Pourquoi ce blog et comment le lire ?

Cette page, qui n'a pas la prétention d'être exhaustive, est un hommage rendu aux hommes du 36e régiment d'infanterie que mon arrière-grand-père, Fernand Le Bailly, a côtoyés, parfois photographiés pendant la Première Guerre mondiale. Elle souhaite conserver et transmettre leur souvenir. Elle est conçue à partir de témoignages, d'écrits et d'archives personnels qui m'ont été envoyés, en partie par des descendants de soldats du 36e. Elle est aussi un prétexte pour aller à la rencontre d'"invités" – historiens, passionnés de la Grande Guerre, élus, écrivains... – qui nous font redécouvrir aujourd'hui ce titanesque conflit. Elle est enfin un argument pour découvrir tous les prolongements de ce gigantesque conflit dans le monde d'aujourd'hui.
Comment consulter cette page ? Vous pouvez lire progressivement les messages, qui ne respectent pas un ordre chronologique (ils évoquent, par exemple, l'année 1915 ou 1914). Vous pouvez aussi avoir envie de vous attarder sur une année ou un secteur géographique : pour cela, cliquez dans la colonne à gauche dans la rubrique "Pages d'histoire du 36e" sur la période et le lieu qui vous intéressent. Tous les messages seront alors rassemblés pour vous selon l'ordre de publication.
Comment rentrer en contact ? Pour de plus amples renseignements sur ce site, ou me faire parvenir une copie de vos documents, vos souvenirs ou remarques, écrivez-moi. Mon adresse : jerome.verroust@gmail.com. Je vous souhaite une agréable lecture.

Avertissement : Si pour une raison quelconque, un ayant-droit d'une des personnes référencées sur ce site désire le retrait de la (les) photo(s) et des informations qui l'accompagnent, qu'il me contacte.

27 févr. 2008

La forêt désanchantée

"Quelle est cette guerre au cœur de la nature? Pourquoi la nature rivalise-t-elle avec elle-même? (...) La nature renferme-t-elle une force vengeresse? Non pas une force mais deux ?"
(La Ligne rouge, un film de Terrence Malick)

Au lendemain du 11 décembre 1914, le 36e régiment d'infanterie découvre son nouveau "domaine" : les bois de Beaumarais. Baignés au sud par les eaux de l'Aisne, ce manteau forestier forme un large couloir reliant Pontavert à Craonne. Hérissé d'une paire de mamelons au nord - le mont Hermel et, plus en arrière, la cote 120 -, deux routes transversales le bordent. Au centre, il est rétréci par le grand pré de la ferme du Temple.
Le 36e RI vient à peine de s'installer qu'il démarre les travaux d'aménagement des tranchées. Malgré le travail du régiment précédent, le 73e RI, l'organisation du secteur est en effet "notoirement insuffisante" fulmine le colonel Bernard, commandant du régiment, dans un rapport qu'il adresse fin décembre à son supérieur. "Les tranchées de premières lignes n'offrent pour ainsi dire aucune protection. On ne peut tirer par les créneaux quand ceux-ci existent. Les abris ne sont nullement à l'abri d'un bombardement. Le travail à exécuter est considérable", peste l'officier. Les restes des combats de septembre marquent encore le paysage... Sur le mont Hermel, le capitaine Lucien (que nous rencontrerons une autre fois) note : "Celui-ci est sans exagération aucune un véritable charnier dans toute sa superficie, d'autre part un dédale extrêmement compliqué de sapes, de boyaux, d'abris effondrés, de tranchées françaises et allemandes bouleversées et courant dans tous les sens, le tout parsemé d'entonnoirs d'obus de gros calibres. Le sable qui recouvre à peine les cadavres nombreux (surtout allemands) qui y sont enterrés, quand ils le sont, se soulève et se craquèle."
Plus que tout, le régiment doit affronter un nouvel ennemi : l'eau. Les bois de Beaumarais sont, en effet, un gigantesque marécage à ciel ouvert ! Les ruisseaux dévalant du plateau de Californie arrosent le massif forestier et lui donnent des airs de forêt inondée. Les réduits, les sapes et les abris deviennent dès lors impossibles à creuser. "On trouve de l'eau entre 40 et 50 cm de profondeur", note Bernard.
En quinze jours, le massif forestier se transforme donc en véritable forteresse. Redoutant une attaque, trois lignes de défense sont organisées. La première suit la lisière nord du bois et chemine en "sape volante" pour pallier au sol marécageux. Edifiée au moyen de sacs de terre et de gabions, elle est complétée par des réseaux de fil de fer qui atteignent par endroits 20 m de profondeur. Une deuxième ligne traverse le bois en son milieu et vient s'enrouler autour de la butte de l'Edmond. Enfin, une dernière tranchée s'organise autour de Pontavert. Du côté du mont Hermel, les cadavres sont exhumés et recouverts de chaux ; l'organisation du secteur est perfectionnée et la petite butte se transforme en bastion. Dans le même temps, n'ayant pas renoncé à leur humeur offensive, des patrouilles sont envoyées sur tout le front pour trouver l'ennemi. Une sape offensive est démarrée au nord vers le bois de Chevreux et vers le bois du Bonnet Persan. Dans chaque zone, en dépit du nombre insuffisant d'outils, des abris construits par les "pépères" du 35e Territorial sont élevés à ras de sol.

Photo : les bois de Beaumarais depuis le rebord du plateau de Californie. Merci à Serge Hoyet.

18 févr. 2008

Cardron, un soldat un peu moins oublié

Légende accompagnant cette photo dans l'album de Fernand Le Bailly : "Le sergent Salvé.
Une tombe d'un camarade. 'Cavaliers de Courcy', près Reims, nov. 1914
".

"Croix de 1914, ornées de drapeaux d'enfants, qui ressembliez à des escadres en fête, croix coiffées de képis, croix casquées, croix des forêts d'Argonne qu'on couronnait de feuilles vertes, croix d'Artois dont la rigide armée suivait la nôtre, progressant avec nous de tranchée en tranchée, croix que l'Aisne grossie entraînait loin du canon, et vous, croix fraternelles de l'arrière, qui vous donniez, cachées dans le taillis, des airs verdoyants de charmille, pour rassurer ceux qui partaient. Combien sont encore debout, des croix que j'ai plantées ?
"Mes morts, mes pauvres morts, c'est maintenant que vous allez souffrir, sans croix pour vous garder, sans cœur où vous blottir. Je crois vous voir rôder, avec des gestes qui tâtonnent, et chercher dans la nuit éternelle tous ces vivants ingrats qui déjà vous oublient." (Les Croix de Bois, 1919)
Qu'il nous soit permis avec cette photo, à la veille de ce 11 novembre, de faire mentir Roland Dorgelès. Perdu au milieu de photographies de l'album de mon arrière-grand-père, prises entre la Neuvillette et les tranchées de Courcy, ce cliché est anodin en apparence. Seulement, il n'est que de scruter la croix et faire varier sa lumière et son contraste, pour que la pierre livre un nom: il s'agit de la tombe d'Alfred Cardron, né le 25 février 1889, à Colombes (Seine), employé de chemin de fer, tué le 24 octobre 1914. Le Journal de marche du 36e, à la même date, en dit un peu plus long sur cette mort tragique : devant la route nationale Laon-Reims, "dans la nuit, de nouvelles tranchées sont commencées un peu en avant des anciennes. Toujours quelques coups de feu de la part de l'ennemi. Un homme est tué par une balle perdue pendant qu'il enterrait un soldat trouvé dans le Cavalier de Courcy. Rien d'autre à signaler."
Cardron se fait tuer alors qu'il cantonne à la Neuvillette, à distance de la première ligne. Cette mort peut sembler bien anodine en apparence, elle témoigne de l'absurdité de cette guerre de position. En octobre 14, l'on meurt aussi d'une méprise, d'une balle perdue alors que les soldats tiraillent sans raison de tranchée à tranchée. Le 19 octobre, dans l'après-midi, un obus de 75 tiré par erreur par un régiment d'artillerie français tombe ainsi sur les lignes occupées par la 7e compagnie : cet accident tue 3 soldats et en blesse 6. Le lendemain, deux coups de canon tirés du sud de Saint-Thierry s'abattent à deux mètres de la tranchée du 1er bataillon. Personne n'est atteint... Cardron tombe pour avoir voulu donner une sépulture à l'un de ses camarades. En ultime hommage, des compagnons lui ont taillé une croix dans un bloc de craie blanche, symbole de pureté. Qu'est devenue sa dépouille ? Est-elle restée sur place ? Fut-elle exhumée et transportée ? A-t-elle été, avec le temps, regroupée dans un ossuaire avec d'autres dont on ignorait le nom ? On ne le sait. Son corps a sans doute été, comme la plupart, avalé par la terre. Mais cette photo permet à son souvenir de ne pas sombrer dans l'oubli.

Pour découvrir un blog qui s'intéresse à toutes les stèles qui ont été érigées après la guerre de 1914-1918... C'est ici.

17 févr. 2008

Sonate d'automne

"Lundi 19 octobre 1914. J'avais interrompu ma lettre hier pour essayer de me réchauffer en piochant un bout de tranchée : la nuit tombe rapidement en cette saison et par ce brouillard ; la plaine grise et nue, sous un ciel gris et glacé où se détachent les masses noirâtres de quelques meules ; les silhouettes misérables de fantassins amoncelant des levées de terre le long de la route - vous ne pouvez imaginer le sentiment de désolation qui se dégage de tout cela." (Etienne Tanty au 129e RI, "Les violettes des tranchées", éd. Italiques)

Sous un ciel lugubre d'automne, les tranchées se poursuivent dans la grande plaine de Courcy et sur les bords des Cavaliers, dont la rive gauche est désormais déboisée. Retranché à l'ouest de la nationale 44, le 36e régiment d'infanterie ne cesse de perfectionner son travail. Le travail avance vite : à peine ébauché, le boyau atteint déjà 1,20 m de profondeur, et permet le travail en journée, à l'abri des balles allemandes. L'ouvrage est rudimentaire, mais il est équipé : un réseau téléphonique est posé, qui relie un observateur caché dans une cheminée de la verrerie de la Neuvillette, en arrière des tranchées, au groupe d'artillerie. Des grillages en guide de pare-grenades sont posés sur la crête de feu en attendant mieux.
Sur le front du 129e, situé sur la gauche du régiment le long de la route goudronnée, l'on compte en revanche plus d'atermoiements... Les travaux de fortifications ne progressent pas, sinon à la faveur de la nuit qui tombe de plus en plus tôt. Et pour cause : le sol, composé de craie pure, est dur comme du béton. Même le brouillard matinal ne permet pas de faire avancer la tâche à l'abri des regards ennemis. Pour couronner le tout, le commandant de la 2ème compagnie se plaint d'être escarmouché en permanence par des patrouilles allemandes.
Les restes des combats du mois dernier, sous le fort de Brimont, hantent encore le terrain."Arbustes brisés, fils de fer, poutres, pierres, feuilles mortes, feuillées, papiers, débris de lettres et tous ces restants informes des champs de bataille, casque sans pointe près d'un képi déchiré, bouteillon défoncé, baïonnettes allemandes rouillées, manteau de uhlan en loques, couvert de boue, boîtes de conserve vides, une vieille botte, ec., gisent alentour pêle-mêle...", note le jeune soldat Etienne Tanty. Enfin, les bombardements allemands font des victimes. Le 26 octobre, une salve atteint des maisons de Merfy où cantonne le 1er bataillon du 129e faisant onze tués et huit blessés... Dans les jours qui suivent, les soldats ne parlent que de ce drame. Et pour ne rien arranger, le froid s'installe et le combustible manque de plus en plus....

Merci à Vincent Le Calvez, qui m'a indiqué le JMO de la 10e brigade, dans lequel j'ai pêché quelques anecdotes sur cette période. (Photo : DR)

8 févr. 2008

Dans les sapes de Neuville

Détail du Triomphe de la mort (1562), de Pieter Bruegel l'Ancien, musée du Prado.

Le 15 juillet 1915, Etienne Tanty, jeune soldat au 129e régiment d'infanterie, écrit du village de Neuville-Saint-Vaast à sa famille :
"Qu'est-ce que Neuville aujourd'hui ? Un tas de pierres, de boue, de linge déchiré et pourri, de ferraille et de débris humains ? Il y en a d'autres qui vivent pendant ce temps, qui jouissent de la lumière et des plantes. Mais trouvez-moi donc dans l'univers un être qui mène une existence comparable ! Qu'est-ce que ça me fout votre patrie et tout le fourbi, qu'en ai-je, moi ? Cocu, battu et content ? Non ! Et trop heureux encore de se fourrer dans un coin de cave, sur quelques fétus de paille pourrie, pleine de poux, de mouches et de moustiques et de la sale boue des souliers, exposés à entendre déclencher la fusillade et à y partir dans la pluie, les décombres, les mitrailleuses et les torpilles qui s'effondrent sur les sapes repérées. Obligées de faire, à l'occasion, un tas d'âneries qui peuvent passer par la cervelle de quelque officier à l'abri dans son gourbi et qui s'en fout alors des marmites et de la pluie..."

1 févr. 2008

Un château encaserné


Pour faire suite au précédent billet, consacré au casernement du 36e à Caen, je reprends un extrait du texte de J.-M. Levesque, très riche en informations,que l'on peut découvrir dans Mémoires du château de Caen, (J.-M. Levesque, éd. Skira, 2000).

"En 1905, l'effectif du 36e est complété par un bataillon du 5e RI, puis en 1908 ce sont des compagnies du 129e, basé au Havre, qui se joignent à la garnison de Caen. Tout le secteur nord du château de Caen est donc profondément transformé et se présente conforme au modèle de la caserne (…) Les bâtiments de bataillon en sont la marque la plus sensible (…) Ils sont composés de quatre niveaux : un rez-de-chaussée, deux étage et un étage sous les combles. Ce dernier est destiné au logement des réservistes pendant leur période d'instruction. Le rez-de-chaussée est affecté aux accessoires, lavabos, cantines, bureau de sous-officiers, les deux étages au logement de la troupe. On accède à ces étages par quatre escaliers – un par compagnie – dans des chambres ouvrant par deux fenêtres sur chaque façade "pour des raisons de ventilation" précisent les instructions. Une bonne partie de la vie du soldat se passe en effet dans ces chambrées de 24 ou 28 hommes : repos, mais aussi instruction et repas pris sur des tables amovibles. Pour le reste peu de constructions nouvelles sont entreprises. Rien ne subsiste du donjon dont les fondations sont enfouies sous l'esplanade des casernes, mais les anciens bâtiments du château ont été réaffectés aux usages du régiment : bureaux des officiers et magasins dans le Logis des Gouverneurs, entrepôt de matériel roulant dans la salle de l'Echiquier, et même pendant un temps, salle d'arme dans l'église Saint-Georges.
"Entre 1870 et 1914, la vie du régiment n'est marqué par aucun engagement sur un théâtre d'opérations. C'est une vie de garnison consacrée à la formation des conscrits, aux manœuvres, aux défilés et cérémonies qui animent la ville. Pour les officiers qui le commandent, le grade de colonel du 36e RI reste cependant un poste très honorable en fin de carrière, s'ils sont sortis du rang. Ceux qui sont issus des formations militaires supérieures, peuvent aussi en faire une étape vers une carrière à l'état-major qui peut les hisser jusqu'au rang de général de division. Parmi les officiers, on relèvera seulement pour l'anecdote, Alphone-François Madeline, né à Caen le 17 mars 1837, engagé volontaire en 1856, de retour dans sa ville natale comme colonel du 36e dans son dernier grade d'active entre 1892 et 1897. (…)
"Le 36e est le premier régiment complet caserné en permanence à Caen. D'abord formé de trois bataillons de 6 compagnies chacun et 3 compagnies de dépôt, réorganisé par la loi de 1875 en 4 bataillons de 4 compagnies de 82 hommes et 2 compagnies de dépôt ; à la fin du siècle, il passe à 3 bataillons de 4 compagnies de 112 hommes et 2 compagnies de dépôt, plus de 1600 hommes avec l'état-major, jusqu'à 2400 pendant les périodes de service de réservistes. Le 36e aligne donc le plus fort effectif d'une ensemble de troupes qui a dû souvent dépasser les 3 000 hommes sur une population de guère plus de 40 000 habitants au tournant du siècle."

Pour découvrir le château de Caen, connaître son histoire et son réaménagement, c'est ici. (Photo DR)