans l'album
de Fernand Le Bailly : "FL au
129e d'infrie. Le Havre, 1901."
De nombreuses photos de ce blog émanent de l'album photos de mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly. Mais qui est cet homme et comment s'est-il retrouvé dans les rangs du 36e ? Né le 5 septembre 1880, dans le petit bourg du Calvados de Saint-Pierre-sur-Dives, Fernand le Bailly est issu d'une famille normande qui compte une fille (Louise) et cinq garçons (Raymond, Henri, Maurice, René et Fernand). Comptable de profession, il fonde au début du siècle avec son frère René, au Canada, une affaire The European Company - sous forme de société de famille par actions - spécialisée dans l’importation de pierres précieuses et imitation, en provenance d’Idar-Oberstein, en Allemagne. Après quelques atermoiements, l’entreprise est florissante. Son commerce s’étend même progressivement vers l’ouest des Etats-Unis, notamment grâce aux Chinois qui raffolent des opales. Heureux en affaires, Fernand Le Bailly l'est également en famille : en 1903, il épouse Simone Lavigne, avec laquelle il a deux enfants : Suzanne et Jean.
Mais la guerre éclate…
A la publication du décret de mobilisation, le 1er août 1914, chaque garçon de la famille est appelé sous les drapeaux, à l'exception de René, à moitié aveugle d’un œil. Quant à Fernand, en voyage d'affaires à Vancouver, il est obligé de repousser son appel, le temps pour lui de rallier la France. Il traverse les Etats-Unis et l’Atlantique le voyage dure vingt-sept jours et rejoint son régiment d'affectation, le 129e régiment d’infanterie à la caserne Kléber, au Havre. L'arrivée en France est funèbre. A la sortie du bateau, Fernand apprend que Raymond a été tué quelques jours plus tôt à Charleroi, en Belgique, et que les armées allemandes menacent d'envelopper les armées françaises. Le 3 septembre 1914, son contingent, fort de 600 hommes, « 'moelleusement' installé dans un train de marchandise »*, est acheminé jusqu'à Nogent-sur-Marne. En route, il lie plus amplement connaissance avec deux Normands : le sergent Gruchy et Apère. A pied, il sont envoyés en Seine-et-Marne, où ils rattrapent les restes du 36e régiment d'infanterie, exsangue après les premières batailles d'août 1914. Nous sommes alors le 4 septembre 1914. Dans quelques heures, les trois coups de la bataille de la Marne vont résonner...

* Cette citation est extraite du "carnet de guerre", écrit par Fernand Le Bailly dans les tranchées du bois de Beaumarais, en décembre 1915, et qui porte sur la bataille de la Marne et les combats sous le fort de Brimont.

2 nov. 2007

La "guerre totale" en toile de fond

Il serait difficile de tourner la page du mois de septembre 1914 pour le 36e sans mentionner le bombardement de la ville et de la cathédrale de Reims. Jusqu'en décembre 1914, date à laquelle le régiment part pour les bois de Beaumarais, la destruction de l'agglomération par les Allemands a fait partie du "paysage" des hommes du 36, qui étaient stationnés à 5 km du centre-ville, entre la Neuvillette et Saint-Thierry.
Le marmitage démarre dès le 4 septembre, alors même que la bataille de la Marne n'est pas commencée (le 36e est alors à 45 km au sud de Reims, près de Fromentières). Pour cette seule journée, on compte plus de 49 tués et 130 blessés civils, et la grande galerie de peinture du musée est ravagée. Puis, pendant une semaine - la "semaine allemande" - Reims est occupée par les troupes du Kronprinz, et épargnée. Le 12 septembre, talonnées par les Français, les Allemands évacuent la ville tout en la maintenant sous le feu des forts de Brimont, du fort de Fresne, du fort de Witry-lès-Reims, de la vigie de Berru et du fort de Nogent-l'Abesse. Le 14 septembre, la canonnade reprend, parfois à coups d'obus incendiaires. Le 36e est alors bien occupé dans l'attaque de la Verrerie et du château de Brimont (à suivre bientôt) pour s'en émouvoir...
Dans le centre ville toutefois, les incendies ne tardent pas à apparaître. Les abords de la cathédrale sont particulièrement pilonnés. Le samedi 19 septembre, un obus enflamme les échafaudages qui encerclent la tour nord-ouest de l'édifice en réparation depuis 1913. En quelques heures, le feu gagne toute la "forêt", et se communique au toit. En fondant, le plomb embrase à son tour la paille qui a été disposée dans la nef, où a été regroupée une centaine de blessés allemands... Au soir, le brasier dégage d'énormes tourbillons de fumée jaune qui se voient à des kilomètres. Partout, des foyers nouveaux s'allument et des pâtés de maisons se consument. Le lendemain, le bombardement continue avec la même violence.
Ce "spectacle" de guerre totale, les soldats le contemplent du fond de leur tranchée. Pourtant, la destruction de la cathédrale est à peine mentionnée dans les témoignages, sinon d'écrivains ou d'intellectuels. Dans les lettres, on trouve tout au plus quelques allusions. Il ne faut pas en conclure pour autant à une forme d'indifférence. Lors de ces journées, les soldats s'enterrent et se protègent tant bien que mal du feu de l'ennemi. En témoigne le Journal de marche et d'opérations du 36e. Du 19 au 24 septembre, celui-ci mentionne laconiquement que le régiment adopte "une formation diluée pendant le jour pour échapper au feu de l'artillerie ennemie qui bombarde Saint-Thierry, Merfy et ses environs." Les jours suivants, le 36e relève le 39e. Et la 11e compagnie est chargée d'aller déblayer la route nationale où les Allemands se sont établis. Pendant ce temps, le bombardement de Reims continue... Au 1er novembre, le nombre des habitants tués par les obus est déjà de 282.

A lire également sur cet épisode, le témoignage de Jules Champin, soldat du 36e, et un extrait des mémoires, écrites après la Grande Guerre, de Paul Hess, fonctionnaire au Mont-de-piété de Reims, publiées dans le livre : "La vie à Reims pendant la Guerre de 1914/1918", sur le site de l'association "La cavalerie dans la bataille de la Marne". (Photos DR)

28 oct. 2007

Un bon filon

Photo : Sous le belvédère du plateau de Californie, le panorama sur la vallée de l'Aisne,
tel que les Allemands pouvaient le contempler en 1914.

Le 9 décembre 1914, dans l'après-midi, le régiment quitte le secteur de Courcy et se met en marche pour aller relever le 73e régiment d'infanterie, à 23 km au nord, dans les bois de Beaumarais. Il va cantonner dans un premier temps près de Reims, dans les villages du Thillois, Champigny et Saint-Brice- Courcelles. Pour beaucoup de soldats, à la satisfaction de quitter le secteur se mêle l'appréhension d'abandonner leurs tranchées. Ils laissent derrière eux le vent et le froid de la plaine marneuse, mais que vont-ils trouver ? Ils s'étaient pourtant accoutumés tant bien que mal à cette situation d'attente, aux aller-retour entre les lignes et le cantonnement… Après trois mois d'immobilité, ce petit "voyage" est toutefois l'occasion pour quelques-uns d'entrevoir la vie de l'arrière : "Dans la brume du soir, c'était si doux de voir des champs et des villages, des hommes et des femmes, de ne plus rencontrer que des uniformes. La marche, le soif, donnent une espèce de fièvre, et avec l'imagination très excitée, je ne pouvais plus me figurer que j'étais en guerre." (Etienne Tanty, La Violette des Tranchées)
Le 36e ne le sait pas encore, mais les bois de Beaumarais sont, selon l'expression en usage, un "bon filon". Aux violents combats en septembre a succédé un calme relatif. Les Allemands, repliés sur le plateau de Californie, se sont solidement retranchés dans l'ancien village de Craonne, bâti à 140 m d'altitude à flanc de coteaux et qui offre une vue imprenable sur les villages de Pontavert, Chaudardes, Craonnelle, et, plus loin, sur les vallées de l'Aisne et de l'Ailette, Face à eux, en contrebas, dans le grand manteau forestier, le régiment français va pouvoir se dissimuler. Devant Craonne, sur la gauche, la ligne de tranchée suit la lisière du bois puis oblique à travers champs vers la zone, tenue par le 129e régiment d'infanterie, de La-Ville-aux-Bois (où Guillaume Apollinaire sera blessé en mars 1916). Plus à droite, en direction des bois de Neuville, les Bat'd'Af', aussi appelés "les Joyeux", sont retranchés. Les bois de Beaumarais sont étroits (2 km de large) et ne présentent qu'un peu de relief dans la partie orientale de la forêt, avec le mont Hermel. Ils sont également marécageux : l'eau sourd dès que l'on creuse, et les trous ne tardent pas à se remplir d'eau. C'est pourtant dans cette forêt que le régiment va rester 5 mois.
Le 10 décembre, le régiment s'achemine à Prouilly et rejoint son secteur dans la nuit du 11 au 12. Selon le Journal de marche et d'opérations (11/12/1914) "le premier bataillon occupe le premier sous-secteur. Le troisième bataillon occupe le deuxième sous-secteur. Le deuxième est réservé à Chaudardes et Concevreux. Poste de commandement du colonel : bois de Beau Marais."
Quel rôle joua la forêt pour les soldats pendant la Première guerre mondiale ? Un hors-série, La lettre du Chemin des Dames n°2, à télécharger gratuitement à cette adresse.

22 oct. 2007

Dans l'antre du cabot patate


Légende accompagnant cette photo dans l'album de Fernand Le Bailly : "Cuistots" (dans les bois de Beaumarais lors de l'hiver 15, NDLR).

"En général, les cuisiniers vivent par petits groupes, et rien n'est plus intéressant que de visiter l'un de leurs nids. On peut, du reste, approcher sans crainte : l'animal grogne quelquefois, mais il n'est ni méchant, ni venimeux.
"Figurez-vous une sorte de hutte faite de matériaux les plus divers : branchages, troncs d'arbres, pierres, plaques de tôle, de zinc, etc., le tout noyé dans une fumée abondante et noire : c'est la cuisine. Là-dedans, autour des brasiers allumés, s'agitent quelques formes vagues qui semblent travailler à d'étranges besognes, sous la haute direction de leur chef, le caporal d'ordinaire (en français : cabot patate). On se croirait réellement dans l'antre d'un alchimiste ou d'un sorcier du Moyen Age. Ici, des cuisiniers sont occupés à peler sommairement des tubercules et des racines qu'ils jettent ensuite pêle-mêle dans des récipients de forme extraordinaire ; plus loin, d'autres dépècent, à coups de hache et de coutelas, d'énormes quartiers de viande ; d'autres encore, dans un coin, sont en train de verser, sur une passoire, je ne sais quel philtre noirâtre et d'odeur aromatique.
"Continuons à observer. Au bout d'un certain temps, la mystérieuse besogne des cuisiniers semble terminée : cuits dans l'eau, les tubercules et les racines sont devenues la jaffe ; la viande, convenablement rôtie, s'est transformée en barbaque ou bidoche, et le liquide noir et parfumé s'appelle maintenant : le jus.
Chaque soir, à la nuit tombante, les cuisiniers vont porter à leurs congénères, les Poilus des tranchées, les produits de leurs travaux, car ces diverses choses, jaffe, barbaque et jus, jointes à d'autres denrées apportées par les miaules, tels que les boules de brichton et le vin ou pinard, forment la principale nourriture des Poilus. (…)
"Un dernier trait achèvera de caractériser l'animal qui fait l'objet de cette étude ; c'est sa grande capacité. Doué d'un gosier très en pente (plus de 45°) et d'un estomac remarquablement spongieux, le cuisinier absorbe avec facilité d'énormes quantités de pinard. Le remplir est, pour ainsi dire, impossible et l'on se perd en conjectures pour savoir où tout ce liquide peut passer. Mais qui sait ? Semblable peut-être au fameux tonneau des Danaïdes, qui nous dit que le cuisinier n'a pas un trou au fond ?"
(Journal des tranchées Le diable au cor, n° 8 – 27 juin 1915).

20 oct. 2007

"Brimont, grondant et fumant..." (suite et fin)

Un autre témoignage nous décrit plus longuement la région de Reims à la même époque : il s'agit de Marcel Dupont, au 7e chasseurs de Rouen. Dans son recueil de souvenirs En Campagne (Plon, 1915), il raconte son voyage à cheval jusqu'à la ville de Reims vers la fin septembre, pour retrouver l'appartement qu'il occupait à la mobilisation*.
Passées les colonnes de ravitaillement en viande de la 5e armée, stationnées en bordure de Vesle, à Jonchery ("une file interminable d'autobus chargés d'énormes quartiers de boeuf (...) Tout autour grouillent des territoriaux, manches troussées, mains et bras rouges jusqu'au coude"), il arrive vers Saint-Thierry et Merfy, (où) "notre artillerie fait entendre un roulement ininterrompu auquel vient, par rafales, s'ajouter le crépitement lointain de la fusillade." Son voyage continue dans un paysage défiguré.
"Nous voyons sur la route, à chaque pas, les traces des derniers combats, fils télégraphiques coupés et pendant lamentablement le long des poteaux, cadavres de chevaux horriblement gonflés, équipements abandonnés dans les fossés, tranchées esquissées à peine et tout de suite délaissées pour la marche en avant. Mais où nous sentons surtout l'angoissant et obsédant rappel à l'horreur du moment, c'est dans le tableau que nous offrent les environs de Reims à mesure que nous approchons du faubourg de Vesle. C'est, de toute la ville, le quartier qui a le moins souffert du bombardement et c'est là que se réfugient dans la journée la plupart des Rémois qui n'ont pas voulu abandonner complètement leurs foyers. A ceux-ci sont venus se joindre par milliers les malheureux habitants des villages champenois, dont l'ennemi a envahi les demeures. Ils sont là, par groupes, assis dans les fossés de la route ou au pied des meules qui leur ont servi de refuge pour la nuit. Près d'eux, quelques paquets de bardes et quelques ustensiles de cuisine. Ils regardent d'un œil morne les autos et les estafettes qui sillonnent la route sans relâche, et tout ce va-et-vient semble leur être indifférent. Il semble que leurs pensées vont ailleurs, plus loin, vers les maisons qu'ils ont laissées lorsqu'ils sont partis en hâte, sous les obus qui commençaient à éclater dans les petites rues de chez eux. Dans Reims, lors de ces premières journées de bombardement (qui durera tout au long de la guerre), le spectacle est encore plus lugubre et fantômatique. Les rues sont vides. Les quelques passants que l'on croise se hâtent en rasant les murs.
La rue de Vesle, cependant, a peu souffert en comparaison des quartiers du nord et de l'est. Mais les quelques projectiles qui y sont tombés en ont tellement ébranlé toutes les maisons que nombre de vitres ont été brisées et que nous avançons sur un véritable tapis de verre. De-ci de-là, quelques façades éventrées par les obus montrent l'intérieur navrant des appartements bouleversés, débris de meubles suspendus dans le vide, tableaux intacts accrochés aux murailles, cheminées encore garnies de la pendule, des candélabres et des photographies familiales." (Photo : DR)

* Si vous voulez lire le texte dans son intégralité, cliquez sur ce lien.

16 oct. 2007

"Brimont, grondant et fumant..." (I)

La plaine de Courcy, vue depuis la colline de Brimont. Au centre, le château de Brimont et, derrière, les bois de Soulains. La ville de Reims est à droite.

Quel paysage contemplent les "forçats de Courcy" ? A l'avant et à l'arrière de la ligne des tranchées, leur horizon est borné par les douces collines crayeuses champenoises, qui ondulent entre Vesle et Aisne. Au bas de ces monts, aux cimes parfois boisées, la plaine alterne terrains pierreux et marais. Mais dès la fin septembre 14, sur la ligne de front, tout est dévasté. Henri Dutheil, secrétaire d'état-major sous les ordres de Mangin, basé au Chenay, derrière Merfy, raconte : "Les vapeurs d'automne flottaient là-dessus et se mêlaient dans l'air calme aux fumées des bivouacs. L'unique rue du village de Chenay, montante et sinueuse, est bordée de façades blanches, dont quelques-unes s'enguirlandent de vignes où se fleurissent de roses ; il y a aussi des murs de jardins, d'où dépassent des feuillages rougis et jaunis, de hautes portes cochères s'ouvrant ça et là sur des perspectives de parcs… Du village suivant, à 2 km de celui-ci, il ne reste plus grand'chose, et du suivant, il ne reste plus rien… des ruines sous les pampres : Saint-Thierry, Merfy ; en face, Brimont, grondant et fumant… en arrière du front, bossuée de tombes, enveloppée de brouillards épais, la vallée de la Vesle et ses saules, ses oseraies, les coteaux champenois, les vignes qu'on vendange, la montagne de Reims, bleue au loin, couronnée de forêts que les premières gelées éclaircissent et roussissent."
Le réseau qu'occupe le 36e RI s'étend des Cavaliers, qui bordent le canal de l'Aisne, aux abords de la RN 44. Derrière la ligne de tranchées, à quelques kilomètres, s'étend la ville de Reims, dominée par les deux flèches gothiques de la cathédrale. A la mi septembre démarre le bombardement quasi régulier de la ville, lancé à partir des forts de Brimont, Fresne, Witry… aux mains des allemands. Ce déluge de feu incessant fera aussi partie du "paysage" de ces soldats.
Plus au nord, la ligne française de tranchée continue de tracer son sillon dans la craie rémoise et serpente le long de la route. Elle passe devant Hermonville, où cantonne Drieu la Rochelle et Dorgelès en octobre 14, puis le Godat, où Ernst Junger connaîtra ses premiers combats, en décembre de la même année. Cette nouvelle frontière qui s'esquisse, le second l'évoque telle une "longue ligne lumineuse, un boulevard en fête. Partout des fusées blanches éclataient, jets d'eau lumineux retombant en étoiles, un perpétuel feu d'artifice qui mourait ici pour renaître là. Et de cette chimérique clarté, aucune rumeur ne montait ; pas de voix, pas de vie ; rien qu'un crépitement continu, un tragique roulement de coups secs qui s'enfonçaient dans le vaste silence comme des clous."

15 oct. 2007

A Courcy, quelques "opérations de détail"


Légende de la photo : "
Notre tranchée de 1ère ligne (du 36ème). Plaine de Courcy, près Reims, à gauche du canal, face à Brimont."

A la fin du mois de septembre 14, le combat entre les deux belligérants baisse progressivement d'intensité. Le 36ème RI opère quelques "opérations de détail", parfois sous des bombardements intenses pour dégager l'actuelle RN 44, qui relie Reims à Laon. Mais aux premiers jours de l'automne, le régiment creuse et occupe les tranchées dans la plaine de Courcy, devant Saint-Thierry d’abord, puis aux Cavaliers. "L’heure n’est plus aux combats à découvert, sac au dos, l’arme au poing, note l'historique régimentaire du 36ème, il faut maintenant manier la pelle et la pioche pour tenir". L'ordre de fortifier les points acquis par des défenses "accessoires" (fil de fer barbelé) et de les défendre par des mitrailleuses a beau venir du commandement, le phénomène est largement spontané. Il découle également de la puissance de feu des armes modernes. Pour tous, cette situation est temporaire. Elle permet d'attendre les renforts et des munitions. Sur ce phénomène, l'historique régimentaire du 129ème régiment d'infanterie, qui est situé dans le même secteur, raconte : "Des lignes de tranchées s'ébauchent, reliées bientôt par des boyaux ; puis, les premiers fils de fer font leur apparition en avant des premières lignes : un 'secteur' est né. Pendant de longues semaines, les guetteurs des deux camps s'observent, échangeant de rares coups de fusils et, le soir, prennent la pelle et la pioche pour organiser le terrain, s'accrocher au sol et créer un système continu de tranchées et de boyaux qui permettra une résistance plus facile." La vie dans les tranchées, dans ces premiers jours d'automne, est éreintante. Aux bombardements intermittents succèdent les fusillades, les "coups de mains" en avant des tranchées et les captures d'adversaires. A cela s'ajoutent les travaux de creusement, à partir de la mi-novembre, épaulés par le Génie, et qui sont harassants. Difficile, pour ne pas dire inhumain, pour des soldats épuisés par deux mois de combats… De Charleroi à la bataille de la Marne, les bataillons ont en effet fondu dans des proportions inimaginables (environ 300 000 hommes tués pour l'armée française). Les renforts continuent pourtant d'arriver... Le 16 octobre, 252 hommes viennent renforcer le 36ème dont l'effectif s'établit à "2400 hommes et 50 officiers" (JMO)

13 oct. 2007

Bienvenue!

Bienvenue dans ce blog consacré au 36e RI dans la Première Guerre mondiale ! Ce régiment était en casernement à Caen en 1914. Il était composé pour la plupart de Normands et de Parisiens.
Ce blog n'est pas né par hasard : mon arrière grand-père, Fernand Le Bailly, a été incorporé dans le 36e régiment d'infanterie lors des premiers jours de la bataille de la Marne (septembre 1914). Il a combattu avec cette unité jusqu'en 1917, pour intégrer ensuite un groupement de chars d'assaut.
Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36ème que mon aïeul a côtoyés, parfois photographiés, et à leur rôle dans la défense de notre pays. Elle est accompagnée de photos prises à l'époque, courant de septembre 14 à septembre 15, et que Fernand Le Bailly a rassemblées dans un album. Elles apparaissent spécifiquement dans ce blog et sont restituées "dans leur jus", avec la légende qui les accompagne.
Mais ce site est aussi le vôtre… Si vous reconnaissez un membre de votre famille, n'hésitez pas à m'en faire part. De même, si vous avez des documents (fiche d'enrôlement, lettres...) et des photos (tombes, soldats...) qui concernent le 36e régiment d'infanterie. Enfin, si vous souhaitez préciser une information, laissez-moi un message. Je vous souhaite une agréable lecture. J. Verroust