Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
Comment consulter cette page ? Vous pouvez lire progressivement les messages, qui ne respectent pas un ordre chronologique (ils évoquent, par exemple, l'année 1915 ou 1914). Vous pouvez aussi avoir envie de vous attarder sur une année ou un secteur géographique : pour cela, cliquez dans la colonne à gauche dans la rubrique "Pages d'histoire du 36e" sur la période et le lieu qui vous intéressent. Tous les messages seront alors rassemblés pour vous selon l'ordre de publication.
Comment rentrer en contact ? Pour de plus amples renseignements sur ce site, ou me faire parvenir une copie de vos documents, vos souvenirs ou remarques, écrivez-moi. Mon adresse : jerome.verroust@gmail.com. Je vous souhaite une agréable lecture.

Avertissement : Si pour une raison quelconque, un ayant-droit d'une des personnes référencées sur ce site désire le retrait de la (les) photo(s) et des informations qui l'accompagnent, qu'il me contacte.

30 mai 2008

Presque un siècle...

Dans les bois de Beaumarais, un petit poste occupé par le 36e régiment d'infanterie, en janvier 1915, et l'emplacement tel qu'il se présente aujourd'hui. La forêt a repris ses droits, mais l'emplacement de la ferme du Temple (rond rouge) est resté. Merci à ceux – ils se reconnaîtront – qui ont rendu ce parallèle possible. (Photo de gauche : coll privée Louis Ducamp, DR).

27 mai 2008

Statues de boue

"La boue qui gliss', la boue qui coule / La boue qui grimpe, la boue qui coule, /Qui tomb' d'en haut, qui r'mont' d'en bas, /La boue à pleins bords, où qu'on rentre /Jusqu'aux g'noux, souvent jusqu'au ventre… /A vous aggripe, a vous accroche… /On en a jusque dans ses poches… /On en mang' jusque sûs son pain !... /… La boue ventouse, la boue vampire, /Qui vous engoul', qui vous aspire… /
I sembl'des foès, quant'a vous prend,
/Qu'ça s'rait ein bête, et qu'a comprend /Et qu'a veut, emprès vous r'vanchée, /Venger la terr' qu'a trop souffert, /La terr', la pauv'terre des tranchées, /Blessée d'partout, qu'est là couchée, /Les trip'à l'air et l'ventre ouvert."(La passion de notre frère le poilu, Marc Leclerc, Au bibliophile angevin, 1920)

"Chaque jour tout est à refaire tant que les pluies continuent." Derrière cette ligne laconique, extraite d'un rapport du chef de bataillon Voisin, du 36e régiment d'infanterie, rédigé dans les bois de Beaumarais, perce déjà toute la lassitude de ce premier hiver dans les tranchées. Tout au long de la mauvaise saison, les hommes du 36e régiment d'infanterie ne cessent de se battre contre l'eau qui envahit constamment leur secteur. Dès le mois de janvier, des averses continuelles remplissent les boyaux. Le sol se recouvre d'une boue liquide ; les vêtements se raidissent ; les relèves et les ravitaillements sont ralentis. Il pleut tellement que les parapets et les tranchées s'écroulent et qu'il est impossible de circuler. Dans le Journal de marche du régiment, il est noté le 8 janvier : "L'eau monte de plus en plus dans les tranchées et le service y est rendu difficile et pénible. Les hommes ont les pieds dans l'eau nuit et jour. Ils se reposent assis les pieds contre les parois des abris." Dans un rapport daté du lendemain : "Dans deux compagnies, les hommes ne peuvent plus s'étendre."

Après avoir conféré avec le colonel commandant le 36e sur cette situation inquiétante, le commandant de la 10e brigade estime qu'il faut sans tarder employer tous les pionniers du régiment à la confection de gabions et de fascines, de façon à créer le plus rapidement possible des abris surélevés pour les unités qui n'en disposent pas encore. Dans le même temps une patrouille est envoyée le long du fossé qui relie les lignes allemandes aux lignes françaises (entre les bois de Chevreux et les bois de Beaumarais) pour vérifier si celui-ci n'est pas fermé par un barrage. Conduite par le sous-lieutenant Rault, dans la nuit du 2 au 3 janvier, elle ne remarque rien sinon "que le niveau de l'eau est plus élevé du côté des Allemands"...
Pour remédier à ce bourbier, des puits sont creusés au nord des bois, dans les secteurs marécageux. Chez les soldats, "la valeur du point occupé est pour les hommes uniquement fonction de la hauteur d’eau inondant les gourbis", note l'historique. On aménage des rigoles et des puisards. On tend des toiles de tente et l'on bricole des gouttières avec des boîtes de "singe" et autres seaux à confiture. Rien y fait. L'eau s'infiltre partout. Et les vagues de froid n'arrangent rien lors des patrouilles. "Les feuilles sèches forment une croûte glacée, dont les craquements menacent de révéler notre présence", note une patrouille de la 11ème compagnie.

(Ci-dessus, photo dans l'album de Fernand Le Bailly, légendée ainsi : "La lutte contre la boue, le gourbi de liaison. Mes hommes, nos capotes, de la boue, obus à volonté". Photo 2 : dans les bois de Beaumarais aujourd'hui.)

18 mai 2008

Derrière les remparts du château

Sur les conditions de vie à la caserne du château, un autre témoignage, découvert ici, nous est donné par M. Rouxel, président du 36e régiment d’infanterie.

"Les derniers jours de la caserne du château (...). Jusqu'à la réorganisation, intervenue à la fin du siècle dernier ou au début de celui-ci, en tout cas, avant que je sois incorporé, le 36e RI permutait tous les deux ans avec le 5e RI. Lorsque le 36e était à Caen, le 5e était à Paris et, inversement, quand le 5e était à Caen, le 36e était à Paris. Plus exactement, les deux bataillons du 36e (ou du 5e) étaient à Caen, le troisième étant à Falaise. Je n'ai pas connu ça. Lorsque j'arrivai du Havre, en 1902 avec 250 camarades du même recrutement, le 36e RI était déjà devenu le régiment caennais par excellence, les trois bataillons (environ 1500 hommes) étaient répartis entre les casernes Hamelin (à l'emplacement de la promenade Sévigné), la caserne Lefebvre (château), le quartier de Lorge (où s'est replié, depuis la guerre, l'état-major de la subdivision) et la caserne de la Maladrerie (aujourd'hui désaffectée)
"Personnellement, j'ai d'abord été logé au quartier Lorge (les chambres étaient dans les écuries de la remonte), puis à la caserne Hamelin.
"La mise en service du casernement qui va disparaître modifia tout ceci.
"Le premier et le second bataillon montèrent au château, le troisième restant à la caserne Hamelin.
"Par la suite l'état-major du Régiment (qu'il ne faut pas confondre avec celui de la division, logé à l'angle de la rue Saint-Jean et de la place du 36e RI) nous rejoignit. Si cela vous amuse, je puis encore vous préciser que le bâtiment condamné à mort abritait les deuxième, troisième et quatrième compagnies du premier bataillon, la première compagnie (capitaine Lohmer) à laquelle j'appartenais, partageait avec le deuxième bataillon le grand bâtiment situé le long des fossés, face à l'université.
"Le troisième côté du carré où les recrues faisaient leurs classes (on vient d'y mettre à jour les ruines du donjon) était formé d'une série de bâtiments. Les cuisines et leurs réserves étaient au bout. On voyait à la suite les écuries, puis l'Echiquier et ses dépendances.
"L'Echiquier, au rez-de-chaussée, servait de remise aux attelages du Régiment. Au-dessus, nous disposions d'une salle de réunion où nous pouvions donner des représentations théâtrales. On y avait également aménagé un bar à notre attention. Derrière, il y avait l'infirmerie.
"Le logis du gouverneur servait de mess. On y voyait aussi une bibliothèque et une salle de conférences.
"La chapelle [église Saint-Georges] n'était pas utilisée.
"Les bâtiments qui subsistent entre les deux portes fortifiées servaient à toutes sortes de fins. l'habillement en occupait l'essentiel. On voyait encore, dans le même coin, de nombreuses constructions qui ont disparu, notamment les bureaux du colonel, ceux du recrutement, l'armurerie et une foule de services...
"Les logements des remparts étaient également utilisés. les caves souterraines aussi. Le vin était entreposé dans la tour de la Reine Mathilde. J'ai de bonnes raisons de m'en souvenir, ayant été promu grâce à elle, sergent de la commissions des ordinaires. Le titre me fut en effet conféré le jour où le titulaire fut remercié pour avoir laissé ouverte la clef d'un fût dont il avait la garde... Des centaines de litres furent ainsi perdus... L'intendance prit mal la chose..."
(source : Paris-Normandie, 9 décembre 1958)

1 mai 2008

Les trois coups de Neuville-Saint-Vaast

Légende de la photo dans l’album de Fernand Le Bailly : "S/officiers 'grenadiers' du 36e. En route pour Neuville St Vaast. Près Mareuil. Mai 1915" (la croix indique Fernand Le Bailly).

Le 25 mai au matin les bataillons du 36e régiment d'infanterie sont embarqués en camions (photo) à Sus-Saint-Léger, dans le Pas-de-Calais, et déposés au bois d'Habarcq, à quinze kilomètres de là, où ils font une grande-halte toute la journée. Mais avec la fin d'après-midi, le départ est sifflé. La longue colonne repart dans la plaine et longe la rivière de la Scarpe jusqu'à Marœuil. "Les champs, raconte Jean Hugo, sont sillonnés de colonnes en marche." On voit à distance "les lances des dragons, (...) des bataillons d'infanterie où le bleu des capotes avait toutes les couleurs du ciel, du mauve au vert." Vers le nord, la canonnade menaçante grossit parfois sur le plateau.
Une division chasse l'autre... Le 25 mai marque en effet la relève par la 5e division de la 11e, "la divison de fer", bien éprouvée par les offensives du début du mois de mai dans le petit village de Neuville-Saint-Vaast. Dans l'après-midi, les colonels de la 10e brigade, à laquelle appartient le 36e, accompagnés de leurs chefs de bataillon et du commandant des compagnies de mitrailleuses viennent reconnaître leur nouveau secteur. Ils sont suivis du 2ème bataillon du 36e, qui arrête sa marche au hameau de la Targette (voir carte), les deux autres bataillons s'attardant à Marœuil pour la nuit.
Ils n'en repartent que le lendemain en fin de journée. A leur passage à proximité de la chaussé Brunehaut, le spectacle est déjà iréel : "La plaine était nue et noire, poursuit Hugo. On voyait au loin une ruine étrange semblable à une gerbe de colonnes de basalte : le mont Saint-Eloi. Tout à coup nous atteignîmes le bord du plateau : le champ de bataille apparut devant nous, à nos pieds, vaste abîme de nuit bleue où flambaient des incendies, où se croisaient des comètes multicolores. C'était si beau que ma peur s'envola." Le terrain devant Neuville-Saint-Vaast est balafré de tranchées et de croix de bois, reliquat des combats de la quinzaine passée. Les hommes du 36e s'enfoncent dans les boyaux de communication, où ils ne tardent pas à croiser les soldats de la 11e DI. Ont-ils l'opportunité de s'échanger quelques mots ? Ceux du 37e peuvent-ils seulement relater les attaques hallucinées du 9 au 12 mai, leur parler du "Labyrinthe", de la Maison Blanche, du cimetière, autant de lieux-dits que les "lignards" du 36e entendent pour la première fois ? Ils n'en ont pas le temps : à 2 heures du matin, un bombardement de minenwerfers s'abat sur le sud-ouest du village, où vient à peine d'arriver la 9ème compagnie du régiment normand. Il est suivi, 30 minutes plus tard, d'une attaque de "sept petites colonnes d'infanterie" allemandes, qui est repoussée Les trois coups de la bataille de Neuville viennent d'être frappés.

Pour lire plusieurs récits des attaques du 9 au 12 mai dans la presse de l'époque, rendez vous sur le site greatwardifferent.