Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
Comment consulter cette page ? Vous pouvez lire progressivement les messages, qui ne respectent pas un ordre chronologique (ils évoquent, par exemple, l'année 1915 ou 1914). Vous pouvez aussi avoir envie de vous attarder sur une année ou un secteur géographique : pour cela, cliquez dans la colonne à gauche dans la rubrique "Pages d'histoire du 36e" sur la période et le lieu qui vous intéressent. Tous les messages seront alors rassemblés pour vous selon l'ordre de publication.
Comment rentrer en contact ? Pour de plus amples renseignements sur ce site, ou me faire parvenir une copie de vos documents, vos souvenirs ou remarques, écrivez-moi. Mon adresse : jerome.verroust@gmail.com. Je vous souhaite une agréable lecture.

Avertissement : Si pour une raison quelconque, un ayant-droit d'une des personnes référencées sur ce site désire le retrait de la (les) photo(s) et des informations qui l'accompagnent, qu'il me contacte.

21 juin 2009

La clique contre l'ennui et les jours gris

"Cette note fait partie d’une expérience de billets croisés, tentée avec d'autres blogs qui évoquent les régiments de la Première Guerre : le 28e RI, le 74e, le 119e... À l'occasion de la fête de la musique, célébrée ce jour partout en France, chacun de ces sites aborde le thème de la musique, sous des angles différents et avec des approches particulières. Bonne lecture, bon surf, et dites-nous ce que vous en pensez. La section commentaires vous reste ouverte."

Passées les interminables parties de manille et les ballades de l'autre côté de l'Aisne, les occasions de se divertir au 36e ne sont pas légion pendant l'hiver 1915. Heureusement il y la musique... Reconstituée après les combats de Belgique et la Marne en janvier 1915, l'harmonie régimentaire est placée sous l'autorité du sous-chef David. Elle est cantonnée à Ventelay ou les répétitions ont lieu signale le JMO. A la fin de l'hiver, la clique donne quelques petits concerts comme en témoigne une photo que prend Fernand Le Bailly en mars 1915. Il l'accompagne de cette légende dans son album : "«Le concert» à l'arrière des 1ères lignes. Il y avait 4 mois 1/2 que je n'avais vu un civil & entendu de musique. J'étais très ému... ce jour là. Bourgogne. Mars 1915"

20 juin 2009

Patrouilles à reculon

Photo extraite de l'album de Fernand Le Bailly légendée : "En patrouille pour «rire»."

Si janvier dans les bois de Beaumarais fut une période mouvementée pour le 36e régiment d'infanterie, le mois de février - celui de la mort et de la purification dans la mythologie romaine - marque une période plutôt "calme" dans le secteur, sans phénomène de panique collective ni opération d'attaque de poste avancé. Tout au plus les journées sont-elles rythmées par de petits bombardements d'usure sous une météo peu clémente. Les hommes s'ennuient dans la grande forêt grise dont les frondaisons se balancent dans le vent de l'hiver. L'Aisne est en décrue. Le 16 février, le régiment reçoit une note du commandant de la brigade, en exécution d'un rapport du général Mangin, l'enjoignant de poursuivre l'encerclement du bois de Beaumarais "pour le transformer en un grand centre de résistance réellement fermé".
Des bataillons du régiment calvadosien, le troisième est sans nul doute le plus sollicité, car il demeure 24 jours en première ligne (le second reste 16 jours, et le premier, plus chanceux, 9 jours). Pour maintenir un niveau d'activité et empêcher la routine de s'installer, le colonel Bernard, qui commande le régiment, démarre un programme de patrouilles quotidiennes. Elles concernent principalement trois zones géographiques : le long de la route reliant Craonne à Craonnelle, les abords et les lisières du bois de Chevreux et le bois du Bonnet-Persan. A lire la bonne centaine de rapports sur ces opérations, conservés aujourd'hui au Service historique de la Défense, ces reconnaissances obéissent à deux préoccupations constantes pour les Français : vérifier l'avancement des travaux du côté allemand et faire des prisonniers.
En petit détachement de trois à dix soldats, voire quinze, les hommes partent dans une nuit souvent noire. Ils doivent alors ramper sur un sol gorgé d'eau, de boue ou glacé, s'aplatir dès que l'ennemi fait partir des fusées éclairantes. Les nerfs à fleur de peau, ils guettent le moindre bruit, comme le décrit Gabriel Chevallier (qui lui fut du 39e et 163e RI) dans son roman La Peur : "Par les nuits très noires, où je me conduis au toucher, j'ai parfois des arrêts brusques du coeur, lorsque quelque chose craque que je ne peux distinguer; la nuit déforme les choses, les grandit, leur prête un aspect poignant ou menaçant ; le moindre souffle d'air les anime d'une vie humaine. Les objets ont des silhouettes d'ennemis, je devine partout des respirations retenues, des yeux dilatés qui m'observent, des mains crispées sur des détentes ; j'attends à chaque seconde l'aveuglante rayure de feu d'une arme."
A défaut de prisonnier, les Français rentrent parfois avec des "pattes d'épaule" et numéro de régiment. Le 18 février, une petite unité allemande éventée laisse derrière elle, dans sa fuite, un fusil et une "Feldmütze" portant le n° 58. Et puis, un soir, le drame survient. Le 19 février, lors d'une patrouille de la 12e compagnie, Arthur Lepêtre, natif d'Elbeuf (76), est tué par un de ses camarades, "croyant avoir affaire avec l'ennemi". Le 21 février, mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly participe à une de ces patrouilles (ci-dessus), dirigée par le sous-lieutenant de Viefville, vers le potager, en bas du village de Craonne. Une embuscade est montée, mais elle échoue en raison de la nervosité des Français, qui tirent sans attendre sur des ombres qui se révèlent être des soldats allemands. Le détachement revient vers 23h00 en longeant le ruisseau du moulin Pontoy.

10 juin 2009

La mort dans la tranchée

Après le 5 juin, les lignes françaises et allemandes ont atteint un tel degré d'imbrication dans le village de Neuville-Saint-Vaast que les combats deviennent incessants. Les fortifications pour se protéger doivent souvent se faire sous le feu de l'ennemi, comme le suggère ce récit de la 11e compagnie (ci-contre : le gisant du cimetière de Neuville-Saint-Vaast).

"Entre le
4 et le 5, les troupes françaises ont progressé à droite de la grande rue jusqu'aux deux tiers du village et les allemands ont évacué presque toute la gauche de la rue principale.
Le soir à 20 heures, le 36e pénètre dans ses maisons de gauche et occupe face à l'ouest le boyau de Neuville, parallèle à ces maisons à l'ouest que les allemands ont abandonné. La 11e compagnie reçoit l'ordre de creuser une tranchée partant de ce boyau et se reliant en arrière avec les maisons. Toutes les maisons comprises entre ces tranchées et la maison d'école au sud sont encore occupées par les Allemands, de telle sorte que dès son arrivée sur le terrain, la 11e compagnie reçoit des coups de feu de flanc. On essaie de nettoyer les maisons ; une section se lance hardiment à l'attaque de la maison la plus rapprochée, mais elle est reçue par une vive fusillade qui couche à terre une grande partie de son effectif. On entend, dans la nuit, les hommes du poste allemand qui somment, en français, nos hommes de se rendre : «
Déposez les armes et venez avec nous.» L'aspirant Guilmoto (peut-être s'agit-il de ce sous-lieutenant) répond à leurs sommations en poussant en avant sa section et commande un feu nourri sur la maison, mais les Allemands ont sur nous l'avantage d'être dans une maison organisée et nous avons hélas à déplorer la mort de braves petits volontaires qui se sont précipités en avant. Force nous est imposée de nous mettre vite au travail si nous voulons avoir fini notre tranchée au petit jour.
Toute la nuit, avec de simples outils portatifs, la 11e compagnie creuse son retranchement qu'elle relie aux maisons qui bordent de la rue qu'elle organise de façon à fermer le réduit. Pendant cette nuit, les officiers, sous-officiers, caporaux et soldats ont fait preuve d'un courage, d'une endurance et d'un mépris du danger dignes d'admiration. À tout instant, un homme est frappé, tué ou blessé ; un autre prend sa pelle ou sa pioche ou le commandement de son unité. À 20 mètres de l'ennemi qui lance des fusées éclairantes à la faveur desquelles il tire et jette des grenades, tout le monde travaille comme s'il était à la manoeuvre. Au petit jour, la tranchée est suffisante pour tenir la position est certes les Allemands doivent être surpris de nous voir installés chez eux.
Malheureusement, ceux qui restent dans les maisons à notre gauche sont encore nombreux et bien organisés. Dès le matin, ils installent dans la maison la plus proche une mitrailleuse qui prend notre tranchée à revers.
À partir de ce moment commence alors une journée d'épreuve où la troupe a eu l'occasion de faire montre des qualités d'endurance, de calme et d'énergique résolution qui caractérise le soldat normand.
Les balles qui nous sont envoyées par la mitrailleuse située à 20 m traversent le parapet trop friable, fait de terre végétale. Les sacs à terre apportés en hâte sont déchirés par les balles retournées que tirent les Allemands. Chaque homme qui se lève du fond de la tranchée est frappé d'une blessure horrible. Qu'importe, il faut avant tout tenir la position.
Le chef de bataillon fait envoyer du renfort pour seconder les hommes exténués et on lutte avec acharnement à placer les sacs sur les sacs aussitôt éventrés par les balles de la mitrailleuse. Qui dira l'héroïsme des travailleurs qui continuent à placer les sacs sur le parapet tandis que ceux-ci se déchirent dans leurs mains, que les balles s'écrasent alors aux oreilles quand elle ne les frappe pas mortellement ?
À tout instant c'est une nouvelle victime et ce n'est qu'à la nuit que le Génie peut organiser la muraille de sacs qui défiera le feu des mitrailleuses. Quand arrive le soir du 6 mai
(en réalité le 6 juin, NDR), 34 hommes ont été mis hors de combat par de graves blessures ; huit ont été frappés mortellement. Mais pendant ce temps, ceux qui occupent la maison vengent leurs camarades ; par les meurtrières qu'ils ont pratiquées, ils surveillent les maisons voisines, ils guettent les allées est venues de nos horribles voisins et ils ont le plaisir d'en descendre un bon nombre. C'est ainsi notamment qu'ils aperçoivent un Boche chargé d'un sac de grenades, il en tient une à la main, prêt à la jeter ; un guetteur l'a vu, tire : le Boche hurle ; un deuxième coup l'abat. Plus tard, un des veilleurs signale que dans les terrains qui sont en avant de notre tranchée, les Allemands défilent dans des sapes ; la sortie de la sape est a découvert ; deux tireurs se postent armés de fusils allemands trouvés dans les caves, chargés des balles trouvées dans les chargeurs, c'est-à-dire retournées. Deux coups, deux Boches de moins et deux balles qui ne s'attendaient pas à retourner ainsi chez leurs propriétaires. Il s'en présente encore six, six hommes morts -- et ce fut ainsi toute la journée : nous avions du moins la satisfaction d'avoir vengé nos camarades"

7 juin 2009

La mort au coin de la rue

En écho aux violentes journées dans Neuville-Saint-Vaast autour du 5-6 juin, voici un témoignage du 36e RI, trouvé dans un rapport au Service historique de la défense, qui rassemble quelques récits vécus à la 5e division d'infanterie. Il ne comporte ni mention de nom, ni indication de la compagnie ou de lieu, mais montre en peu de mots la férocité des combats (ci-contre, détail du monument aux morts de Neuville-Saint-Vaast)

"Le 5, j'étais de faction dans un couloir d'une maison presque toute en ruine. Pendant un bon moment, moi ainsi que plusieurs camarades qui étaient dans une tranchée un peu à ma gauche, nous avons été crapouillotés de droite, de gauche, devant et derrière, que l'on ne se voyait pas dans la fumée et la poussière. Après cette scène terrible, nous avons été tranquilles une partie de la nuit. Le 6
, vers sept heures du matin, mon caporal et moi nous étions à la même place que j'occupais la veille lorsqu'un moment arrive que voyons-nous ? Des boches qui filaient l'un derrière l'autre, sans se faire de bile... Aussitôt mon caporal tire, en descend un ; moi, je prends sa place et là je vois un boche qui venait emportant dans une toile un autre boche je pense ; je tire, il tombe. Il veut se relever, mais la deuxième fois il reste sur le carreau. Un autre vient : le même sort. Un 3e vient aussi pour tâcher d'enlever ses camarades mais il reste aussi sur place et j'étais content de ma besogne. Après, ils ont fait une barricade en avant de ceux qui étaient restés avec des planches, de façon que je ne pouvais plus les voir voyager. C'était malheureux, car je crois que j'en ai descendu encore d'autres. Voilà ce que je peux raconter sur cette prise de Neuville-Saint-Vaast."