Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
Comment consulter cette page ? Vous pouvez lire progressivement les messages, qui ne respectent pas un ordre chronologique (ils évoquent, par exemple, l'année 1915 ou 1914). Vous pouvez aussi avoir envie de vous attarder sur une année ou un secteur géographique : pour cela, cliquez dans la colonne à gauche dans la rubrique "Pages d'histoire du 36e" sur la période et le lieu qui vous intéressent. Tous les messages seront alors rassemblés pour vous selon l'ordre de publication.
Comment rentrer en contact ? Pour de plus amples renseignements sur ce site, ou me faire parvenir une copie de vos documents, vos souvenirs ou remarques, écrivez-moi. Mon adresse : jerome.verroust@gmail.com. Je vous souhaite une agréable lecture.

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28 oct. 2007

Un bon filon

Photo : Sous le belvédère du plateau de Californie, le panorama sur la vallée de l'Aisne,
tel que les Allemands pouvaient le contempler en 1914.

Le 9 décembre 1914, dans l'après-midi, le régiment quitte le secteur de Courcy et se met en marche pour aller relever le 73e régiment d'infanterie, à 23 km au nord, dans les bois de Beaumarais. Il va cantonner dans un premier temps près de Reims, dans les villages du Thillois, Champigny et Saint-Brice- Courcelles. Pour beaucoup de soldats, à la satisfaction de quitter le secteur se mêle l'appréhension d'abandonner leurs tranchées. Ils laissent derrière eux le vent et le froid de la plaine marneuse, mais que vont-ils trouver ? Ils s'étaient pourtant accoutumés tant bien que mal à cette situation d'attente, aux aller-retour entre les lignes et le cantonnement… Après trois mois d'immobilité, ce petit "voyage" est toutefois l'occasion pour quelques-uns d'entrevoir la vie de l'arrière : "Dans la brume du soir, c'était si doux de voir des champs et des villages, des hommes et des femmes, de ne plus rencontrer que des uniformes. La marche, le soif, donnent une espèce de fièvre, et avec l'imagination très excitée, je ne pouvais plus me figurer que j'étais en guerre." (Etienne Tanty, La Violette des Tranchées)
Le 36e ne le sait pas encore, mais les bois de Beaumarais sont, selon l'expression en usage, un "bon filon". Aux violents combats en septembre a succédé un calme relatif. Les Allemands, repliés sur le plateau de Californie, se sont solidement retranchés dans l'ancien village de Craonne, bâti à 140 m d'altitude à flanc de coteaux et qui offre une vue imprenable sur les villages de Pontavert, Chaudardes, Craonnelle, et, plus loin, sur les vallées de l'Aisne et de l'Ailette, Face à eux, en contrebas, dans le grand manteau forestier, le régiment français va pouvoir se dissimuler. Devant Craonne, sur la gauche, la ligne de tranchée suit la lisière du bois puis oblique à travers champs vers la zone, tenue par le 129e régiment d'infanterie, de La-Ville-aux-Bois (où Guillaume Apollinaire sera blessé en mars 1916). Plus à droite, en direction des bois de Neuville, les Bat'd'Af', aussi appelés "les Joyeux", sont retranchés. Les bois de Beaumarais sont étroits (2 km de large) et ne présentent qu'un peu de relief dans la partie orientale de la forêt, avec le mont Hermel. Ils sont également marécageux : l'eau sourd dès que l'on creuse, et les trous ne tardent pas à se remplir d'eau. C'est pourtant dans cette forêt que le régiment va rester 5 mois.
Le 10 décembre, le régiment s'achemine à Prouilly et rejoint son secteur dans la nuit du 11 au 12. Selon le Journal de marche et d'opérations (11/12/1914) "le premier bataillon occupe le premier sous-secteur. Le troisième bataillon occupe le deuxième sous-secteur. Le deuxième est réservé à Chaudardes et Concevreux. Poste de commandement du colonel : bois de Beau Marais."
Quel rôle joua la forêt pour les soldats pendant la Première guerre mondiale ? Un hors-série, La lettre du Chemin des Dames n°2, à télécharger gratuitement à cette adresse.

22 oct. 2007

Dans l'antre du cabot patate


Légende accompagnant cette photo dans l'album de Fernand Le Bailly : "Cuistots" (dans les bois de Beaumarais lors de l'hiver 15, NDLR).

"En général, les cuisiniers vivent par petits groupes, et rien n'est plus intéressant que de visiter l'un de leurs nids. On peut, du reste, approcher sans crainte : l'animal grogne quelquefois, mais il n'est ni méchant, ni venimeux.
"Figurez-vous une sorte de hutte faite de matériaux les plus divers : branchages, troncs d'arbres, pierres, plaques de tôle, de zinc, etc., le tout noyé dans une fumée abondante et noire : c'est la cuisine. Là-dedans, autour des brasiers allumés, s'agitent quelques formes vagues qui semblent travailler à d'étranges besognes, sous la haute direction de leur chef, le caporal d'ordinaire (en français : cabot patate). On se croirait réellement dans l'antre d'un alchimiste ou d'un sorcier du Moyen Age. Ici, des cuisiniers sont occupés à peler sommairement des tubercules et des racines qu'ils jettent ensuite pêle-mêle dans des récipients de forme extraordinaire ; plus loin, d'autres dépècent, à coups de hache et de coutelas, d'énormes quartiers de viande ; d'autres encore, dans un coin, sont en train de verser, sur une passoire, je ne sais quel philtre noirâtre et d'odeur aromatique.
"Continuons à observer. Au bout d'un certain temps, la mystérieuse besogne des cuisiniers semble terminée : cuits dans l'eau, les tubercules et les racines sont devenues la jaffe ; la viande, convenablement rôtie, s'est transformée en barbaque ou bidoche, et le liquide noir et parfumé s'appelle maintenant : le jus.
Chaque soir, à la nuit tombante, les cuisiniers vont porter à leurs congénères, les Poilus des tranchées, les produits de leurs travaux, car ces diverses choses, jaffe, barbaque et jus, jointes à d'autres denrées apportées par les miaules, tels que les boules de brichton et le vin ou pinard, forment la principale nourriture des Poilus. (…)
"Un dernier trait achèvera de caractériser l'animal qui fait l'objet de cette étude ; c'est sa grande capacité. Doué d'un gosier très en pente (plus de 45°) et d'un estomac remarquablement spongieux, le cuisinier absorbe avec facilité d'énormes quantités de pinard. Le remplir est, pour ainsi dire, impossible et l'on se perd en conjectures pour savoir où tout ce liquide peut passer. Mais qui sait ? Semblable peut-être au fameux tonneau des Danaïdes, qui nous dit que le cuisinier n'a pas un trou au fond ?"
(Journal des tranchées Le diable au cor, n° 8 – 27 juin 1915).

20 oct. 2007

"Brimont, grondant et fumant..." (suite et fin)

Un autre témoignage nous décrit plus longuement la région de Reims à la même époque : il s'agit de Marcel Dupont, au 7e chasseurs de Rouen. Dans son recueil de souvenirs En Campagne (Plon, 1915), il raconte son voyage à cheval jusqu'à la ville de Reims vers la fin septembre, pour retrouver l'appartement qu'il occupait à la mobilisation*.
Passées les colonnes de ravitaillement en viande de la 5e armée, stationnées en bordure de Vesle, à Jonchery ("une file interminable d'autobus chargés d'énormes quartiers de boeuf (...) Tout autour grouillent des territoriaux, manches troussées, mains et bras rouges jusqu'au coude"), il arrive vers Saint-Thierry et Merfy, (où) "notre artillerie fait entendre un roulement ininterrompu auquel vient, par rafales, s'ajouter le crépitement lointain de la fusillade." Son voyage continue dans un paysage défiguré.
"Nous voyons sur la route, à chaque pas, les traces des derniers combats, fils télégraphiques coupés et pendant lamentablement le long des poteaux, cadavres de chevaux horriblement gonflés, équipements abandonnés dans les fossés, tranchées esquissées à peine et tout de suite délaissées pour la marche en avant. Mais où nous sentons surtout l'angoissant et obsédant rappel à l'horreur du moment, c'est dans le tableau que nous offrent les environs de Reims à mesure que nous approchons du faubourg de Vesle. C'est, de toute la ville, le quartier qui a le moins souffert du bombardement et c'est là que se réfugient dans la journée la plupart des Rémois qui n'ont pas voulu abandonner complètement leurs foyers. A ceux-ci sont venus se joindre par milliers les malheureux habitants des villages champenois, dont l'ennemi a envahi les demeures. Ils sont là, par groupes, assis dans les fossés de la route ou au pied des meules qui leur ont servi de refuge pour la nuit. Près d'eux, quelques paquets de bardes et quelques ustensiles de cuisine. Ils regardent d'un œil morne les autos et les estafettes qui sillonnent la route sans relâche, et tout ce va-et-vient semble leur être indifférent. Il semble que leurs pensées vont ailleurs, plus loin, vers les maisons qu'ils ont laissées lorsqu'ils sont partis en hâte, sous les obus qui commençaient à éclater dans les petites rues de chez eux. Dans Reims, lors de ces premières journées de bombardement (qui durera tout au long de la guerre), le spectacle est encore plus lugubre et fantômatique. Les rues sont vides. Les quelques passants que l'on croise se hâtent en rasant les murs.
La rue de Vesle, cependant, a peu souffert en comparaison des quartiers du nord et de l'est. Mais les quelques projectiles qui y sont tombés en ont tellement ébranlé toutes les maisons que nombre de vitres ont été brisées et que nous avançons sur un véritable tapis de verre. De-ci de-là, quelques façades éventrées par les obus montrent l'intérieur navrant des appartements bouleversés, débris de meubles suspendus dans le vide, tableaux intacts accrochés aux murailles, cheminées encore garnies de la pendule, des candélabres et des photographies familiales." (Photo : DR)

* Si vous voulez lire le texte dans son intégralité, cliquez sur ce lien.

16 oct. 2007

"Brimont, grondant et fumant..." (I)

La plaine de Courcy, vue depuis la colline de Brimont. Au centre, le château de Brimont et, derrière, les bois de Soulains. La ville de Reims est à droite.

Quel paysage contemplent les "forçats de Courcy" ? A l'avant et à l'arrière de la ligne des tranchées, leur horizon est borné par les douces collines crayeuses champenoises, qui ondulent entre Vesle et Aisne. Au bas de ces monts, aux cimes parfois boisées, la plaine alterne terrains pierreux et marais. Mais dès la fin septembre 14, sur la ligne de front, tout est dévasté. Henri Dutheil, secrétaire d'état-major sous les ordres de Mangin, basé au Chenay, derrière Merfy, raconte : "Les vapeurs d'automne flottaient là-dessus et se mêlaient dans l'air calme aux fumées des bivouacs. L'unique rue du village de Chenay, montante et sinueuse, est bordée de façades blanches, dont quelques-unes s'enguirlandent de vignes où se fleurissent de roses ; il y a aussi des murs de jardins, d'où dépassent des feuillages rougis et jaunis, de hautes portes cochères s'ouvrant ça et là sur des perspectives de parcs… Du village suivant, à 2 km de celui-ci, il ne reste plus grand'chose, et du suivant, il ne reste plus rien… des ruines sous les pampres : Saint-Thierry, Merfy ; en face, Brimont, grondant et fumant… en arrière du front, bossuée de tombes, enveloppée de brouillards épais, la vallée de la Vesle et ses saules, ses oseraies, les coteaux champenois, les vignes qu'on vendange, la montagne de Reims, bleue au loin, couronnée de forêts que les premières gelées éclaircissent et roussissent."
Le réseau qu'occupe le 36e RI s'étend des Cavaliers, qui bordent le canal de l'Aisne, aux abords de la RN 44. Derrière la ligne de tranchées, à quelques kilomètres, s'étend la ville de Reims, dominée par les deux flèches gothiques de la cathédrale. A la mi septembre démarre le bombardement quasi régulier de la ville, lancé à partir des forts de Brimont, Fresne, Witry… aux mains des allemands. Ce déluge de feu incessant fera aussi partie du "paysage" de ces soldats.
Plus au nord, la ligne française de tranchée continue de tracer son sillon dans la craie rémoise et serpente le long de la route. Elle passe devant Hermonville, où cantonne Drieu la Rochelle et Dorgelès en octobre 14, puis le Godat, où Ernst Junger connaîtra ses premiers combats, en décembre de la même année. Cette nouvelle frontière qui s'esquisse, le second l'évoque telle une "longue ligne lumineuse, un boulevard en fête. Partout des fusées blanches éclataient, jets d'eau lumineux retombant en étoiles, un perpétuel feu d'artifice qui mourait ici pour renaître là. Et de cette chimérique clarté, aucune rumeur ne montait ; pas de voix, pas de vie ; rien qu'un crépitement continu, un tragique roulement de coups secs qui s'enfonçaient dans le vaste silence comme des clous."

15 oct. 2007

A Courcy, quelques "opérations de détail"


Légende de la photo : "
Notre tranchée de 1ère ligne (du 36ème). Plaine de Courcy, près Reims, à gauche du canal, face à Brimont."

A la fin du mois de septembre 14, le combat entre les deux belligérants baisse progressivement d'intensité. Le 36ème RI opère quelques "opérations de détail", parfois sous des bombardements intenses pour dégager l'actuelle RN 44, qui relie Reims à Laon. Mais aux premiers jours de l'automne, le régiment creuse et occupe les tranchées dans la plaine de Courcy, devant Saint-Thierry d’abord, puis aux Cavaliers. "L’heure n’est plus aux combats à découvert, sac au dos, l’arme au poing, note l'historique régimentaire du 36ème, il faut maintenant manier la pelle et la pioche pour tenir". L'ordre de fortifier les points acquis par des défenses "accessoires" (fil de fer barbelé) et de les défendre par des mitrailleuses a beau venir du commandement, le phénomène est largement spontané. Il découle également de la puissance de feu des armes modernes. Pour tous, cette situation est temporaire. Elle permet d'attendre les renforts et des munitions. Sur ce phénomène, l'historique régimentaire du 129ème régiment d'infanterie, qui est situé dans le même secteur, raconte : "Des lignes de tranchées s'ébauchent, reliées bientôt par des boyaux ; puis, les premiers fils de fer font leur apparition en avant des premières lignes : un 'secteur' est né. Pendant de longues semaines, les guetteurs des deux camps s'observent, échangeant de rares coups de fusils et, le soir, prennent la pelle et la pioche pour organiser le terrain, s'accrocher au sol et créer un système continu de tranchées et de boyaux qui permettra une résistance plus facile." La vie dans les tranchées, dans ces premiers jours d'automne, est éreintante. Aux bombardements intermittents succèdent les fusillades, les "coups de mains" en avant des tranchées et les captures d'adversaires. A cela s'ajoutent les travaux de creusement, à partir de la mi-novembre, épaulés par le Génie, et qui sont harassants. Difficile, pour ne pas dire inhumain, pour des soldats épuisés par deux mois de combats… De Charleroi à la bataille de la Marne, les bataillons ont en effet fondu dans des proportions inimaginables (environ 300 000 hommes tués pour l'armée française). Les renforts continuent pourtant d'arriver... Le 16 octobre, 252 hommes viennent renforcer le 36ème dont l'effectif s'établit à "2400 hommes et 50 officiers" (JMO)

13 oct. 2007

Bienvenue!

Bienvenue dans ce blog consacré au 36e RI dans la Première Guerre mondiale ! Ce régiment était en casernement à Caen en 1914. Il était composé pour la plupart de Normands et de Parisiens.
Ce blog n'est pas né par hasard : mon arrière grand-père, Fernand Le Bailly, a été incorporé dans le 36e régiment d'infanterie lors des premiers jours de la bataille de la Marne (septembre 1914). Il a combattu avec cette unité jusqu'en 1917, pour intégrer ensuite un groupement de chars d'assaut.
Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36ème que mon aïeul a côtoyés, parfois photographiés, et à leur rôle dans la défense de notre pays. Elle est accompagnée de photos prises à l'époque, courant de septembre 14 à septembre 15, et que Fernand Le Bailly a rassemblées dans un album. Elles apparaissent spécifiquement dans ce blog et sont restituées "dans leur jus", avec la légende qui les accompagne.
Mais ce site est aussi le vôtre… Si vous reconnaissez un membre de votre famille, n'hésitez pas à m'en faire part. De même, si vous avez des documents (fiche d'enrôlement, lettres...) et des photos (tombes, soldats...) qui concernent le 36e régiment d'infanterie. Enfin, si vous souhaitez préciser une information, laissez-moi un message. Je vous souhaite une agréable lecture. J. Verroust