Septembre 1941, Pierre Masse, à droite de la photo, et quelques-uns des 40 avocats transférés à Drancy (crédit : coll. Bundesarchiv, Bild 183-S69244/CC-BY-SA) |
Il y a soixante-dix ans jour pour jour, ce député, secrétaire d’État à la Guerre, maître incontesté du barreau parisien et ancien capitaine du 36e régiment d'infanterie, était en effet envoyé à la mort sur instruction d'un sergent SS de 22 ans, l'Unterscharführer Ernst Heinrichsohn, adjoint du conseiller SS du service des Affaires juives, Heinz Röthke. De cette journée, il ne reste qu'une lettre de Pierre Masse, aujourd'hui conservée au musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon. Une mot adressé à son épouse ─ conclu d'un "Je pars en déportation" guidé par une main où se lit encore aujourd'hui l'émotion ─ que Pierre Masse, alors employé aux écritures dans les bureaux de l'administration du camp de Drancy, eut à peine le temps d'achever avant de partir pour la mort.
Se doutait-il de son sort ? En cet automne 1942, il se sait voué aux gémonies par les collaborationnistes. Arrêté le 22 août 1941 à son domicile, par trois policiers en civil, il a été incarcéré à Drancy, puis au camp de Compiègne, pour retourner à Drancy après un passage, de mai à septembre, à la prison de la Santé. Pétain a mollement intercédé en sa faveur, mais les Allemands se sont opposés à toute libération. A la Santé, il a commencé de noter ses souvenirs de jeunesse. En juin, son frère, Roger, détenu à Compiègne, est parti dans un convoi, composé principalement de juifs polonais, vers les "camps de travail" de l'Est. C'est aussi la période où Maurice Ribet, bâtonnier de l'ordre des avocats, voit lors d'une visite dans sa cellule un sac tyrolien, bien sanglé. "C'est mon paquetage, lui répond Pierre Masse qui, peut-être se souvient de son barda qu'il transportait dans les bois de Beaumarais en 1915. Je crois que mon séjour ici ne sera plus bien long. Tout est prêt. Quand on viendra me chercher, je n'ai qu'à mettre ça sur le dos et en route."
Pierre Masse, dans les bois de Beaumarais en 1915, photographié par Fernand Le Bailly. |
Emporte-t-il, ce jour, comme le prévoit le règlement deux petits colis à main ? Ce 30 septembre, il monte à son tour dans les autobus de la STCRP qui mènent les déportés à la gare du Bourget. De tous les convois de déportation partis de France vers les camps nazis, le n° 39 est le moins densément peuplé : ils sont 210 à franchir les portes des wagon plombés portant l'inscription "hommes : 40, chevaux en long : 8". Il s’agit surtout de personnes âgées, de plus de 55 ans, des Belges, des Hollandais et des Luxembourgeois... Le voyage dure deux jours et l'arrivée à Auschwitz se fait alors que sévit la première grande épidémie de typhus. L'ouvrage Mémorial de la Déportation des Juifs de France, publié par Serge Klarsfeld en 1978, précise : "A l’arrivée de ce convoi à Auschwitz, 34 hommes ont été sélectionnés et ont reçu les matricules 66 983 à 67 016. Il en a été de même pour 22 femmes, qui reçurent les matricules 21 373 à 21 394." Aucun ne survivra.
Quant à Pierre Masse, à 62 ans, il ne fut bien évidemment pas choisi. Conduit à l'écart du camp de Birkenau avec ses compagnons, il fut vraisemblablement gazé dans le bunker 1, aussi appelé "ferme rouge", au bord d'une forêt de bouleaux, ou dans le bunker 2 ("ferme blanche"), après qu'il lui fut demandé de se déshabiller dans une baraque à proximité. Puis son corps fut sans doute enterré dans une fosse commune qui avait été creusée dans la journée à quelques centaines de mètres, dans la zone la plus boisée.
Selon le site des avocats de Paris, Pierre Masse se définissait en "soldat de la France et du Droit". Mais il était à notre sens plus que cela. Peut-être un de ces 36 justes qui, selon une tradition issue du Talmud, assurent secrètement et sans le savoir, à chaque génération, la survie et la continuité du monde. Ce qu'il avait fait tout au long de sa vie sous la robe d'avocat.
Le nom de Pierre Masse et de son frère Roger, sur le "mur des noms", au mémorial de la Shoah, à Paris. |
(Lire aussi, sur ce blog, une des dernières lettres de Pierre Masse. A suivre...)
Note : Soixante-dix ans après le début de la déportation des Juifs de France vers les camps d'extermination nazis, le Mémorial de la Shoah a inauguré, le 23 septembre dernier, à Drancy un nouveau lieu d’histoire et d’éducation situé face à la Cité de la Muette.Conçu par l’architecte suisse Roger Diener, le Mémorial à Drancy permet au public scolaire comme au grand public de mieux connaître l’histoire de la Cité de la Muette et notamment le rôle central du camp de Drancy dans l’exclusion des Juifs de France pendant la Seconde Guerre mondiale et dans la mise en oeuvre de la "Solution finale" par les nazis depuis la France, avec la complicité du gouvernement de Vichy.
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