L’objectif premier de ce projet, intégré au centenaire mais qui vise en même temps à le prolonger, est de protéger, de sauvegarder et de transmettre aux générations futures une sélection de sites de la Première Guerre mondiale qui ont besoin d’être mis en valeur, car certains d’entre eux sont même à l’abandon et pourraient disparaître… À quoi serviront ces paysages sans mémoire ? Ayant été professeur, je puis vous dire que ces paysages ont un impact énorme sur les élèves lorsqu’ils les découvrent. La transmission de cette mémoire est donc essentielle … L’autre axe de ce projet est de diffuser le message de paix et de réconciliation renvoyé par ces sites.
Combien de sites des deux derniers conflits sont d’ores et déjà classés Unesco ?
Aucun site de la Première Guerre mondiale n’a fait jusqu’à présent l’objet d’une inscription au patrimoine mondial. Quant à la Seconde Guerre, on ne compte que le mémorial de la paix d'Hiroshima - le dôme de Genbaku - et le camp allemand nazi de concentration et d'extermination d’Auschwitz-Birkenau. Toutefois, des sites de la Grande Guerre ont été inscrits sur les “listes indicatives” du Patrimoine mondial de l'Humanité, ces inventaires rassemblant les biens que chaque État partie à la Convention du patrimoine mondial de l'Unesco a l'intention de proposer pour inscription (voir encadré ci-dessous). Ainsi, en Roumanie, il y a l’ensemble monumental du sculpteur Constantin Brancusi "La Voie des Héros", réalisé en 1937, à la mémoire des soldats tombés pendant le conflit et les lieux de mémoire et monuments de la Grande Guerre en Flandre belge.
Sur les 962 biens inscrits sur la liste du patrimoine mondial, on compte des biens culturels, des biens naturels et des biens “mixtes” ? À quelle catégorie appartiennent les sites et les vestiges de la Première Guerre mondiale ?
Ces biens ont été classés en trois grandes catégories : le patrimoine paysager – les bouleversements du sol, les cratères, mais aussi les ruines des villages non reconstruits, les espaces reboisés –, le patrimoine militaire du front – les tranchées, les ouvrages défensifs de toutes sortes, les carrières ornées de dessins ou de sculptures –, et le patrimoine mémoriel, avec tous ces cimetières, nécropoles et mémoriaux commémoratifs qui ponctuent les champs de bataille ou leurs environs. Ils se rattachent à la catégorie des paysages culturels. C’est la dénomination qui pour le moment a été choisie. Mais le dossier n’est pas clos. Cette notion peut être affinée par la suite.
Paysage d'Artois. A l'horizon, le mont Saint-Eloi et, à droite, le clocher de Neuville-Saint-Vaast (photo J. Verroust) |
Le projet que votre association porte est-il exclusivement français ?
Non. Nous travaillons désormais avec la Belgique (Flandre et Wallonie) sur ce dossier que nous avons intitulé "Paysages et sites de mémoire du front occidental de la Première Guerre mondiale". Ce qui est logique : il était irrationnel, dans le cadre de notre travail d’inventaire, de nous arrêter à la frontière française et de ne pas aller plus loin. La totalité du front a donc été prise en compte. Cela tombe bien : les Flamands ont inscrit sur liste indicative, depuis 2002, les lieux de mémoire et monuments de la Grande Guerre. Nous avons rédigé, avec eux, une “déclaration de valeur universelle exceptionnelle commune”. Ce dossier n’est donc pas strictement français, c’est un projet transnational.
Avez-vous également le soutien d’autres pays dans votre travail ?
Oui. Pour notre démarche, ce soutien joue un rôle non négligeable : c’est la raison pour laquelle nous essayons de mettre en avant au maximum les sites de mémoire des différents pays engagés : les pays anglo-saxons et l’Allemagne, mais aussi les pays africains et les pays asiatiques... Cela recoupe les principes d’universalité qui sont prônés par l’Unesco.
D’autres pays sont-ils susceptibles de vous rejoindre dans cette démarche ?
Il peut y avoir des initiatives émanant d’autres pays... En Italie, par exemple, la région du Frioul réfléchit à l’opportunité d’un dossier. On n’en est qu’aux prémices et il va bien évidemment falloir convaincre les autres régions concernées (Lombardie, Trentin et Vénétie) du bien-fondé de cette démarche. Là encore, il est difficile d’imaginer une démarche strictement italienne : je vois mal comment l’Italie pourrait faire l’économie d’une candidature conjointe avec la Slovénie (le site de la bataille de Caporetto est aujourd’hui situé en Slovénie, NDR), où certains biens pourraient remplir les critères Unesco. Enfin, outre l’Italie, il y a aussi la péninsule de Gallipoli, en Turquie, qui présente un réel potentiel : on peut y voir, outre les plages où débarquèrent les alliés, de nombreux mémoriaux et une grande concentration d’ouvrages militaires.
Les trous d'obus de Thiaumont, dans la Meuse (photo J. V.) |
Sur les douze départements de la zone de front occidental – les départements où a eu lieu la guerre des tranchées –, ceux qui ont formellement adhéré à l’association sont au nombre de neuf : Nord, Pas-de-Calais, Aisne, Oise, Somme, Ardennes, Moselle, Meuse et Meurthe-et-Moselle. Le Haut-Rhin devrait adhérer très prochainement. Enfin, nous avons entrepris des discussions avec la Seine-et-Marne, les Vosges, le Bas-Rhin et la Marne. Sur le terrain, l’association est relayée par un élu coordonateur et par un chargé de mission du conseil général qui travaillent tous deux au sein d’une structure chargée de réaliser le dossier technique au niveau départemental.
Où en êtes-vous dans la mise au point de ce projet ?
Notre dossier de demande d’inscription sur liste indicative française est bouclé. Il recense tout le travail qui a été fait depuis un an et demi. Il a été transmis, en février, aux experts mandatés par le ministère de la Culture et de l’Écologie, qui doivent rendre un avis. Si la réponse est positive, le dossier pourra alors être présenté par la France, qui propose chaque année un ou deux dossiers en vue d’une inscription sur la liste du Patrimoine mondial.
En France, quel est le périmètre de classement : s’agit-il de tout classer ?
Dans la Somme, le marais de Frise (photo J. V.) |
L’Unesco n’est-elle pas réticente à inscrire des sites guerriers ?
Non, l’Unesco n'est pas réticente puisque de très nombreux biens militaires sont déjà inscrits. La question est plus de savoir si l’on reconnaît la valeur universelle exceptionnelle de certains biens issus, par exemple, des deux guerres mondiales. Il semble qu’il y ait des avis divergents. Pourtant, ces sites nous permettent de tirer les leçons du passé pour construire un avenir plus pacifique et l’Unesco ne peut y être insensible.
Quelles sont les échéances prévues pour le dépôt de ce projet ?
Avec nos partenaires belges, nous prévoyons un dépôt en janvier 2015 pour une inscription en 2016 ou 2018.
À quelles difficultés vous heurtez-vous ?
Nous avons reçu le soutien du ministre des Anciens combattants et les échos sont plutôt bons du côté des ministères de l’Écologie et des populations locales. Nous avons aussi des soutiens à l’étranger, notamment dans les pays anglo-saxons, et les départements – même s’ils sont accaparés par leurs manifestations pour le centenaire – nous soutiennent. Mais nous attendons encore un soutien clair de la Mission du Centenaire qui nous permettrait d’asseoir notre légitimité. Nous venons de rencontrer son président, le général Irastorza, qui semble avoir été très sensible à notre démarche. Nous espérons officialiser un partenariat qui me semble logique puisque dans le rapport rédigé par M. Zimet en 2011 (voir interview de Joseph Zimet sur ce blog), le dossier porté par notre association figurait parmi les "trois grands projets pour un Centenaire" .
Un “classement” Unesco entraîne-t-il des contraintes pour les personnes qui vivent à proximité du bien ?
Il ne faut pas oublier que ces sites sont pour certains déjà dans des zones protégées : Natura 2000, parcs naturels régionaux, Znieff... Ils sont par conséquent déjà dans un environnement protégé. En ce qui nous concerne, tous les problèmes seront aplanis en amont d’une éventuelle inscription : au besoin, il y aura des réajustements. Par ailleurs, une fois que le site sera labellisé, vous n’aurez pas le même type de protection si le bien est en “zone cœur” ("périmètre inscrit”), en “zone tampon” (qui fournissent un autre degré de protection) ou dans des zones d’accompagnement. Mais il ne faut pas surestimer les contraintes d’une inscription sur la liste du Patrimoine mondial : les centres historiques de Lyon ou de Bordeaux ont été inscrits et cela n’empêche pas les gens d’y vivre et d’y dormir.
Nous n'envisageons pas cette possibilité, d'autant plus que la Belgique est en pointe sur ce dossier.
Pourquoi votre association communique-t-elle peu sur son travail ?
Notre association a été fondée en juillet 2011, le travail a commencé au même moment dans les différents départements, mais jusqu’à présent peu d'annonces ont été faites autour de ce dossier. Une table ronde a été tenue au Festival de géographie de Saint-Dié et aux Rendez-vous de l’Histoire de Blois, une conférence de presse a été organisée en janvier au Sénat, ainsi qu’une présentation au Salon mondial du Tourisme. C’est délibéré. Il faut rester discret lorsque l’on monte une inscription sur la Liste du patrimoine mondial. Notre idée n’était pas de partir dans tous les sens. Nous devions terminer notre inventaire sur le terrain des sites susceptibles d’être sélectionnés dans un premier temps. Maintenant que celui-ci est achevé, nous organisons un colloque, avec des tables rondes, le 8 juin prochain, à l’École militaire, à Paris : nous présenterons le projet, mais nous souhaitons aussi réunir un maximum d’associations de sauvegarde du patrimoine pour qu’elles puissent échanger leurs expériences respectives. Il est primordial pour nous d’associer tous ceux qui oeuvrent sur le terrain pour valoriser ce patrimoine unique.
Unesco : un processus d'inscription en quatre étapes L'inscription d'un bien sur la liste du Patrimoine mondial de l'Humanité se fait au terme d'un long travail mené par l'Etat signataire de la convention de l'Unesco.
1. Il doit en premier lieu dresser une "liste indicative" des biens qu'il propose pour inscription au cours des cinq à dix années à venir (en France, un dossier est à présenter au préalable, devant le Comité national des biens français du patrimoine mondial, et doit recevoir un avis favorable du ministère de la Culture ou/et de l’Écologie).
2. La proposition d’inscription est ensuite soumise au Centre du patrimoine mondial qui vérifie si elle est complète. Si c’est le cas, le Centre l’envoie à l’organisation consultative compétente pour évaluation.
3. Les biens proposés pour inscription sont évalués par deux organisations consultatives indépendantes, désignées par la Convention du patrimoine mondial : le Conseil international des monuments et des sites (Icomos) et l’Union mondiale pour la nature (UICN).
4. Enfin, le Comité intergouvernemental du patrimoine mondial prend la décision finale concernant l'inscription du bien. Il peut aussi différer sa décision et demander aux États parties de plus amples informations sur leurs sites.
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